Dans le paysage politique suisse contemporain, une tendance préoccupante semble se dessiner : une tolérance croissante envers la xénophobie. L’évolution récente de la politique suscite des préoccupations quant à cette tendance et à son acceptabilité croissante dans le débat public. Un exemple frappant de cette dynamique s’est manifesté lors d’une récente intervention de l’élu jurassien Thomas Stettler, qui a fait preuve d’un étonnant cynisme en se qualifiant lui-même de xénophobe, quelques jours seulement après les élections fédérales. Il a clarifié sa position en définissant la xénophobie comme la peur et la crainte envers les étrangers, suggérant que la progression de l’Union Démocratique du Centre (UDC) lors de ces élections pourrait être liée à la xénophobie de ses électeurs, craignant notamment de perdre leurs acquis ou leur travail.
Ces déclarations suscitent des questions sur d’éventuels changements au sein de la droite suisse, notamment en ce qui concerne une possible radicalisation de sa politique ou une ambiguïté dans l’interprétation des positions de l’UDC. De plus, les récents liens entre l’UDC et des groupuscules d’extrême droite font l’objet d’une enquête approfondie pour déterminer s’il existe un potentiel d’extrémisme violent. Cet article se propose d’explorer en profondeur ces dynamiques, cherchant à comprendre les ramifications de cette montée de la xénophobie et les possibles conséquences sur le paysage politique suisse.
Définition de l’extrême droite :
Selon les explications du professeur Oscar Mazzoleni sur la RTS, il n’existe pas de définition claire et univoque de l’extrême droite. Selon les politologues, deux dimensions principales se dégagent : d’une part, certains partis sont positionnés plus à droite sans que cela implique un jugement de valeur spécifique. D’autre part, l’extrême droite est perçue comme une menace pour la démocratie libérale, souvent associée à une nostalgie du passé et à des groupes nazis ou fascistes, voire à des forces directement héritières de la tradition fasciste ou nazie.
Souvent, dans le débat entre ces deux dimensions, la question reste ouverte. Il est important de noter que le sens des termes varie d’un pays à l’autre en fonction de leur histoire respective. L’extrême droite évolue en fonction du contexte, et les sensibilités historiques jouent un rôle crucial. C’est pourquoi il existe de nombreux termes pour la qualifier, en fonction du pays analysé. Cette diversité de terminologies peut entraîner des confusions. Selon Oscar Mazzoleni, il serait préférable de définir plus souvent les termes que nous utilisons, en particulier dans les médias et sur les réseaux sociaux.
Alors que la presse étrangère n’hésite pas à qualifier l’Union démocratique du Centre de parti d’extrême droite, les médias suisses préfèrent, en général, le terme de droite conservatrice, populiste ou encore nationaliste. Lorsque l’on parle de l’UDC, on souligne souvent leur cadrage sur des thèmes comme l’immigration, la sécurité nationale et la souveraineté. De plus, on mentionne leur utilisation de messages simples et dans le registre de l’émotion pour gagner le soutien des électeurs. Cependant, l’étiquette « populiste » est souvent utilisée pour dénigrer le parti, comme une forme de critique. La question de savoir si l’engagement politique de l’UDC va trop loin dans son franc-parler et ses initiatives percutantes se pose davantage avec les liens occasionnels entre les groupes extrémistes comme la Junge Tat et certaines sections du parti suisse, ce qui accentue les critiques sur leur politique jugée trop radicale par certains.
Le groupuscule d’extrême droite « Junge Tat » :
Peu connu en Suisse romande, le groupe Junge Tat se présente comme un mouvement identitaire et patriotique mais est également associé à la violence physique, ce qui a conduit à une surveillance de la part de la police fédérale. Avec une vingtaine de membres actifs, ses membres auraient été engagés pour notamment soutenir la campagne électorale de l’UDC.
Le groupe a suscité la controverse ces trois dernières années, en déployant une banderole avec le slogan « Migrants go home » au Tessin, et en perturbant un événement de lecture pour enfants animé par des drag queens à Zurich. À la suite de ces incidents, la Junge Tat a été identifiée par la Confédération comme un groupe potentiellement dangereux en raison de son inclinaison à la violence. Aujourd’hui même, plusieurs procédures verbales sont en cours contre ses membres.
Cette qualification de « groupe extrémiste » concerne principalement leurs actions en ligne, où ils encouragent par exemple des formations patriotiques, promeuvent le retour des migrants dans leur pays d’origine, partagent des écrits liés à l’identité nationale ou organisent des séances d’entraînement collectif de boxe. Leur symbole de ralliement est la rune tyr, également utilisée par les nazis et par le réseau néonazi scandinave Nordic Resistance Movement.
En Suisse, la détection et la prévention de l’extrémisme violent sont du ressort du Service de renseignement de la Confédération (SRC). Pour que ceux-ci puissent collecter et traiter des données sur l’extrémisme violent, il ne suffit pas que les personnes, les organisations ou les événements aient un passé idéologique ou politique. Ce qui compte vraiment, c’est qu’ils soient effectivement liés à la violence, c’est-à-dire qu’ils commettent, encouragent ou prônent la violence, y compris en appelant explicitement à son utilisation pour atteindre leurs objectifs. Les personnes qui se radicalisent politiquement ne rentrent donc pas dans le périmètre d’intervention du SRC, à moins qu’un lien concret avec la violence puisse être établi.
Implication de l’UDC avec des groupes extrémistes violents : analyse de chaque cas
La Junge Tat promeut la re-émigration des immigrants et partage des idées néonazies. Bien que l’UDC exprime un désir de contrôler l’immigration, elle n’a jamais condamné ouvertement ces groupes, contrairement aux autres partis suisses. Les différences d’opinion sur la condamnation de la Junge Tat par les partis s’observent à propos de plusieurs cas :
- En octobre 2022, à la suite d’un incident dans une école de Zurich impliquant la Junge Tat, l’UDC était le seul parti à ne pas cosigner une lettre de condamnation.
- En novembre 2023, Maria Wegelin, présidente de l’UDC Winterthour, a démissionné après que le journal SonntagsBlick ait révélé qu’elle avait sollicité le soutien de deux activistes de la Junge Tat pour sa campagne électorale et leur avait demandé de faire de la publicité pour elle sur les réseaux sociaux. Le journal a également rapporté que le chef de la Junge Tat était membre des Jeunes UDC de Thurgovie, bien que le groupe ait affirmé envisager son expulsion.
- En mars dernier, la Junge Tat a invité l’idéologue autrichien Martin Zellner, connu pour ses affiliations nationalistes et pour avoir apposé des croix gammées sur une synagogue. La police a interdit sa conférence en Argovie, ce qui a suscité l’indignation des jeunes UDC argoviens sur les réseaux sociaux.
- Au début du mois d’avril, la révélation d’une rencontre secrète entre Sarah Regez et Martin Zellner a été critiquée par certains jeunes membres de l’UDC. Ceux-ci ont appelé à éviter tout lien avec de tels mouvements et ont suggéré l’exclusion de ceux qui s’y associent, arguant que cette initiative risquait de rapprocher le parti de l’extrême droite.
Des problèmes de communication entre les différentes générations et sections de l’UDC ?
Le débat interne reste agité au sein de l’UDC concernant son affiliation avec des groupes extrémistes violents, mais une volonté émergente de s’en distancer se dessine. En 2023, Manfred Buehler, interrogé par la RTS, nie toute présence significative de l’extrême droite en Suisse, soulignant que l’UDC défend les idéologies démocratiques et condamne les idéologies nazies. Il critique tout de même les préjugés négatifs autour du parti populiste. Plus récemment en 2024, la position de Sarah Regez suscite un vif débat en Suisse alémanique au sein des sous-sections du parti. Certaines d’entre-elles demandent une distance claire vis-à-vis des mouvements extrémistes. Six sections cantonales des Jeunes UDC alémaniques demandent une distanciation claire vis-à-vis des mouvements extrémistes et exigent de Sarah Regez qu’elle fasse de même.
Parmi les jeunes opposants, Jason Détraz, président des jeunes UDC de Genève, a exprimé ses opinions lors d’un forum sur la RTS. Il désapprouve l’association de certaines sous-sections du parti avec des groupuscules comme la Junge, mais critique également la tendance des partis politiques à diaboliser leurs opposants en les qualifiant d’extrémistes de droite. Détraz insiste sur le respect des lois suisses et des valeurs nationales en matière de liberté d’expression et d’opinion. Mais Micheal Maccabez, journaliste de la RTS, indique que les controverses au sein des Jeunes UDC n’ont pas d’impact sur le parti parent. Cela suggère que celui-ci ne désapprouve pas les actions des jeunes sections internes en tant qu’entité unie.
Le jeune UDC Jason Détraz admet la nécessité d’une meilleure gestion de l’encadrement et de la communication au niveau national et cantonal, notamment en ce qui concerne l’impact des jeunes partis sur les réseaux sociaux et leur influence sur des idées extrêmes via des interactions en ligne, pointant du doigt les problèmes d’image que cela peut entraîner.
L’avis des autres partis Suisse :
Selon certains partis comme le PS ou les Verts, l’UDC maintient cette position « neutre » par crainte de perdre des voix électorales. Le 3 avril 2024, les médias publics mettent en lumière l’appel de six jeunes partis demandant aux jeunes membres de l’UDC de se désolidariser de l’extrême droite. Les jeunes socialistes, les jeunes verts libéraux, les jeunes du Centre, les jeunes du parti évangélique, les jeunes verts et les jeunes PLR se sont mobilisés à cet égard. Ils soutiennent que les idées des partis d’extrême droite ne doivent pas être normalisées, car elles représentent un danger pour une société fondée sur les principes d’ouverture, de l’État de droit libéral et de la démocratie.
Xénophobie, racisme ou opinion politique ?
Dans le contexte politique actuel, les discussions sur la migration suscitent souvent des émotions vives et peuvent toucher à des sujets délicats comme la xénophobie et le racisme. Mais est-ce approprié d’associer ces notions au domaine politique ?
La xénophobie se définit comme la méfiance envers les étrangers, souvent accompagnée d’attitudes hostiles envers les migrants, les réfugiés ou les minorités ethniques. Selon un rapport d’Amnesty International de 2013, après une proposition visant à assouplir la loi sur l’asile, de nombreux Suisses montrent de la méfiance envers les étrangers, sans faire de distinction entre différentes catégories comme les demandeurs d’asile, les réfugiés ou les immigrants.
Le racisme, lui, consiste en une discrimination basée sur la race ou l’origine ethnique, souvent caractérisée par des préjugés et des stéréotypes. Il est intéressant de noter que, dans ce même rapport de Patricia Roux, beaucoup de personnes ne se rendent pas compte de leurs propres comportements racistes. De plus, certaines appartenances à des partis politiques peuvent permettre à des individus d’exprimer des attitudes discriminatoires sans être vraiment questionnés sur leurs propos.
Parfois, les termes peuvent se confondre. Par exemple, quand un parti politique adopte des politiques migratoires strictes ou mène des campagnes axées sur l’immigration, cela peut sembler xénophobe ou raciste si cela repose sur des généralisations ou des préjugés envers les étrangers. Cependant, toutes les opinions politiques sur l’immigration ne sont pas nécessairement motivées par la xénophobie ou le racisme. Certains partis politiques, comme l’UDC, peuvent soutenir des politiques strictes sur l’immigration pour des raisons liées à la sécurité nationale ou à d’autres considérations politiques et économiques.
Stratégie marketing de l’UDC : les campagnes qui font polémique
Depuis longtemps, l’UDC est au centre de l’attention et est accusée d’exploiter les craintes et les préjugés des Suisses sur les étrangers. Leurs campagnes sont souvent controversées, car certaines personnes les jugent racistes ou xénophobes. Leurs choix d’affiches et leur présence sur les réseaux sociaux sont critiqués, certains y voyant une incitation à la haine raciale. On peut donner l’exemple cliché de leur campagne de 2007, qui est resté dans tous les esprits. Lors de la campagne électorale fédérale, l’UDC a introduit le thème des « moutons noirs ». Sur l’affiche polémique, on aperçoit trois moutons blancs chassant un mouton noir – représentant les délinquants étrangers – d’une prairie aux couleurs du drapeau suisse, avec le slogan « Pour plus de sécurité ».
Plus récemment, lors des élections fédérales de 2023, l’UDC est pointée du doigt par la commission fédérale contre le racisme à propos de leur campagne « Nouvelle normalité ». Celle-ci relate les histoires réelles de population étrangères marginalisées et stigmatisées. Ces vidéos publicitaires ont pour but de montrer que les étrangers sont une des causes de la criminalité en Suisse. On note sur l’affiche : « un requérant d’asile entre par effraction dans un magasin ». Selon la Commission fédérale contre le racisme, ces sujets de campagnes sont « racistes, xénophobes et incendiaires » car ils « attisent délibérément des émotions négatives ».
Malgré les critiques et les condamnations, l’UDC maintient souvent sa position et revendique ouvertement sa communication fondée sur le thème de l’immigration pour accroître sa visibilité.
La droite suisse : vers une xénophobie nonchalante ?
Finalement, on peut aujourd’hui affirmer que la Suisse est confrontée à des défis importants en matière de xénophobie et de racisme. Il est pour cela crucial pour les acteurs politiques et la société dans son ensemble de rester vigilants et de lutter contre toute forme de discrimination et d’extrémisme violent. Il est incontestable que les actions et les positions de l’UDC suscitent des débats au sein de la société. Certaines personnes perçoivent ces actions comme relevant d’une politique migratoire stricte visant à protéger les intérêts nationaux, tandis que d’autres les interprètent comme étant teintées de racisme et de xénophobie.
L’analyse des relations entre l’UDC et les groupuscules d’extrême droite révèle une tendance préoccupante vers une tolérance croissante envers la xénophobie, même si cette évolution est loin d’être unanime et suscite des réactions diverses au sein de la population suisse et même au sein du parti en lui-même.
La question de savoir si l’UDC est un parti raciste reste complexe et sujette à interprétations, mais ses campagnes politiques controversées et ses liens avec des groupes extrémistes alimentent encore une fois les préoccupations quant à la montée de discours discriminatoires dans le paysage politique suisse.
La politique de l’UDC sur la migration reste selon eux un tabou qu’il faut surpasser pour combattre le phénomène de manière ferme. Comme nous l’indique le conseiller national valaisan Jean-Luc Addor, l’UDC doit « continuer à dire la vérité aux Suissesses et aux Suisses » et « combattre la censure ». En d’autres termes, M. Addor encourage l’UDC à rester fidèle à ses convictions et à ne pas se laisser influencer par les pressions politiques ou médiatiques, affirmant ainsi la nécessité de maintenir un dialogue ouvert et honnête sur les questions migratoires.
Face aux défis posés par la migration, les acteurs politiques et la société dans son ensemble doivent rester vigilants et engagés dans la lutte contre toute forme de discrimination et d’extrémisme. Pour ce faire, il est essentiel de faire la distinction entre les différents termes tels que l’extrémisme, le racisme et la xénophobie, tout en reconnaissant la diversité des profils des immigrants afin de ne pas céder à des jugements hâtifs et préconçus.
SOURCES (cliquez sur les titres pour en savoir plus)
Les jeunes UDC en pleine crise interne face à leur relation avec l’extrême droite
«L’UDC est à la fois un parti de gouvernement et un parti anti-establishment»
LES SUISSES, XÉNOPHOBES MALGRÉ EUX?
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