Cela fait de nombreuses années que les grands projets de centrales nucléaires sont passés à la trappe en Suisse, sans même parler des centrales à charbon ou à mazout, qui sont un concept qu’on attribue volontiers au siècle passé.
Comment donc assurer la transition énergétique, en se débarrassant de toute source non renouvelable dans le mix énergétique ? La réponse est simple me direz-vous, il suffit de remplacer les anciennes centrales thermiques polluantes par des complexes de production d’électricité renouvelable. Et pourtant, quand on se penche sur le sujet, l’issue apparaît bien moins clair qu’elle ne semble l’être. Les lacs de montagnes les plus propices à l’installation d’un barrage hydroélectrique en sont déjà pourvus, nous avons donc peu ou prou atteint une limite physique à la production d’énergie hydroélectrique. L’énergie solaire et éolienne est loin d’avoir la fiabilité de production des centrales thermiques, ni même leur facteur de capacité (% du temps où la production est assurée à la capacité nominale), sans parler des difficultés administratives et de l’opposition populaire que rencontrent les grands projets de parcs solaires ou éolien. La production d’électricité à l’aide de géothermie nécessite quant à elle un investissement initial tel qu’elle est peu envisagée et qu’aucune prédiction sérieuse ne la voit occuper plus que quelques faibles pourcents du mix énergétique à l’avenir. Les autres technologies se trouvent soit au stade de recherche, soit ne sont pas envisageables afin de pouvoir produire à grande échelle.
Dès lors, comment faire ? Ne va-t-on jamais se débarrasser des sources d’énergies polluantes ? Faut-il tout miser sur une baisse drastique de la consommation ? Je ne peux répondre avec certitude à cette question, cependant, une solution semble se profiler à l’horizon, dans un avenir relativement (parfois même extrêmement) proche : un changement d’échelle dans la production électrique.
De quelques gros producteurs à pléthore de petites installations
En quoi cela consiste-t-il ? Jusqu’à présent, nous avons parlé des grandes centrales et de systèmes massifs de production énergétiques, car cela représente encore la source principale de l’énergie que nous consommons. L’architecture d’un tel réseau est celle que nous connaissons tous : plusieurs centrales (nucléaires, hydroélectriques, à charbon, à gaz, solaires etc.) disséminées sur le territoire délivrent de grandes quantités d’électricité sur les lignes à haute tension, qui alimentent par la suite de plus petites lignes, et ainsi de suite jusqu’à ce que cette électricité arrive dans les prises de votre maison ou appartement. Lorsque la demande est élevée, les centrales tournent à plein régime, et lorsque celle-ci est faible, la production baisse et le surplus peut être revendu sur le réseau européen. C’est un système de production nationale à grande échelle que connaît la Suisse, ainsi que la plupart des pays, depuis plusieurs décennies. Le changement d’échelle à l’aube duquel nous nous trouvons certainement vise à opérer un transfert d’une grande partie de la production énergétique des grandes centrales nationales vers de petits systèmes locaux. L’architecture d’un tel réseau s’articule ainsi : la production est gérée par un ensemble d’installations de toutes tailles et de tous genres, allant du parc éolien en haute montagne aux quelques de panneaux solaires installé sur un immeuble à Lausanne. Par principe, chaque installation assure la consommation électrique de ce sur quoi elle est positionnée et éventuellement des voisins proches. En cas de différence entre production et consommation, le réseau électrique national se charge de redistribuer le courant, comme c’est le cas actuellement, avec l’aide supplémentaire de batteries de différentes taille (en passant des systèmes individuels à l’image des Tesla Powerwall aux stations de pompage-turbinage liées à des barrages, qui sont essentiellement de gigantesques batteries) afin d’absorber les fortes variations.
La différence avec le système centralisé que nous connaissons actuellement se situe donc essentiellement au niveau la manière dont l’énergie est produite et de l’échelle à laquelle cette production est assurée. C’est en quelque sorte une manière décentralisée de produire l’électricité nationale dont tout un chacun a besoin. Les avantages d’un tel changement d’architecture de réseau électrique sont nombreux : cela permet de réduire les inconvénients de la production solaire et éolienne énoncés auparavant, ouvre la porte à l’installation d’une grande puissance de production d’énergie renouvelable, facilite le financement de la transition énergétique et réduit le risque de pénurie et de panne critique en diversifiant l’approvisionnement électrique. En effet, nous parlions plus tôt du faible facteur de capacité de la production éolienne ou solaire, qui est essentiellement dû au fait que le vent, tout comme l’ensoleillement, varie en fonction de la météo et de l’emplacement. En étalant la capacité de production à travers tout le pays à la place de la concentrer dans quelques grands parcs, l’utilisation du vent et du soleil comme source d’énergie s’en trouve maximisée : si les plaines brumeuses du Nord Vaudois ne peuvent assurer leur propre consommation, elles peuvent en partie compter sur les côtes ensoleillées du Léman pour les approvisionner. L’installation à large échelle de systèmes de stockage d’électricité permet quant à elle d’absorber les variations de production et de consommation, ce qui fait qu’une grande capacité installée de production d’énergie renouvelable (par exemple des panneaux solaires sur les toits de tous les immeubles) serait en mesure de réponse aux besoins énergétiques de la population. De plus, accorder la responsabilité d’installation des infrastructures de production à des consommateurs ou groupes de consommateurs individuels (propriétaires, coopératives d’habitation, entreprises etc.) permet non seulement une installation et un financement plus rapide et plus facile, installer des panneaux solaires sur un toit prend tout au plus quelques mois et quelques dizaines de milliers de francs tandis qu’un grand parc peu prendre des années et des dizaines de millions avant d’être inauguré ; mais également une diversification du risque financier, ce dernier n’étant plus assumé par quelques grands groupes à la merci du marché, mais par d’innombrables individus, nettement moins sensibles aux fluctuations du prix de l’électricité.
Quelques acteurs du changement
Assez parlé de théorie, laissez-moi vous présenter quelques exemples de solutions qui poussent le futur de l’énergie dans ce sens et qui fournissent les outils nécessaires à ce changement d’échelle, à commencer par la plus aboutie. Romande Energie a développé depuis quelques années son système appelé Microgrid, qui permet de relier les immeubles d’un quartier entre eux grâce à un système de réseau-électrique miniature qui permet de maximiser l’utilisation d’énergie locale produite directement par ces immeubles.
Source: Romande Energie
En ce qui concerne le financement des installations, il est possible de faire appel à des prestataires qui ne font payer que l’énergie produite ou consommée, en installant sur le toit des bâtiment des panneaux photovoltaïques dont ils restent propriétaires. Une entreprise du nom de Younergy offre de tels services, qui permettraient donc une installation généralisée de panneaux solaires sans que les propriétaires d’immeubles et de maison aient tous à payer le prix complet de l’installation.
D’autres solutions plus spécifiques à certains besoins ou certaines activités ont également été développées, à l’image d’insolight qui propose des panneaux solaires réglables à disposer sur les serres, ou encore Sun-Ways qui envisage de déposer des panneaux solaires sur les voies de chemin de fer afin de profiter de cet espace inutilisé et de pouvoir facilement en assurer la maintenance.
Source: insolight
Source: Sun-Ways
Nouveau paradigme, nouveaux enjeux
Bien entendu, avec l’arrivée d’un nouveau système de production et de distribution énergétique tel que celui qui a été esquissé durant cet article, viennent aussi de nouvelles questions et de nouveaux défis afin de permettre le bon fonctionnement de celui-ci. A commencer par une modification du dimensionnement du réseau : à cause de la décentralisation de la production, celui-ci se doit de pouvoir encaisser des grosses charges d’électricité et ce, peu importe où sur le territoire. En effet, le réseau électrique n’est plus distributeur d’électricité, mais redistributeur, c’est-à-dire qu’il ne se contente plus de seulement acheminer le courant des centrales (ou producteurs) vers les consommateurs, mais fait office de réseau d’échange entre les innombrables producteurs. Ainsi, des lignes électriques habituellement dimensionnées pour amener du courant d’un point A à un point B devront être capables de faire également transiter le courant du point B au point A, ainsi que de gérer les fluctuations en terme d’énergie produite. Le dimensionnement du système de production devra également être revu à la hausse, car les infrastructures devront pouvoir d’assurer l’approvisionnement énergétique même lors des pires scénarios possibles (une soirée d’hiver froide sans soleil et sans vent). Ce surdimensionnement soulève également des questions quant à l’utilisation des ressources afin de construire et maintenir toutes ces installations, notamment photovoltaïques, qui s’avèrent souvent être gourmandes en matériaux polluants.
D’aucuns prétendent qu’il faut être acteur du changement que l’on veut voir advenir. Dès lors que l’on parle de transition énergétique, chaque citoyen doit fournir des efforts afin de diminuer sa consommation individuelle. Ainsi, pourquoi ne pas également commencer à tous contribuer à la production d’une énergie plus propre pour tous ?
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SOURCES (cliquez sur les titres pour en savoir plus)
Quand le solaire se fait une place entre les rails du train – swissinfo.ch
Véritable batterie géante, la centrale de Nant de Drance entre en service – rts.ch