En ce vendredi 31 octobre 2022, l’ambiance est au soulagement à New York après la réparation d’une bévue judiciaire datant de plus de cinquante ans. Muhammad Abdul Aziz et Khalil Islam, deux des trois personnes inculpées pour le meurtre de Malcolm X en 1965, viennent en effet d’être disculpés de toute implication dans l’assassinat du leader de « l’organisation pour l’unité afro-américaine ». Contre toute attente, c’est un documentaire paru sur Netflix nommé « Qui a tué Malcolm X ? », retraçant les faces cachées de cette affaire qui a permis de rouvrir un procès en 2021. Lors de celui-ci, de nouvelles preuves de l’innocence des prévenus ont été apportées, aboutissant à un mea culpa de la ville de New York et à un dédommagement total de 26 millions de dollars aux parties lésées.
Pourquoi ces personnes ont-elles été accusées à tort et qui est ce fameux Malcolm X ? Entre complot judiciaire et clivages ethniques, retour dans les méandres de l’une des époques les plus sombres de l’histoire moderne des Etats-Unis.
Une figure de proue des mouvements d’émancipation afro-américains
Malcolm Little, nom de naissance de Malcolm X, est un jeune Afro-américain né dans le Nebraska au début du XXème siècle et qui deviendra rapidement l’un des principaux symboles de la lutte pour les droits des minorités noires aux Etats-Unis. C’est lors d’un séjour à la prison de Norfolk entre 1946 et 1952 que celui-ci découvrit les écrits et pensées de Nation of Islam, une organisation promouvant une vision non-conforme de l’Islam ainsi qu’un nationalisme noir aux Etats-Unis. D’après son leader de l’époque Elijah Muhammad, cette organisation religieuse désirait également la création d’un État réservé uniquement aux Afro-Américains. Il est important de mentionner que c’est Malcolm Little, désormais nommé X, qui contribua au succès grandissant de l’organisation en s’affichant comme son porte-parole. Il fit ainsi passer de 500 à 30’000 le nombre de membres en l’espace de seulement neuf années après sa libération en 1952.
L’idéologie à laquelle adhérait l’ex-prisonnier différait en partie de celle de Martin Luther King dans la manière à utiliser pour obtenir l’émancipation des Afro-Américains; le premier militant pour une lutte « par tous les moyens possibles » tandis que le second prôna la non-violence afin d’accéder à ses revendications.
Cette vision polarisée des pensées de Malcolm et King est cependant à relativiser. D’après un article de Stéphane Bussard paru dans Le Temps en 2018, les deux hommes avaient en effet bien plus en commun que ce que les médias laissaient transparaître à l’époque. Malcolm X se voyait ainsi « comme un citoyen du monde qui cherche à unir les opprimés de la planète » tandis que Martin Luther King cherchait plus à « contraindre la société américaine à intégrer la minorité afro-américaine. » Le socle de leurs doctrines respectives était de ce fait similaire, c’est-à-dire lutter pour les droits des ethnies minoritaires et leur permettre d’être des citoyens à part entière. Ce rapprochement entre les deux personnalités deviendra encore plus important dès le retour de Malcolm X d’un pèlerinage à La Mecque lors duquel il se convertit à l’Islam sunnite. Il décrira son voyage comme tel: « Durant toute la semaine qui vient de passer, j’ai été à la fois interdit et charmé par la bonté et la gentillesse déployées, autour de moi, par des personnes de toutes les couleurs. » Il ajoute également « qu’il y avait des blonds aux yeux bleus et des noirs africains. […] nous nous soumettions tous aux mêmes rituels, dans un esprit d’unité et de fraternité que mes expériences, aux États-Unis, m’avaient amené à croire impossible entre un Blanc et un Noir. » Les propos mêmes du concerné nous permettent de comprendre qu’il considère désormais qu’une cohabitation pacifique entre des hommes noirs et blancs est possible. Cette approche s’écarte de celle plus radicale proposée par Nation of Islam et constitue une des nouvelles fractures apparaissant entre le porte-parole et les cadres du mouvement islamiste. Les rumeurs d’adultère accusant le dirigeant Elijah Muhammad finirent par faire déborder le verre et menèrent à l’exclusion de Malcolm X en 1964, à la suite d’une opposition ouverte de ce dernier contre Muhammad.
Fin tragique et controverse
L’importante médiatisation de l’orateur ainsi que les tensions grandissantes avec les partisans de Nation of Islam ne fit qu’aggraver la situation au fil des mois suivants. Ces derniers n’acceptèrent pas les critiques de leur ancien représentant et s’opposèrent au nouveau mouvement lancé par Malcolm X, intitulé « l’organisation pour l’unité afro-américaine. » Le 14 février 1965, une bombe finit par exploser devant sa maison de New York, acte qui sera rapidement attribué à Nation of Islam. Une semaine plus tard, la vedette de Harlem donnera finalement un dernier discours dans une salle de son quartier new-yorkais, lors duquel il recevra plus de 21 balles de revolver. Les deux personnes citées en introduction de l’article accompagnées de Moudjahid Abdul Halim sont rapidement accusées d’être responsables du meurtre malgré le manque flagrant d’évidences devant les incriminer. Ils écopent chacun d’une peine de réclusion à perpétuité.
L’histoire aurait pu s’arrêter là mais le documentaire intitulé « Qui a tué Malcolm X ? » sorti en 2020 sur Netflix est venu remettre en question les thèses officielles concernant cette affaire, et permit de rouvrir l’enquête sur l’affaire Malcolm X. On y apprend notamment par l’intermédiaire d’un historien que Abdul Halim aurait avoué être le seul responsable parmi les trois inculpés de l’attentat envers l’influent conférencier, car selon lui ces derniers « ne pouvaient pas se trouver sur les lieux du crime ce jour-là. » Il aurait également énoncé les noms de quatre autres meurtriers, tous membres de Nation of Islam et ayant pris part à l’assaut durant le discours. Le documentaire va également plus loin en suggérant une implication indirecte du FBI dans cet assassinat. Des agents infiltrés auraient effectivement été présents dans la salle de spectacle et n’auraient rien tenté pour empêcher le désastre, la direction du bureau d’enquête ordonnant par la suite à ces agents fédéraux de ne pas révéler leur présence. De nombres recueils de témoins impliquant d’autres personnes n’ont de plus pas été pris en considération lors du procès de nos accusés.
Tous ces éléments laissent à penser qu’une condamnation n’aurait pas été prononcée en 1965 si les magistrats avaient eu ces preuves en leur possession. Il faut cependant se remémorer le climat de cette décennie aux Etats-Unis. Le « Civil Rights Acts » de 1964 abolissant les mesures de discrimination dans le pays venait à peine d’être ratifié et le climat d’oppression à l’encontre des Afro-Américains était encore fortement présent sur une majorité du territoire. Muhammad Abdul Aziz et Khalil Islam constituaient simplement les « coupables idéaux » pour les autorités judiciaires de l’époque. Étant donné l’implication de différents protagonistes et le risque que Malcolm X représentait aux yeux des forces de sécurité, il était plus judicieux de ne pas creuser plus en profondeur.
Pour conclure, ce revirement du procureur de New York ainsi que les réparations octroyées ne sont qu’une réparation des dommages causés par un système dépassé et opposé aux principes des droits de l’Homme. Ce thème reste malheureusement toujours d’actualité, à une époque où nous ne pouvons pas (ou plus) considérer les droits et la liberté comme des valeurs acquises. Nous nous devons donc de préserver cet héritage et de continuer à le faire valoir au sein de nos sociétés. Comme le dirait Nelson Mandela, « Que nos choix soient le reflet de nos espoirs et non de nos peurs. »
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