Le 6 mai 2022, l’association E4S, Climact et le Centre de l’Energie organisaient une conférence en trois temps :
Un éclaircissement sur la gestion des émissions de GES par Yasmine Calisesi, Directrice du Centre de l’Energie de l’EPFL. Suivi d’une explication sur le retrait du carbone, net zéro et la création d’un « Fond Suisse pour les émissions négatives » par le professeur de l’EPFL Philippe Thalmann et le chercheur de l’EPFL Sascha Nick, puis une intervention sur les enjeux sociétaux et de gouvernance par le Directeur exécutif de CLIMACT Nicolas Tetreault et le directeur adjoint du Centre de compétences en durabilité de l’UNIL Augustin Fragnière.
Après cette conférence, les inscrits ont pu participer à une Table ronde par les panélistes Adèle Thorens Goumaz, Philippe Thalmann, Stefan Vannoni et Sophie Wenger pour discuter de l’application des promesses faites en paroles ; comment rendre le retrait du carbone opérationnel dès maintenant ?
La conférence commence tout d’abord par la description des corps associatifs et professionnels, la collaboration multidisciplinaire de E4S, ClimAct et le Centre de l’Energie.
E4S (Enterprise for Society) se concentre sur l’enseignement et la recherche des grand défis sociétaux, notamment sur l’environnement. Le Centre d’action et d’impact sur le Climat (ClimAct) est un centre conjoint de l’EPFL et de l’UNIL qui promeut la recherche interdisciplinaire, mettant en œuvre des initiatives qui répondent aux défis sociaux, scientifiques et technologiques sur des questions environnementales. Le CEN promeut la recherche énergétique dirigée par l’EPFL. Voici donc les trois collaborateurs ayant pour but aujourd’hui de discuter de ce but impératif : le projet pour la Suisse de zéro émission nette en 2050.
Philippe Thalmann introduit cette conférence par les résultats de la Suisse et ses promesses après sa signature des accords de Kyoto en 1998. La Suisse manque son but, comme chaque année depuis l’an 2000. Pour M. Thalmann, c’est la conséquence d’un manque d’investissement, car même si tout le monde est d’avis qu’il y a une urgence climatique, les sacrifices de la croissance économique, le renoncement à de nouveaux marchés ou simplement au niveau personnel le renoncement à des voyages remettent toujours cette urgence au second plan. M. Thalmann parle également de ce faux espoir des nouveaux moyens de production d’énergie qui, au lieu de remplacer les moyens de production polluants, s’additionnent en réalité pour ne pas avoir d’impact significatif.
Il est temps d’agir avec des projets et modèles concrets et arrêter de « renoncer à renoncer ».
Eclaircissement sur la Gestion des Emissions de GES par Yasmine Calisesi
La première partie, plus théorique, est présentée par Yasmine Calisesi, qui nous explique ce que les scientifiques entendent par « Gestion des émissions de gaz à effet de serre ».
Mme. Calisesi nous explique les trois différentes origines du CO2 (les énergies fossiles extraites et donc provoquées par l’humain, la biomasse et l’atmosphère directe contenant naturellement du CO2). Il y a alors « 3 chemins » pour gérer ces émissions de carbone. Le premier chemin étant celui choisi par les Etats et les industriels actuellement ; ne rien faire. Laisser s’échapper le CO2 d’origine fossile qui est émis dans l’atmosphère en ne gérant ni usines ni voitures. Cette conséquence d’émission positive nette n’est absolument pas durable, et c’est donc ce que l’on veut à tout prix éviter maintenant. Le deuxième chemin est de capturer les émissions à leur source (CCS, CCU), essayer d’atteindre une neutralité carbone. Le captage du CO2 se fait par combustion, par enfouissement sous terre (séquestration du CO2 qui en réalité est même bénéfique puisqu’il permet de stimuler la production de pétrole) ou son stockage dans des matériaux ou produits comme le plastique. C’est donc un bilan carbone neutre ; on émet et on fait disparaître. Une autre approche du chemin numéro deux est la reforestation, la renaturation d’espaces verts, etc. En effet, durant leur croissance, les arbres absorbent du CO2 de l’atmosphère et le stockent.
Cependant, ce chemin n’est toujours pas la finalité désirée du projet présenté durant cette conférence. C’est là qu’on nous présente le chemin trois, le fameux but « Emissions négatives ». La filtration directe et le stockage/séquestration du CO2.
Ces photos, présentées par Mme. Calisesi, sont des ventilateurs aspirant directement l’air. Ils filtrent alors le CO2 et le captent pour le transformer et le séquestrer à très long terme.
Yasmine Calisesi finit son exposé montrant que beaucoup de recherches sont faites à ce sujet et que les modèles prouvent que ce type d’ambition est définitivement réalisable.
Explication sur le retrait du carbone, Net Zéro et la création d’un « Fond Suisse pour les émissions négatives » par Philippe Thalmann et Sascha Nick.
La conférence se poursuit avec la présentation de deux recherches menées par le professeur Sascha Nick et M. Philippe Thalmann, une publication en décembre 2021 « Retrait du carbone, net zéro, et implications pour la Suisse » et une publication de mars 2022 « Fonds Suisse pour les Emissions Négatives – comment payer pour le Net Zéro ». Deux articles brillants disponibles sur le site E4S (https://e4s.center/documents/?lang=fr) proposant l’article en totalité ainsi qu’un court résumé exécutif de deux pages plus simples à lire.
M. Sascha Nick nous explique l’importance majeure d’un arrêt des émissions de CO2 dues aux énergies fossiles. Il y a 7 actions clés nécessaires à l’action climatique : la sobriété, c’est-à-dire la réduction de la consommation et de la production superflue, la recherche d’efficience, la focalisation sur les énergies dites « propres », la séquestration du CO2, etc. Ces actions sont indispensables pour stabiliser la température de la planète, stabiliser la concentration de CO2 dans l’atmosphère et réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Il insiste ensuite sur un point qu’il qualifie d’essentiel : relaisser sa place à la biodiversité, car le climat et la diversité sont liés, et les actions faites pour l’un sont toujours bénéfiques pour l’autre. M. Nick nous apporte un exemple suisse : les marais suisses, qui en 1800 représentaient 2500 km2, soit 6% du territoire du pays, actuellement présents sur 15 km2 du territoire, et seulement 1,5km2 en bon état. Pour que la biodiversité des marais se reconstruise, il faudrait comme objectif d’en restaurer 1000km2 en Suisse. La reforestation est aussi une option, la plus souvent mentionnée car la moins coûteuse. Cependant, cette solution reste moins efficace qu’on ne l’entend, car si la Suisse voudrait couvrir son empreinte carbone, il faudrait reforester 2 fois le territoire helvétique…
Le professeur Nick nous présente alors une de leurs solutions : « le Fond Suisse pour les émissions négatives », qui a pour vocation de financer des projets concrets pour la lutte contre le réchauffement climatique et en faire bénéficier la biodiversité en faisant payer les pollueurs d’aujourd’hui, ce qu’il appelle « les pollueurs-payeurs ».
Son collaborateur Philippe Thalmann poursuit la présentation de leur fond, montrant que les régimes actuels sont voués à l’échec. En effet, de nos jours, les méthodes utilisées sont la taxe CO2 qui encourage à réduire les émissions vers zéro sans aller au-delà, et le système d’échange de quotas d’émissions (SEQE). Ce système oblige les industries et usines à disposer d’un permis pour chaque tonne de CO2 émise. Ces certificats se vendent sur le marché, permettant à certaines entreprises de polluer plus mais à un certain coût, aujourd’hui tarifé à près de 80 €. Ce modèle n’incite même pas à la neutralité carbone, il est donc impossible d’atteindre l’émission négative si convoitée.
Le Fond Suisse pour les émissions négatives est donc le premier modèle pour financer les émissions négatives. L’argent accumulé sera ensuite investi dans différents projets concrets contre la pollution et le contrôle des émissions de CO2. Cela se combinera avec la diminution de la pollution des industriels qui chercherons à réduire leurs coûts compte tenu des frais grandissants.
Intervention sur les Enjeux Sociétaux et de Gouvernance par Nicolas Tetreault
La conférence continue par l’exposé de Nicolas Tetreault concernant le besoin de gouvernance pour ces questions d’objectivité carbone, la question écologique et environnementale étant un objectif planétaire. Il nous explique que beaucoup de pays comme la Suisse ou la Chine se sont engagés dans les Accords de Paris, qui appellent à la responsabilité de chaque Etat pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, visant à contenir le réchauffement mondial moyen et limiter la hausse de la température à 1,5 °C.
M. Tetreault nous rappelle que même si seulement 3 gros pays (US, Chine et Inde) sont responsables de 49, 3% des émissions de CO2 dans l’atmosphère, ils ne doivent pas être les seuls à agir. Maintenir une solidarité économique et technologique face à ce défi global est crucial. La responsabilité historique est nécessaire, et la question de « devoir réparer » est alors d’actualité. M. Tetreault nous concentre sur la question de gouvernance en Suisse, qui selon lui a encore beaucoup de progrès à faire. Le potentiel des NET n’est en effet pas réparti également entre les cantons, car le potentiel de captage forestier ou le potentiel de séquestration géologique n’est simplement pas égal à travers le territoire helvétique. Une nécessité de collaboration et d’entraide est donc indispensable pour que la Suisse puisse avancer.
Le directeur de ClimAct est donc convaincu que le Fond Suisse de préfinancement pour le NET peut permettre aux institutions publiques et privées de prendre leurs responsabilités pour leurs émissions passées et présentes, et ce dans le respect d’une trajectoire de réduction du CO2 compatible avec les Accords de Paris. Ce marché de crédit de stockage carbone respectueux des préoccupations sociales et environnementales permettra de sensibiliser et d’impacter réellement la Suisse et le monde.
La conférence se termine par un Q&A et une table ronde.
Nous remercions l’association E4S d’avoir organisé cette conférence plus que d’actualité et urgente.
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