Que se passe-t-il dans le monde (n°1) ? Retour sur les plus grands bouleversements de l’Histoire iranienne

Depuis fin septembre, l’Iran est au cœur de tous les titres de la presse internationale. Le 13 septembre, Mahsa Amini, 22 ans, a été arrêtée à Téhéran pour « port de vêtements inappropriés » par la police des mœurs. Elle décédera 3 jours plus tard à la suite d’un coup porté à la tête. Alors comment expliquer l’influence de la police des mœurs sur le peuple iranien et la mort d’une jeune fille causée par une mèche de cheveux qui dépassait de son voile ? Et pourquoi le voile, interdit dans les années 30, a été imposé un demi-siècle plus tard ? Retour sur les évènements qui pourraient être le début d’une véritable révolution.

De l’Empire Perse à État impérial d’Iran

Au XVIIIe siècle, l’Empire perse est une puissance majeure. C’est au cours de la première guerre Russo-persane de 1804 à 1813 que la Perse perd plusieurs territoires, notamment le Caucase, le Daghestan, l’Azerbaïdjan et la Géorgie orientale. Puis lors de la seconde guerre, de 1826 à 1828, elle perd encore ce qui sera l’actuelle Arménie.

L’autorité de la dynastie est alors affaiblie. Le pays va mal : la classe dirigeante est corrompue et le peuple est exploité par ses dirigeants. Les puissances coloniales russe et britannique tirent parti de cette situation : grâce à leur supériorité militaire et technologique, elles dominent le commerce de l’Iran et interfèrent dans les affaires internes du pays.[1]

C’est au début du XXe siècle qu’une véritable révolution au sens politique du terme s’opère. La révolution constitutionnelle persane permet, pour la première fois dans l’Histoire, l’adoption d’une constitution et une forme de parlement en 1905. Les intellectuels, pour la plupart formés en France, sont pro-occidentaux. En 1917, à la suite de la révolution soviétique, les Russes se retirent quelque temps et laissent toute la place à l’Angleterre qui dominera l’Iran pendant de nombreuses années. Ceux-ci sont grandement intéressés par la découverte de pétrole en 1908, et la Première Guerre mondiale ne va que renforcer l’influence de l’Angleterre. [2]

En 1921, Reza Chah, alors dirigeant des armées perses, mène un coup d’Etat et devient chef du gouvernement de l’Empire perse, puis empereur en 1925. À son arrivée au pouvoir, le pays est dans un état de « sous-développement abyssal »[3]. Il va alors mener une politique de modernisation à grande échelle : services et infrastructures modernes, notamment la création de chemins de fer, d’un système éducatif national et une amélioration du système de santé, des codes de lois inspirés de l’Europe, une égalité des sexes et la promotion de la culture iranienne. Il va même jusqu’à interdire le port du voile et obliger les hommes à porter des vêtements « à l’occidentale ». En 1925, il va également vouloir se couper des empires coloniaux qui occupaient son pays et change son nom officiel « Empire perse » en « État impérial d’Iran » – Iran étant déjà employé par ses habitants pour désigner le pays. Il va ensuite inviter la communauté internationale à utiliser le bon terme en 1935. Si son règne est marqué par de grands progrès techniques, la manière dont il va l’imposer avec fermeté et autoritarisme va quelque peu « contrarier » la population notamment vis-à-vis de la religion et des traditions locales. L’État restera monarchique jusqu’au renversement du dernier chah Mohammad Reza Pahlavi en mars 1979.[4]

La révolution iranienne de 1979

En 1941, Mohammad Reza Pahlavi succède à son père. Il veut moderniser l’Iran pour en faire une puissance influente sur la scène internationale.

En 1963, de grandes réformes économiques – notamment l’augmentation du prix du pétrole et l’exportation d’acier – permettent à l’Iran de s’occidentaliser davantage et d’avoir une forte croissance économique. On parle alors de révolution blanche. Malgré cela, les premières oppositions commencent à se faire entendre et dénoncent un régime inégalitaire, marqué par la corruption, les atteintes à la constitution, les inégalités sociales ainsi que par les affronts fait à l’Islam. Le shah reste insensible à ces contestations et mène une politique de plus en plus autoritaire, laissant place à une dictature en une décennie.

Une figure va s’opposer au régime, c’est l’Ayatollah Khomeiny, un des leaders de l’opposition religieuse. Il va être contraint à l’exil en 1964, pour s’être dressé contre le shah qu’il traite de tyran. Il s’insurge contre l’occidentalisation de l’Iran et désire établir une république islamique. Il va vite s’imposer comme le guide de la révolution iranienne.

Le 7 janvier 1978, le gouvernement iranien publie une tribune contre le leader et provoque un soulèvement dans plusieurs villes du pays. Des attentats terroristes ainsi que des émeutes marquent le début de cette révolution. Durant l’été et le ramadan, de plus en plus de gens manifestent dans les rues de Téhéran. Les religieux, qui souhaitent une république islamique et les laïcs, des opposants politiques à un régime qui n’est plus démocratique depuis longtemps, unissent leurs forces et réclament le départ du shah, ainsi que le retour de Khomeiny. Malgré une politique d’ouverture, les émeutes reprennent et le shah se voit obliger d’appliquer la loi martiale. Il va également interdire toutes manifestations. Le lendemain, le 8 septembre 1978, Téhéran s’embrase – c’est le vendredi noir.

Malgré les tentatives du shah pour reprendre un semblant de pouvoir, les manifestations continuent et le 16 janvier 1979, le shah prend la fuite. L’Ayatollah Khomeiny peut alors revenir dans le pays. Il prendra le pouvoir et déclarera la République islamique deux mois plus tard. [5]

Soulèvement de 2009 et révolution verte

Le nouveau régime est un régime obscurantise, et les premières divisons s’installent. Les femmes, qui avaient obtenu de nombreux droits sous le régime des shahs de 1925 à 1979, commencent à manifester pour ne pas perdre leur droit, notamment celui de ne pas porter le voile. Dans les années 80, les forces khomeynistes vont prendre le contrôle de ce mouvement et éliminer toutes les autres formes d’opposition.

Le gouvernement nouvellement formé fonctionne avec le guide suprême à la tête du gouvernement, et un président. Seul deux guides suprêmes ont gouverné, l’Ayatollah Khomeiny de 1979 à 1989 et l’Ayatollah Khamenei depuis 1989. Le guide suprême est là pour garantir la survie du régime de la révolution islamique. Quant au président, il joue un rôle d’exécuteurs et ne possède pas réellement de pouvoir. C’est donc le guide suprême qui domine et le président devient un outil de manipulation du régime. Mais le président ne peut pas être n’importe qui. En effet, le conseil des gardiens filtre les candidatures pour être sûr que le candidat soit conforme à l’Islam. C’est pour cela que les élections ne sont pas une alternative démocratique.

Le mandat de Mohammad Khatami, président de 1997 à 2005, est illustré par une politique un peu plus ouverte, quoique grandement limité, en témoigne la révolte des étudiants de 1999 qui a été réprimé violemment. A contrario, Mahmoud Ahmadinejad, président de 2005 à 2013, est très conservateur. Un retour du contrôle de la société iranienne est mis en place, notamment la police des mœurs. Certains de ses propos (contestations de l’Holocauste et de l’existence d’homosexuels en Iran) font que la communauté internationale va se détourner peu à peu de l’Iran. Des sanctions économiques vont être mises en place.

C’est la réélection de Mahmoud Ahmadinejad en 2009 qui va mettre le feu aux poudres. Le peuple iranien le prend comme une insulte, car c’est le guide suprême qui impose son candidat et nie complètement la majorité de l’opinion publique. Malgré les mesures dites démocratiques, les élections de 2009 restent encastrées dans un régime totalitaire. [6]

Va naitre alors le mouvement vert, qui provient de la « remise en question des irrégularités et des fraudes électorales massives commises lors de la présidentielle du 12 juin 2009, et du mépris d’Ahmadinejad à l’encontre des contestataires » [7] qu’il a qualifiés de « poussières » et de « superflus ». Des millions d’Iraniens brandissent alors la couleur verte comme symbole d’un islam rationnel, démocratique et ouvert sur le monde. Ils vont descendre dans les rues de Téhéran pour défendre leur dignité et revendiquer la restitution de leurs voix confisquées. Ils avaient massivement participé à l’élection (le taux de participation était de 85%) dans l’espoir que le régime démocratique l’emporterait sur le régime théocratique de plus en plus militariser. En vain.

Le 20 juin, une jeune femme iranienne, Neda Agha-Soltan, est abattue par les Basijs et meurt devant les caméras. La vidéo amateur de l’assassinat va se propager rapidement à travers internet. Neda Agha-Soltan va alors devenir une véritable figure du soulèvement.

Révolution (?) de 2022

Quelques années plus tard, la situation n’a pas beaucoup changé. L’Histoire de l’Iran depuis l’instauration de la République islamique est ponctuée de manifestations réprimées de manière sanglante. Elle est néanmoins caractérisée par une succession de président plus ou moins conservateurs.

Mais en 2021, c’est l’élection d’Ebrahim Raïssi, conservateur notoire. Il va nettement durcir la police des mœurs. Créée en 2005, elle veille à ce que les lois de la République islamique soient appliquées. Dans les faits, cette police surveille surtout les tenues des femmes : port du voile, vêtements amples et sans couleurs. En cas de non-respect de ces lois, les femmes risquent de la peine d’emprisonnement jusqu’à la flagellation. Le problème, c’est que les lois ne définissent pas clairement ce qu’est une « tenue descente » et les arrestations sont dans les mains très arbitraires des policiers.

Le 13 septembre 2022, c’est précisément de cela que va être victime Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs pour « port de vêtements inappropriés » alors que des cheveux dépassaient de son voile. Elle décédera 3 jours plus tard, le 16 septembre, des suites de ses blessures, causé par les policiers lors de son arrestation. À la suite de sa mort, des manifestations vont commencer à apparaitre dans plusieurs villes du pays. Mahsa Amini va devenir un véritable symbole de la lutte pour les droits des femmes et des libertés. Les femmes vont alors brûler leur voile et se couper les cheveux, en répétant le slogan « Femme ! Vie ! Liberté ».

Mais la chose inédite par rapport aux autres mouvements contestataires, c’est que la colère concerne toutes les classes sociales et toutes les femmes soit la moitié de la population iranienne. En 1999, la révolte concernait les étudiants, en 2009, elle concernait les classes moyennes et supérieures et en 2017-2019 : les classes populaires. Mais la révolte de 2022 est une sorte de synthèse de ces trois mouvements.

Devant l’ampleur du mouvement, le régime va couper Internet pendant plusieurs jours fin septembre, tentant ainsi d’empêcher les manifestants de communiquer entre eux. Cela ne les empêchera pas de se rassembler dans de plus en plus de villes à travers le pays. Les autorités vont alors « déployer leur arsenal judiciaire »[8] et menacer les manifestants de la peine capitale ; menaces mises à exécution le 13 et 15 novembre contre deux manifestants iraniens qui seront condamnés à mort. D’après un bilan publié le 12 novembre par Iran Human Rights, une ONG basée à Oslo, au moins 326 manifestants ont été tués en Iran depuis le début du mouvement. Et plus de 15’900 personnes auraient été incarcérées, d’après une estimation de l’ONG HRANA, partagée par les Nations unies.

Quant à l’ayatollah Khamenei, il ne se prononcera que le 3 octobre, silencieux depuis le début des manifestations. Il accuse ouvertement les Etats-Unis et Israël de mener à distance ces « émeutes », selon ses termes, dans le but de déstabiliser la République islamique.

Mais voilà que, coups de théâtre, le 3 décembre 2022, le procureur général annonce que « le Parlement et le pouvoir judiciaire travaillent sur la question du port du voile », sans préciser ce qui pourrait être modifié dans la loi. Cette annonce pourrait en étonner plus d’un, puisque le président avait durci les restrictions vestimentaires. Le procureur annonça également le 4 décembre que la police des mœurs allait être abolie. Il ajouta que « la police des mœurs n’a rien à voir avec le pouvoir judiciaire, et qu’elle a été abolie par ceux qui l’ont créée », à savoir, le président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad en 2005.[9]

Toutefois, le procureur a précisé que le voile restait obligatoire et que la justice allait « continuer de surveiller les comportements des citoyens dans la société ».[10]

Deux scénarios s’offrent pour la suite des évènements : une phase de répression qui va produire de nouveaux soulèvements, qui seront réprimés, etc. ou alors une phase prérévolutionnaire, mener par en bas.

Les annonces du procureur indiquent en tout cas cette direction : le port du voile fait partie de l’identité idéologique du régime depuis 1979, ce qui en fait une question quasi-existentielle pour le régime. Mais les autorités ont l’air de peu à peu sortir du déni et de prendre en considération les revendications des manifestants – réclamer davantage de droits pour les femmes, mais aussi davantage de justice, la fin des violences policières ou encore la chute de la République islamique. Le régime tente probablement de limiter les émeutes et leur colère afin d’éviter un renversement total du gouvernement, en montrant un certain degré d’ouverture pour contenter les manifestants.

L’avenir nous dira si ces annonces n’étaient qu’un moyen comme un autre d’apaiser les tensions ou si elles auront un réel impact sur les citoyens iraniens. Il est possible que ces annonces ne changent pas la loi sur le hijab et qu’une milice différente soit créée à la place de la police des mœurs. Quoi qu’il en soit, ces annonces restent absolument inédites depuis 1979 et sont porteuses d’espoir.

Gwendoline Munsch
Gwendoline Munsch
Cliquez sur la photo pour plus d’articles !

 

Sources:

  1. Iran – Wikipédia

  2. Sina Badiei, chercheur au centre Walras-Pareto lors de la Conférence « Regards croisés sur les évènements en Iran » le 29.11.22
  3. Ambassadeur britannique de l’époque
  4. https://www.iranchamber.com/history/reza_shah/reza_shah.php
  5. La révolution iranienne (1979) – Les archives de la RTS
  6. Iran : combien de révolutions ? Le Dessous des Cartes – Arte
  7. Iran : le mouvement vert, révolte sans révolution, Azadeh Kian-Thiébaut, p.187, Cairn.info, 2012
  8. « Manifestations en Iran : retour sur deux mois d’une révolte « inédite » qui fait trembler la République islamique » – France Info
  9. RTS info
  10. Simone Media

Dans la même thématique, la rédaction vous propose les articles suivants :

8 MARS : LES FEMMES INSPIRANTES
– LES FEMMES* DE HECONOMIST –

Graphical user interface, website Description automatically generated
THE PLACE OF AFRICA IN THE 4TH INDUSTRIAL REVOLUTION; AMLD AFRICA, CONFERENCE REPORT
– KHALIL ELAOUANI –

LA RÉVOLUTION RUSSE : UN COMPLOT MAÇONNIQUE ?
– SINAN GUVEN –