Imaginez Genève en 2023, en plein chantier. Partout où vous regardez, rien n’est comme avant. En traversant la rue du Rhône, tous les bâtiments sont arrachés, et la ville est bruyante et sale. Même pendant les nuits, les bruits ne s’arrêtent pas. Vous en avez marre, mais vous ne pouvez rien y changer pour les 20 prochaines années à venir. Votre maison sera détruite pour une meilleure cause, et vous devez quitter votre appartement, votre petit coin auquel vous êtes si attaché. Tout cela a été décidé par décret de l’État. Vous perdez tout : vos amis, voisins, votre petite boulangerie préférée où vous vous faisiez plaisir avec une tartelette aux framboises les samedis et dimanches matin, le magasin où vous faisiez vos courses, le fitness, les transports en commun, car tout est en transformation, et même la cour d’école du quartier où vous avez passé votre enfance disparaitra.
En tout, 60% de la surface de Genève sera transformée, et finalement, la vieille ville sera totalement remplacée par de grands boulevards avec des gratte-ciels modernes, transformant la ville en un nouveau Manhattan sur les rives du lac Léman. Pour vous, il n’est plus possible de retourner en ville, car les prix ont considérablement augmenté après la transformation, et vous ne reconnaissez plus cet endroit.
De manière similaire, de nombreux Parisiens ont vécu une transformation douloureuse de leur capitale pendant vingt ans, de 1853 à 1870, sous le Second Empire français. Cependant, la ville de Genève, avec ses 16 km² de surface, reste presque cinq fois plus petite que Paris en 1860, qui faisait 78 km², donc imaginez-vous un chantier multiplié par cinq. C’est quelque chose qui apparaisse absurde pour nous aujourd’hui, d’autant plus qu’en Suisse, tous les travaux sont soumis à des procédures lentes et ne concernent que rarement un quartier entier.

UNE VISION SANS COMPROMIS
Mais qu’est-ce qui a amené les Parisiens à faire une chose aussi radicale ?
Ce n’est pas le peuple qui a décidé, c’est Napoléon III, neveu de Napoléon Ier, qui entre autres a grandi en Suisse au bord du lac de Constance et a fait son éducation militaire à la caserne de Thoune, qui voulait transformer la cité médiévale en une métropole glamour et splendide qui impressionnerait les autres puissances du continent et rivaliserait avec des villes comme New York et Londres. Une poursuite par mégalomanie ?
La réponse est à la fois oui et non, car le Paris de cette époque était sombre, non seulement pour les femmes mais aussi pour les hommes, avec des dangers omniprésents la nuit tels que voleurs, violeurs et meurtriers. Les petites rues étaient trop étroites pour les carrosses, et tout cela était accompagné d’odeurs abominables. En outre, les conditions d’hygiène déplorables ont aggravé la situation, entraînant l’émergence de maladies dans la population, comme le choléra en 1832, qui a sévi à Paris et dans d’autres villes d’Europe, éclatant à Saint-Pétersbourg en 1830. C’est pourquoi on parlait de « nettoyage » de Paris, dans le but d’améliorer les conditions de vie et la sécurité des citoyens, ainsi que de développer des moyens de transport et de communication plus efficaces.
Cependant, l’une des raisons cachées aux citoyens était la construction de grands boulevards pour permettre à l’armée de se déplacer plus facilement avec ses troupes et de positionner ses canons, dans le but de contrecarrer une éventuelle nouvelle révolution. Napoléon III., n’avait pas oublié les révolutions de 1789 et 1848, cette dernière étant particulièrement sanglante et encore fraîche dans la mémoire collective.
UN TRAIT SUR LA CARTE CHANGE DES VIES ENTIERES
Néanmoins, Napoléon III nomme le Baron Haussmann en tant que responsable de ce projet immense. Il était destiné à ce rôle comme personne d’autre. Il fait réaliser des cartes extrêmement précises de Paris pour travailler avec une justesse impressionnante derrière son bureau sur ces plans de constructions ambitieux. Son objectif était de créer de grands axes à Paris en reliant toutes les nouvelles gares construites à chaque extrémité de la ville. Les grands boulevards devaient relier un monument à l’autre, créant ainsi cette esthétique emblématique que l’on associe à Paris, à l’instar des Champs-Élysées qui relie l’Arc de Triomphe à la Place de la Concorde. De là, vous pouvez admirer d’un côté l’Assemblée nationale et de l’autre l’église de la Madeleine. En marchant un peu plus au Nord-Est, on arrive sur l’avenue de l’Opéra, offrant une vue splendide sur l’Opéra Garnier, accompagné des immeubles haussmanniens.

RIEN N’ECHAPPE AU MAÎTRE
Il est allé jusqu’au plus petit détail en imposant même le style et l’organisation des bâtiments appelés « haussmanniens », avec leurs façades uniformes et leurs balcons en fer forgé, donnant à Paris son charme caractéristique. En examinant les bâtiments, on peut constater les règles qu’il a établies : le rez-de-chaussée est réservé aux magasins et boutiques, avec un petit deuxième étage où vivent les propriétaires de ces établissements. Le deuxième étage, avec son balcon allongé le long du bâtiment et ses hautes fenêtres, est réservé à la clientèle aisée, l’aristocratie ou la grande bourgeoisie, constituant le meilleur appartement du bâtiment. Ensuite, le troisième et quatrième étage, avec ses fenêtres légèrement plus petites, est destiné à une clientèle au porte-monnaie bien garni. En montant les étages, la hauteur des fenêtres diminue, et sous le toit se trouvent les petites chambres du personnel des grands appartements du deuxième étage. À cette époque, les ascenseurs n’étaient pas encore présents, et devoir monter de nombreux escaliers était considéré comme peu luxueux. De plus, le dernier étage avant le toit est également équipé d’un balcon allongé sur la longueur du bâtiment, mais l’étage est légèrement en retrait, permettant au soleil de pénétrer au plus profond de la rue.

LES CHIFFRES GIGANTESQUES
Avant les constructions, Paris comptait 100 km d’égouts. Après les travaux, cette étendue atteignit 600 km au total. Des réservoirs d’eau furent créés pour approvisionner les habitants en eau propre. Environ 20 000 bâtiments furent détruits, et environ 50 000 bâtiments haussmanniens furent construits. De plus, d’importants parcs furent aménagés, tels que le Parc Monceau, le Parc des Buttes-Chaumont, le Parc Montsouris, et les Bois de Boulogne et Vincennes. Ces espaces verts visaient à offrir aux habitants des lieux de loisirs et une proximité avec la nature.
Environ 80 000 ouvriers travaillèrent jour et nuit dans des conditions misérables et dangereuses, ce qui entraîna la mort de plusieurs centaines d’entre eux. Durant cette période, l’Opéra Garnier fut construit, l’Arc de Triomphe achevé, et de nombreux monuments furent rénovés, tels que le Louvre et le Palais de Justice. D’immenses palais d’expositions furent également érigés pour les expositions mondiales de 1855 et 1867. Ces événements étaient attendus par l’empereur comme l’occasion de présenter au monde sa métropole, surnommée « la ville des lumières ».
La population de Paris passa d’environ 800 000 habitants en 1848 à 2 000 000 en 1870, en partie grâce à l’annexion et à l’intégration des banlieues à la ville de Paris.

LA CHUTE DE L’EMPIRE ET LA DETTE COLOSSALE RESTANTE
En 1870/71, Napoléon III plonge son empire dans une guerre avec l’Allemagne, et la France perd. L’empereur doit abdiquer et s’en va en exil à Londres, où il mourra en 1873 à l’âge de 64 ans. Haussmann avait été renvoyé de son poste avant la chute en 1870, en raison de l’accumulation d’une dette colossale de 2,5 milliards de Francs, soit le double du budget prévu. Les voix des opposants se firent encore plus fortes, car Haussmann n’avait pas soumis ses plans à un comité de contrôle et agissait librement, suscitant des rumeurs sur des méthodes de travail douteuses et corrompues.
En détruisant 60% de la surface de Paris, en construisant des bâtiments coûteux et en poussant les ouvriers en dehors de la ville en raison de l’augmentation des prix et de l’impossibilité de payer les loyers en centre-ville, son image devint controversée. Les Parisiens devront rembourser sa dette jusqu’en 1914. Malgré ces changements politiques, Paris continua d’être transformé sous la IIIème République, avec des projets tels que la construction de la tour Eiffel, du Grand et du Petit Palais et plusieurs autres projets.
CONCLUSION
Le charme et la beauté de Paris que nous connaissons aujourd’hui ne nous laissent pas penser aux troubles et aux douleurs causés par sa transformation de 1853 à 1870. Aujourd’hui, un tel chantier ne serait jamais envisageable dans les démocraties occidentales. Seuls les régimes plus autoritaires, comme en Arabie saoudite ou à Dubaï, pourraient réaliser de tels projets, comme en témoigne l’annonce d’un immense projet appelé le « Mirror City », qui devrait s’étendre sur une longueur de 170 kilomètres. Cependant, même ce projet ne poussera pas les gens à quitter leur ville car il est construit en plein désert.

La transformation de Paris peut nous paraître aujourd’hui grotesque et absurde, mais grâce à l’ambition d’un homme et de son entourage, Paris est devenu ce qu’il est aujourd’hui. Chaque année, de nombreux touristes viennent à Paris pour admirer notamment son architecture et se perdre dans le romantisme d’un temps passé. La splendeur et la magnificence du Second Empire, une période d’extravagance et de romantisme aventureux, sont encore perceptibles aujourd’hui dans les somptueux palais que l’on peut visiter en tant que musées ou hôtels. Il ne faut néanmoins pas oublier qu’avant 1853, Paris était encore une ville médiévale avec de petites rues, comparable à la ville de Strasbourg ou à la vieille ville de Bâle aujourd’hui, bien qu’elles aient été modernisées et soient maintenant propres.
L’histoire a beaucoup plus à raconter que cet article ne peut le présenter ici. Si vous souhaitez en savoir plus, je vous recommande de regarder un documentaire lors d’une soirée tranquille, car il en existe de nombreux, ou de visiter le musée Carnavalet lors de votre prochain séjour à Paris, qui est consacré à l’histoire de la ville.

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SOURCES (cliquez sur les titres pour en savoir plus)
https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9ographie_de_Paris
https://www.persee.fr/doc/r1848_1155-8806_1928_num_25_127_1138
https://www.lelivrescolaire.fr/page/6643131
https://www.lepoint.fr/histoire/haussmann-1809-1884-20-08-2013-1715489_1615.php
https://www.paris.fr/pages/haussmann-l-homme-qui-a-transforme-paris-23091
Photo :
https://mimimatelot.blogspot.com/2015/04/avant-haussmann.html
https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/le-paris-haussmannien
https://www.pinterest.fr/pin/620582023666975733/
https://www.paris.fr/pages/haussmann-l-homme-qui-a-transforme-paris-23091
https://unsplash.com/de/s/fotos/pont-alexandre
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