Supply chain

Pourquoi notre supply chain est défaillante

La chaîne logistique de production globale a été construite tel un gratte-ciel dont on aurait suivi l’érection qu’à la mesure de la hauteur de sa flèche, sans jamais se pencher sur les capacités de soutenance de ses fondations ni sur la qualité de vie qu’il pouvait offrir à ses occupants. Depuis la chute du mur de Berlin, nous avons globalisé notre supply chain afin de pouvoir obtenir de plus en plus de produits différents, de plus en plus rapidement, de moins en moins cher et dans des quantités toujours plus grandes. Nous avons fièrement réussi à construire un système remarquablement efficient permettant, par exemple, aux entreprises de fast-fashion de proposer plus de douze collections par an, ou permettant à chacun de pouvoir consommer fruits exotiques et chocolats peu importe ses revenus. Autre exemple parlant, la majeure partie de la population mondiale possède, en guise de téléphone portable, un ordinateur extrêmement puissant et complexe en comparaison des machines ayant permis d’envoyer l’Homme sur la Lune, téléphone qu’il est possible de renouveler tous les ans pour sa prochaine itération.

Ce système miracle, qui s’est construit petit à petit au fur et à mesure des dernières décennies est devenue la pierre angulaire de notre économie mondiale, et a permis une croissance ainsi qu’un confort et une abondance matérielle sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Jamais n’a-t-on été aussi efficient, aussi rapide, aussi bon marché. Fantastique ! …Et pourtant, ce système, aussi acclamé soit-il, est la source de disfonctionnements profonds et de réalités désastreuses. Son but ultime était de fournir des économies d’échelles jamais imaginées auparavant et une optimisation des coûts de production afin de maximiser les profits d’entreprises produisant à l’échelle globale. Pas besoin d’avoir beaucoup écouté sur les bancs des cours de micro-économie pour établir le lien entre maximisation des profits et minimisation des coûts, sauf que cette fois-ci, c’est (pour ainsi dire) le monde des possibilités d’économie qui s’est présenté aux acteurs de la production du monde entier. Ce nouveau marché d’exploitation a engagé une race to the bottom des dépenses de production, soit une course vers des coûts de plus en plus faibles, vers une main d’œuvre de plus en plus accessible, vers des ressources de plus en plus exploitables, des régulations de plus en plus permissives. Ainsi, nous avons assisté à une maximisation de l’exploitation humaine et matérielle à l’échelle planétaire, où le but du jeu était de trouver les pays dans lesquels les matériaux utilisés étaient les moins chers, les salaires les plus faibles et les heures de travail les plus longues, les taxes inexistantes, les lois les moins contraignantes et les gouvernements les plus permissifs, et d’y implémenter ses activités en fonction des caractéristiques qui importaient le plus à ces dernières. Dans cette configuration, chaque entreprise est poussée à faire mieux que ses concurrents, et à abuser encore plus du système pour tirer plus de bénéfices, ce qui a transformé la supply chain mondiale en une fantastique machine à esclavage moderne qui pousse à la négligence des travailleurs ainsi que celle de l’environnement.

Nous avons donc assisté à des désastres tant écologiques qu’humains, comme l’effondrement à Dacca en 2013 d’un bâtiment utilisé comme usine de vêtements pour de grandes marques occidentales qui a causé la mort de plus de mille personnes, l’exploitation de Ouïgours persécutés dans des fabriques clandestines dans le Xinjiang ou d’enfants dans des mines en RDC, les suicides des ouvriers des usines de fabrications de smartphones, le déversement de produits chimiques dans les sources d’eau potable par des entreprises alimentaires au Mexique, ou les décharges à ciel ouvert en Afrique subsaharienne où des déchets électroniques brûlent 24h sur 24.

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Non seulement nous pouvons désormais produire partout sur Terre pour optimiser chaque étape de production, mais nous le faisons avec une efficacité exceptionnelle qui défie tout ce qu’il était possible d’imaginer il y a quelques décennies. Le système de production just-in-time à flux tendu fonctionne à l’extrême limite de ses capacités pour assurer une efficience maximale. La plupart des chaînes de production tournant à l’échelle planétaire travaillent avec un stock inexistant, aucune réserve et une minimisation des temps de production, de transport et transition. Le système de production Toyota a été poussé à l’extrême avec comme maxime l’élimination de tout ce qui est jugé superflus. Chaque machine, chaque employé, chaque mode de transport doit fonctionner au maximum de ses capacités physiques. Seulement, à force de vouloir éliminer ce qui est jugé inefficient et de tailler dans les opérations afin d’augmenter l’utilisation de chaque composant, on finit par éliminer toute marge de manœuvre et toute possibilité d’anticipation d’imprévus. Ainsi, à mesure que l’efficience s’installait comme maître mot de la supply chain mondiale, cette dernière s’enlisait dans une rigidité et une incapacité d’adaptation.

En effet, fonctionner à la limite de ses capacités signifie également frôler avec son état de rupture. La supply chain que nous avons mis en place est d’autant fragile qu’elle est efficiente et nous avons basé l’économie mondiale sur un système incapable de résister à des perturbations trop importantes. Nous avons pu le constater lors de la crise du coronavirus, lorsque nombre de produits, parfois sans lien avec les usines affectées par les confinements, ont vu leur prix exploser ou leur disponibilité se réduire (souvent les deux en même temps). Plus de deux ans plus tard, il est toujours difficile de se procurer de grandes quantités d’ordinateurs, certains modèles de voiture ou types de produits alimentaires, alors même que l’appareil de production a repris à 100% de ses capacités.

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Alors à qui la faute ? La supply chain mondiale atteint des records d’efficacité, de rapidité et de réduction des coûts, mais au prix de désastres humains et environnementaux sans commune mesure et d’une fragilité structurelle extrême. Les mécanismes de marché ont créé un cercle vicieux qui fait que chaque acteur encourage le suivant à poursuivre le développement de ce système. Chacun a continué à s’extasier devant la grandeur de cet édifice sans prêter attention à la détresse de ses occupants ni à la faiblesse de sa structure face à l’ouragan qui se profile à l’horizon…

MatthieuS
Matthieu Seppey
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Sources:

https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/la-decharge-de-dechets-electroniques-dagbogbloshie-veritable-defi-economique-et-environnemental-pour-le-ghana_3863287.html

https://www.newsweek.com/worldwide-supply-chain-shortages-could-persist-until-2023-spending-outpaces-supply-1649364

https://www.apimages.com/metadata/Index/US-Supply-Shortage-Surging-Demand/c96143b98da4492caf5976c5a48858cc/16/0

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