Dans son dernier essai, La tyrannie du divertissement, aux éditions Buchet Chastel, l’économiste Olivier Babeau, directeur et fondateur de l’institut Sapiens nous livre ses réflexions sur l’évolution et l’utilisation du temps libre. Il note que l’explosion de ce dernier cache un effet pervers. «Réussir a toujours été un travail à plein temps. De ce point de vue, rien n’a changé. Mais ce travail n’est plus le même qu’autrefois, et tout le monde ne l’a pas compris.»
L’utilisation de son temps libre
Olivier Babeau débute en remontant le cours de l’histoire au sujet des habitudes de temps libre chez l’homme. Les évolutions sociétales des derniers siècles ont considérablement changé le quotidien de l’homme. On estime qu’en 1841, un homme travaillait 70% de sa vie éveillée. Ce chiffre est tombé à 12% en 2015. Avec l’avènement technologique que nous connaissons, le temps consacré au loisir a cru de manière significative. Cette évolution peut sembler des plus réjouissantes. Nous avons en effet davantage de temps à utiliser comme bon nous semble, cependant il ne faut pas en ignorer les dangers.
Parmi les dizaines d’heures libérées chaque semaine, bon nombre sont utilisées à mauvais escient. Il est remarquable de voir que le temps consacré au divertissement a récemment explosé. A force d’abondance, nous ne nous questionnons plus sur le sens donné à ces activités. Le plaisir immédiat est devenu hégémonique. Le temps libre est utilisé «de façon dérisoire à scroller le fil infini de vaines discussions», dénonce l’auteur. Face aux nouvelles technologies et à leurs opportunités, répond «la vacuité sans cesse grandissante du bourdonnement de nos activités de communication».
Olivier Babeau suggère en conséquence un sérieux rééquilibrage de nos activités extra-professionnelles. Le temps passé au loisir studieux (skholè en grec), c’est-à-dire à l’amélioration de soi, doit être augmenté. L’aspect professionnel est aussi à prendre en compte. Il faut capitaliser son temps, ne plus le perdre. Cela est devenu indispensable pour exister sur le marché du travail.
Le prix de la réussite
Au XIXe siècle le concept de mobilité sociale a émergé. Il était alors possible de grimper dans la hiérarchie sociale alors même qu’on venait d’un milieu modeste. Cet événement est inédit dans l’histoire de l’Homme. A force de travail acharné, certains ont réussi à se défaire de leurs conditions natales et ont performé sur le plan professionnel. Ceci constitue un avancement majeur dans la lutte contre les inégalités. Il ne faut cependant pas omettre que les conditions à la naissance ainsi que l’héritage jouaient un rôle prépondérant.
De nos jours, la mobilité sociale est toujours là mais les mécanismes qui la caractérisent ont évolué. Il est désormais question de capitalisme cognitif comme l’explique l’auteur. “L’essentiel de notre réussite professionnelle, scolaire et finalement de notre bien-être se construit lors de nos loisirs”. De plus, le travail à fournir pour conserver sa place dans la société est colossal. L’auteur le résume comme ceci : “Quand tout avance autour de soi, il faut avancer pour rester immobile”. Olivier Babeau constate aussi qu’avec le développement exponentiel du savoir humain, l’homme doit diversifier ses connaissances. ”Le XXe siècle était celui des spécialistes; le XXIe est celui des généralistes.”
Dès lors, la lutte contre les inégalités a changé. Elle ne se concentre plus seulement sur l’école et le travail. Il est temps de réaliser l’importance des loisirs dans l’émancipation des individus. Une partie de la population étant absorbée par le divertissement, les disparités se creusent. Nous jouons tous au même jeu mais nous n’avons pas tous connaissance des règles. La différenciation se fait dorénavant par nos hobbys.
Résister à l’immédiateté
La guerre cognitive que nous vivons est féroce. Nous pouvons nous demander si nos autorités politiques sont compétentes et légitimes à restreindre les activités purement divertissantes. Au moment même où nous nous posons ces questions, la Chine agit déjà avec des mesures fortes. Le nombre d’heures de jeux-vidéo est contrôlé au même titre que le temps passé sur l’application Tik Tok. Ces mesures sont explicites et visent directement à lutter contre “l’opium mental”. Ironie du sort, cette application est née en Chine et ce sont les occidentaux qui en subissent les plus forts méfaits.
Attendre des mesures politiques n’est pas la solution. Il faut dès à présent remettre ses habitudes de divertissement en question. L’art d’occuper son temps libre est le principal défi que nous devons relever. Même si le but de cet article n’est pas de juger de manière infondée les activités de chacun, il faut être lucide et comprendre que toutes ne se valent pas. Mettre de côté les plaisirs immédiats au profit d’un bien être plus pérenne fait partie des solutions.
Le progrès technologique avait velléité à démocratiser la culture ; à l’ère de Tik Tok et Instagram, il n’en est rien.
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Sources
La tyrannie du divertissement (Ed.buchet Chastel, 2023)
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