Le transhumanisme : mythe ou réalité ?

Redonner la vue à une personne aveugle, redonner la mobilité à un homme paralysé, voir dans le noir, stimuler le cerveau pour lutter contre Alzheimer et Parkinson, ne plus connaître la fatigue, vaincre la mort : est-ce possible ?

« La mort de la mort » a été annoncée par Laurent Alexandre, fervent défenseur du transhumanisme ; « vivre 300 ans, ce sera un jour possible » a titré l’Express en 2016 en commentant le livre de Luc Ferry, La révolution transhumaniste ; Ruzy Kurzweil affirme lui aussi que grâce à l’intelligence artificielle l’être humain pourra s’extraire de la temporalité de notre existence voire fusionner notre esprit avec la machine et devenir immortel. Le transhumanisme peut sembler abstrait, lointain, mythique pour les non-initiés et pourtant il s’agit bien d’une réalité voire d’une religion pour ses défenseurs.

« le transhumanisme est une classe de philosophies de la vie qui cherche à poursuivre et à accélérer l’évolution de la vie intelligente au-delà de sa forme humaine actuelle et de ses limites humaines au moyen de la science et de la technologie, guidées par des principes et des valeurs favorisant la vie. » Philosophe transhumaniste et futuriste Max Moore

Le transhumanisme signifie au sens littéral le fait d’aller au-delà de l’humain. C’est une idéologie, un phénomène international selon lequel l’humain pourrait être amélioré, « augmenté » grâces aux technologies NBIC (nanotechnologies, biotechnologie, informatique et sciences cognitives) et à l’intelligence artificielle.

Les pays anglo-saxons, notamment les Etats-Unis puis le Royaume Uni et les pays du Commonwealth, sont particulièrement investis dans la recherche et intéressés par le transhumanisme tandis qu’en Europe le transhumanisme est majoritairement resté au rang de fantasme dangereux porté par des individus aux théories scientifiques douteuses.

D’où vient le transhumanisme ?

L’idéologie transhumaniste de l’homme augmenté s’inspire d’abord de récits antiques sur les quêtes d’immortalité et de la philosophie des Lumières où l’individu est mis au centre de l’univers, il n’est plus subordonné à un dieu supérieur comme dans le Moyen-Âge chrétien, il doit être amélioré par l’éducation et la culture. Puis ce mouvement est popularisé dans les années 1950 par le biologiste Julian Huxley. C’est finalement dans les années 1980 que le transhumanisme se concrétise et se structure en Californie.

Le transhumanisme reflète cette religion du progrès et tout comme l’humanisme des Lumières cela passe par la science et la connaissance.

Aujourd’hui, c’est surtout la Silicon Valley et ses grandes entreprises qui investissent et partagent cette idéologie. Pour certains, cela souligne le fait que le transhumanisme a pour fin le profit, la productivité et la croissance économique.

Un récit provenant de la science-fiction : la naissance d’un mythe

Depuis longtemps, on retrouve les idées partagées par les transhumanistes dans l’art et la culture populaires comme dans les films, livres et bandes dessinées qui mettent en scènes les utopies technoscientifiques : une intelligence artificielle consciente d’elle-même (Ex Machina), un futur où la pratique de l’eugénisme serait répandue (Bienvenue à Gattaca).

De nombreux films de science-fiction mettent ainsi en avant les dérives de telles technologies. Parmi eux on retrouve « Avatar », « La planète des singes : les origines » et « The Island » ou encore la série à succès international « Black Mirror ». Le film « Transcendance » va jusqu’à mettre en avant un homme qui dépasse sa condition humaine et transfert son esprit dans un ordinateur.

Ces films, souvent alarmistes, suscitent intérêt, curiosité et fascination mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont révélateurs d’un futur proche. Ces scénarios sont inventés, imaginés dans le but de permettre au spectateur de prendre de la distance avec ces utopies et de le pousser à la réflexion.

Les idéologies transhumanistes

Le transhumanisme connait cinq principaux objectifs.

Un des objectifs du transhumanisme est de ralentir considérablement le vieillissement de l’Homme voir de le rendre immortel grâce à la bio-impression qui permet de reproduire des organes du corps humain, des os, du cartilage à parti de cellules souches du patient qui sont imprimées avec de la matière organique. Cela permet de renouveler indéfiniment un élément du corps et de tendre vers l’immortalité. Le corps est donc une imperfection qu’il faut corriger, on part donc du postulat que nous sommes des brouillons imparfaits.

L’entreprise Google est la plus avancée dans ce domaine avec sa société Calico créée en 2013. Le but est de lutter contre le vieillissement humain et ses maladies associées et donc l’objectif final serait de tuer la mort, soit de nous rendre immortel.

Une autre volonté des transhumanistes est la création d’une espèce humaine interplanétaire. C’est sur cette idée que se penche l’entreprise de Elon Musk, SpaceX fondée en 2002. Le plan de cette entreprise est de permettre la colonisation de la Lune ou de Mars, relier plusieurs points de la terre en moins de cinquante minutes comme Paris et New York et développer le tourisme spatial.

En 2021, Elon Musk a mis aux enchères des sièges dans la fusée qui a emmené les premiers touristes dans l’espace. La fusée Falcon 9 a décollé avec quatre touristes spatiaux américains à bord avec le premier équipage entièrement civil. Ils ont passé trois jours en orbite autour de la Terre sans aucun astronaute professionnel à bord, une première mondiale. Le but de cette mission était de faire un pas vers la démocratisation de l’espace, notamment pour montrer que cela n’est pas réservé aux équipages d’astronautes. La mission, baptisée Inspiration4, est un véritable tournant dans le tourisme spatial.

En 2019, Elon Musk voulait créer des vaisseaux géants afin de créer à nouveau des conditions de vie idéales pour l’Homme. Il aimerait créer des colonies spatiales capables de transporter 1 000 milliards d’humains, ce projet a été baptisé O’Neill. Ces capsules géantes flotteraient dans l’espace et procureraient à l’Homme tout ce dont il a besoin pour vivre, on y trouverait des montagnes, des villes, des zones agricoles, des transports en commun, des parcs nationaux ainsi que des espaces urbains. Les colonies pourraient être différentes et offrir un espace varié. L’Homme n’aurait plus besoin de planète. Même s’il démarre les recherches, le milliardaire souligne que ces capsules devraient tout de même être construites par les générations futures.

Ensuite, le corps pourrait aussi être augmenté ce qui entrainerait une amélioration des capacités de l’Homme. L’idée est la création d’un post-humain ou transhumain aux capacités décuplées ce qui conduirait à une nouvelle humanité. Le corps est donc vu comme un outil modifiable au service de notre conscience. On pourrait ainsi transcender ses limites biologiques en améliorant les capacités humaines physiques et mentales de l’humain. Ce post-humain serait au sommet de l’évolution de l’individu et du vivant. Ainsi, pour les transhumanistes notre corps est distinct de notre âme et il faut l’améliorer.

Un autre objectif visé par les transhumanistes est la fusion entre l’intelligence artificielle et notre cerveau. Pour ne pas être dépassé par la machine, il faut fusionner avec elle, plus précisément fusionner les neurones et processeurs.

Enfin, les transhumanistes veulent supprimer le risque grâce aux manipulations génétiques, créant des enfants dont les composantes seront choisies à l’avance.

Fin 2018 Jiankui, scientifique et chercheur chinois, s’est lancé dans ce domaine avec la méthode CRISPR-Cas9 sur les embryons de jumelles. Cette méthode permet aux chercheurs de modifier n’importe quel fragment d’ADN en altérant sa séquence. Cela va rendre un gène totalement inactif ou permettre d’apporter des modifications spécifiques comme l’introduction ou le retrait d’une séquence particulière d’ADN. Les cellules sont la cible de ces modifications. L’expérience visait à apporter une résistance au VIH durant toute la vie de ces bébés. Elle a été réalisée par fécondation in vitro pour un couple dont le père était infecté du VIH.

À la suite de l’utilisation cette méthode, qui a choqué le monde entier, sont nées Lulu et Nana, deux bébés génétiquement modifiés par ce scientifique. La procédure n’a pas eu l’effet prévu ni le résultat escompté. En raison de cette pratique illégale de la médecine, il a été condamné à trois ans de prison ferme et 380 000 euros d’amende.

Les secteurs qui intéressent le plus les transhumanistes sont la médecine et les industries pharmaceutiques, l’armée (soldat augmenté), la NASA (afin de permettre à l’homme la conquête spatiale) et les industries du divertissement et de la télécommunication.

Une nouvelle religion

L’homme, placé au centre de l’univers, doit être augmenté et amélioré afin de devenir comme un Dieu : le transhumanisme est une religion mêlant l’homme et la science. L’Homme est enfin libéré de ses limites biologiques, il réalise le rêve de Descartes et devient maître et possesseur de la nature.

On peut donc parler du transhumanisme comme d’une nouvelle religion, ce mouvement s’approprie les promesses religieuses comme l’idée de la souffrance et d’une victoire sur la mort, les miracles divins sont remplacés par des miracles techniques. Les transhumanistes utilisent eux-mêmes le champ lexical de la religion avec par exemple David Pearce, philosophe britannique, qui parle d’une « ingénierie du paradis ».

Neuralink

Elon Musk, fondateur de Tesla et donc de SpaceX, déclarait en 2017 : « Si vous ne pouvez battre la machine, le mieux est d’en devenir une ».

L’homme, qui a déclaré craindre l’intelligence artificielle, a décidé d’investir massivement dans ce domaine, notamment avec sa société Neuralink. Mais c’est également un partisan du transhumanisme, qui soutient que les humains devraient à terme devenir des cyborgs.

Neuralink, startup américaine développant des implants cérébraux d’interfaces directes neuronales, a été co-fondée par Elon Musk en 2016.

Son idée est de développer un système de connexion du cerveau à une machine pour contrer la puissance des intelligences artificielles à venir, de connecter le cerveau humain avec des ordinateurs pour en augmenter les capacités et donner un contrôle direct sur des intelligences artificielles à l’utilisateur. En somme, cela permettrait d’augmenter l’individu afin de dominer l’intelligence artificielle qui serait fatale, inévitable pour l’homme.

L’objectif principal est simple : permettre le contrôle d’équipement à distance par la pensée grâce à des implants placés dans le cerveau.

Actuellement l’implant Neuralink est d’environ un centimètre de large, donc relativement gros tandis que l’entreprise voudrait le rendre invisible afin de relier la puce aux différentes parties du cerveau par des films vingt fois plus fin qu’un cheveu humain.

Les promesses de Neuralink sont multiples : redonner la mobilité à une personne paralysée, lutter contre les troubles neurologiques, stocker ses souvenirs sous forme numérique et les télécharger dans un autre corps ou dans un autre robot, retranscrire avec la pensée d’une personne paralysée qui s’imagine écrire manuellement.

Le projet suscite pourtant beaucoup de critiques, il apparait comme obscur et délirant d’autant plus que le grand évènement autour de Neuralink qui devait avoir lieu la semaine prochaine sera reporté d’un mois.

Un mythe qui inquiète : fantasme ou fatalisme ?

La singularité, soit le moment où la machine aura conscience d’elle-même et dépassera l’être humain, se réalisera en 2045 selon Kurzweil Claims, directeur de l’ingénierie de Google et futurologue réputé. Il a fait ses preuves en matière de prédictions exactes, mais il est lui aussi un transhumaniste convaincu. Sur ses 147 prédictions depuis les années 1990, Kurzweil revendique un taux d’exactitude de 86 %. Ainsi, dès 2029 les ordinateurs auront une intelligence de niveau humaine.

L’intelligence artificielle et le transhumanisme sont des sujets de critiques et de controverses notamment vis-à-vis de l’éthique et de la morale de cette idéologie.

Ces inquiétudes sont mêmes suivies par des personnalités tel que Elon Musk qui parle d’un « danger plus grand que la bombe atomique » ou encore l’historien Francis Fukuyama qui parlait en 2002 du « plus grand péril de l’humanité ».

On retrouve d’un côté ceux qui soutiennent cette idéologie et pour qui ce sera une révolution de l’Homme immortel, et de l’autre côté ceux pour qui cela signifiera la fin de l’humanité.

Les dangers sont multiples. Certains soulignent la perte de contrôle sur cette technologie et son évolution. L’apparition des smartphones nous a montré que les technologies peuvent nous asservir et nous aliéner. Le transhumanisme dans une société totalitaire mènerait à une aliénation de l’individu et un contrôle total sur le peuple. De plus, les implants cérébraux qui donnent accès des données personnelles sensibles (notamment les caractéristiques neurobiologiques d’une personne) peuvent être piratées. Nous pouvons aussi imaginer l’implantation d’un virus ou le sabotage de ces implants ce qui pourrait causer de très graves dégâts. Avec ces technologies, les données personnelles de l’individu sont accessibles en permanence, ce qui amène à la question des atteintes à la vie privée et du consentement de l’individu concernant l’échange de ses données. Est-ce que le consentement découle de l’acceptation de la pose d’un implant ?

D’autres soulignent la probabilité de se voir contrôlés par ces technologies. Pourquoi augmenter l’Homme s’il n’est plus libre ?

Enfin, seules les personnes les plus fortunées auront accès aux technologies augmentatives ce qui les favorisera et creusera les inégalités avec d’un côté ces derniers en bonne santé qui pourront vivre plus longtemps et de l’autre les plus démunis qui vont devoir modifier sans cesse leurs corps afin de rester compétitifs, notamment sur le marché du travail, et qui subiront encore la maladie.

Il est aussi possible que cela dérive vers une discrimination génétique avec le séquençage de l’ADN et l’eugénisme intellectuel qui considère que le quotient intellectuel est l’indicateur de référence de l’intelligence, qui pourtant est un concept difficile à définir. Selon le professeur Stanislas Lyonnet, « Le QI est un curseur, qui mesure UNE des performances de l’intelligence, l’abstraction logico-mathématique et les capacités verbales ».

Le transhumanisme pourrait aussi conduire à une uniformisation des individus au lieu de souligner leurs différences et originalités.

Enfin, il pourrait conduire à des conflits sociaux et à une lutte des classes en renforçant de fortes inégalités et donc de nouvelles formes de domination, mais aussi de nouvelles guerres entre humains et post-humains ou entre intelligences artificielles et les hommes.

Quelques potentielles conséquences du transhumanisme

Les conséquences du transhumanisme sont difficiles à prévoir, mais avec les récentes directions prises par la recherche on peut tout de même avoir une idée plus concrète des transformations possibles induites par le transhumanisme.

Les transhumanistes envisagent : une vie plus longue ; une meilleure santé et la fin de maladies dégénératives ; la préservation du corps par cryogénie et son réveil dans le futur ; une amélioration des fonctions cognitives ; la possibilité de transférer ou télécharger sa conscience dans une machine ; le body hacking généralisé (la modification volontaire du corps par l’implantation de composants artificiels).

A titre d’exemple, un brevet a été déposé par Samsung sur une lentille intelligente placée sur l’œil de son utilisateur qui pourrait recevoir les photos stockées sur son smartphone.

Un projet d’œil bionique est aussi développé afin d’obtenir une vision améliorée (15/10) et pouvoir zoomer ou voir dans le noir. Cela serait possible grâce à l’imprimante en trois dimensions permettant de reproduire des tissus organiques à partir de matière vivante.

Enfin, des nanomachines artificielles pourraient être d’ici une vingtaine d’années implantées dans le corps pour réparer et accroitre les cellules, muscles et os ce qui démultiplierait les capacités physiques et cognitives de la personne.

A terme, l’un des aboutissements du transhumanisme est le téléchargement de la conscience dans un ordinateur ce qui le rendrait immortel.

A cet article subsiste la question suivante : la technologie est-elle au service de l’homme, ou l’homme est-il aliéné à la technologie ?

Recommandation de films : The Island, Avatar, documentaire de Philippe Borrel intitulé Un monde sans humain (Arte) ; qu’Elysium (2013), Her (2013), Ex Machina (2014), Transcendance (2014), Ghost in the Shell (adaptation cinématographique du manga en 2017), Bienvenu à Gattaca.