Investissements des entreprises dans l’énergie verte: décarbonée et décentralisée

Dans le cadre de la 6ème édition de l’événement Focus 2023 d’HEConomist intitulé Durabilité et énergie, examinons ici les dynamiques actuelles faisant des énergies vertes celles qui sont durables. Une énergie durable est d’abord un produit bon marché. Mais depuis février 2022 (agression contre l’Ukraine), l’approvisionnement énergétique est devenu problématique pour l’Europe qui manque de souveraineté. La facture énergétique pèse sur les entreprises, et l’inflation ainsi que les risques de pénurie ont vite (et bien) fait de repositionner la question de l’énergie verte à la croisée des enjeux futurs.

Aujourd’hui, le prix des énergies fossiles et du bois de chauffage sont en constante augmentation en raison de l’instabilité des marchés sous tension (spéculation ou indisponibilité des matières). Du point de vue du porte-monnaie, ces énergies-là ne sont pas vertes, pas durables. Le charbon, le gaz, le nucléaire et le bois ne sont pas des énergies adéquates pour la santé publique, l’environnement, la souveraineté économique, la stabilité financière et la sécurité géopolitique.

Seules les énergies bon marché (économiquement stables), accessibles (décentralisées, locales) et non- nocives pour la santé (moins polluantes, voire non-polluantes), sont durables (renouvelables, disponibles longtemps), autrement dit vertes: le solaire photovoltaïque, l’éolien terrestre, l’éolien en mer, l’hydro- électrique, le biogaz, le biométhane.

Infrastructures industrielles, océans pollués, transports polluants, agriculture intensive, incendies de forêts, ouragans, inondations, sécheresse, réchauffement, tremblements de terre, la liste et longue. Les alertes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat oscillent entre apocalypse et espoir à l’égard du phénomène global du dérèglement climatique (au sujet duquel le consensus scientifique à échelle mondiale date de 2006/2007). Mais pas besoin de tomber dans le pessimisme béat pour constater qu’investir maintenant dans un actif décarboné et décentralisé, ce n’est pas un risque, et qu’à l’inverse, investir dans le vert, c’est choisir le profit sur le long terme.

Au carrefour de la transition, l’horizon vert est inéluctable pour les entreprises.

Décryptage avec Mme Isabelle Kocher de Leyritz, cheffe d’entreprise (CEO de Blunomy, France). Forte de son expérience à la tête d’Engie, elle travaille à la réconciliation de deux besoins vitaux: le besoin de continuer de produire l’énergie (un bien essentiel dont la régularité de la production est un enjeu majeur pour l’ensemble de l’économie) avec le besoin 3D (décarboner, digitaliser et décentraliser).

Forte de son expérience en matière de transition, l’optimisme de Mme Kocher de Leyritz est « actif: avec un aspect piéton, il faut démarrer par quelque chose, aller tester une intuition, s’attaquer à l’obstacle concret, plonger à l’intérieur de la machine et changer les réglages ».

Pour avoir réussi à impulser dans un groupe de 150’000 salariés l’intuition fondamentale qu’il faut aller vers le zéro carbone, faire sauter les verrous qui empêchent la transition, inverser les représentations du risque et de la performance, en fonction de la vitesse à laquelle l’entreprise opère la transition, et non en fonction du profit à court terme, Mme Kocher de Leyritz prouve que c’est chose possible puisque les technologies vertes existent, les investisseurs dirigent l’argent vers elles et les entreprises peuvent les utiliser pour faire du profit.

Une intime conviction du dirigeant ainsi qu’une réelle force de sa part pour convaincre les autres, permet de sauter le pas, faire émerger quelque chose de praticable, réunir un consensus des employés, des actionnaires et des investisseurs: l’impulsion du leader vers l’horizon 3D, c’est participer à la course des champions du climat (race to zero).

Décarboner

Le principal obstacle, c’est l’effort d’investir: « il n’y a pas de mystère, quand il faut arrêter une technologie polluante, il y a un moment où il faut faire l’effort d’investir ».

La bascule commence toujours par coûter, sauf qu’une fois la vallée moins attractive de cette cuvette de transformation verte traversée, à long terme les investissements dans le renouvelable sont rentabilisés bien plus que dans la logique de rentabilité à court terme.

Au lieu de juger la performance d’une entreprise sur des paramètres de rentabilité à court terme (bilan à un instant t), en mesurant son succès en terme d’effort d’investissement dans le vert, la vitesse de transition et de potentiel vert futur (résultat du mouvement) devient intéressante et cela permet alors aux investisseurs de réallouer les masses d’argent disponibles vers les entreprises qui font l’effort d’investir dans le vert.

Le futur n’est jamais pressé: les meilleures récoltes sont en réalité celles des cultures ou élevages que l’on rythme au cycle des saisons, et non celles boostées à tout bout de champ et qui appauvrissent les sols, assèchent la terre et produisent de la nourriture pauvre en qualité, voire carrément mauvaise pour la santé.

Pareil pour les investissements de toute entreprise: l’investissement qui se compte en termes de décennies est meilleur, et le risque est moins élevé quand il est estimé en fonction de ce qui est durable (vert). À l’inverse, ne pas investir maintenant dans la direction de cet horizon est synonyme de prise de risque (faillite) car les critères habituels de financement freinent et étouffent les investissements dans l’étau des paramètres volatils et immédiats (profit à court terme).

Avec ce mouvement systémique d’inversion du risque, on contribue à réaligner et solidifier les projections, freiner la volatilité, et à inciter plus fortement tous ceux qui sont en situation de décider: « si je me compare à d’autres, si je prends des risques, cela va se voir avec le transition score, et je vais attirer plus d’argent et plus de talents ».

Jamais autant qu’aujourd’hui, le capital circule. Pour les investisseurs, l’enjeu est alors de rediriger le cash flow là où les énergies décarbonées se trouvent.

Mme Kocher de Leyritz explique que « la capacité de ce flot d’argent de trouver les entreprises et les projets qu’elles ont à financer, n’est pas forcément toujours là, parce que les projets ne sont pas forcement des très gros investissements, donc un certain nombre de gros fonds ne savent pas adresser cela, car quelque part c’est trop petit pour eux ».

Avec les centrales à charbon, à gaz ou nucléaire, les outils d’investissement sont habitués à financer des gros objets avec des tickets de plusieurs centaines de millions de francs. Mais déjà ,les investisseurs se spécialisent dans le financement non pas de quelques gros actifs, mais de milliers de petits projets: « cela fourmille de partout ».

Décentraliser

Avec le solaire, les infrastructures de production d’énergie sont décentralisées, de plus petite taille et intégrées au bâtiment, correspondant à un foisonnement de plein de petites choses et en très grand nombre:

« C’est petit mais il y en a des millions donc à la fin cela fait des tickets énormes, mais sous une forme dont les acteurs financiers n’ont pas l’habitude ».

Avec la technologie du biométhane, le biogaz est produit localement à partir des résidus agricoles, des effluents d’élevages et des déchets fermentescibles, 100% renouvelable grâce à l’épuration, et il a la même qualité que le gaz naturel, pouvant ainsi être injecté dans les réseaux gaziers pour chauffer, cuisiner, et aussi comme carburant.

L’enjeu du vert est énorme car il existe autour de lui un potentiel énorme pour les investisseurs et les entrepreneurs de revaloriser les milliers de ruralités (production de lait, oeuf, fromage, viande, céréales, fruits, légumes), de recréer des emplois dans les petites/moyennes exploitations agricoles.

À la place du profit industriel des grandes surfaces, décentraliser a l’intérêt de recréer les métiers auprès de la terre, des animaux et de leurs produits (laitier, fromager, boucher, maraicher).

Et, a-t-on réellement besoin de dire quels sont les avantages évidents pour la santé du consommateur final, de consommer des produits frais, locaux ?

Si à une époque (après la guerre en 1945 notamment), nos parents ont eu probablement la bonne idée d’industrialiser et mondialiser le commerce et les énergies, visiblement à notre époque, il s’agit de relocaliser avec des technologies encore meilleures.

Les cycles sont intrinsèques à la nature : ils ont lieu d’une manière ou d’une autre.

À l’image du jardinier qui sème aux phases croissante pour faire pousser et fleurir, et décroissante pour enraciner dans la terre, le credo de l’entreprise verte serait: donne des ailes à ton entreprise pour voler, des racines pour revenir, et des raisons de rester.

Heidi Leclerc
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