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Pétrole en Guyana : bénédiction ou malédiction ?

« Jadis pauvre, le petit pays d’Amérique du Sud connaît une forte croissance depuis que de vastes gisements pétroliers y ont été découverts. Les exemples du Venezuela, du Congo ou de l’Angola ont montré que l’afflux d’or noir pouvait anéantir un pays.

Comment le Guyana compte-t-il utiliser sa soudaine richesse ?»

— Americas Quartely

Dans le siècle des émergences des économies du Sud, les exemples de réussites et de désastres ne manquent pas. Depuis la découverte de gisements en Guyana, les investissements affluent des quatre coins du monde, et les grandes compagnies pétrolières concluent des partenariats commerciaux. Nous savons pourtant qu’il ne faut pas encore vendre la peau de l’ours, car après avoir abordé l’histoire économique de l’Argentine (lien en bas de page), nous avons appris que face à une telle situation, devant une telle opportunité, c’est le moment de se retrousser les manches et de mener le pays vers une croissance durable.

Ce qu’il y a de plus important, ce n’est pas le tremplin, mais l’envol. Des pays comme la Norvège ou l’Arabie Saoudite sont devenus des puissances économiques depuis l’exploitation de leur pétrole tandis que de nombreux pays retombent rapidement à la case départ (Venezuela, Nigeria, Angola, RDC, Iran, etc.).

Pour comprendre pourquoi il serait une erreur de mesurer la puissance économique d’un pays en prenant en compte uniquement ses ressources, et pour déterminer les facteurs qui feront basculer l’avenir du Guyana, il faut étudier la situation dans son contexte particulier.

Exploitation, diversification et diplomatie : la recette pour un avenir radieux

Le Guyana est un territoire extrêmement riche ; les terres regorgent d’or, de diamants, et de bauxite (aluminium avant d’être raffiné). Le climat est tropical modéré, propice à la culture du riz, de la canne à sucre et du café. L’exploitation du pétrole ayant fait exploser le PIB (+62 % en 2022) la diversité des matières premières pourra permettre au Guyana d’avoir plusieurs cordes à son arc. Deux contraintes sont cependant à relever : tout d’abord la dépendance aux prix des matières premières, ainsi que le besoin de mécanisation pour rivaliser avec la concurrence, comme raffiner la bauxite, décanter l’or et se doter d’une agriculture moderne. À surveiller, la Chine est très présente en Afrique pour échanger ses produits manufacturés et machines-outils en échange de matières premières. Il est alors probable qu’elle y trouve rapidement sa place.

Pour ce qui est du pétrole, l’intention est de sous-traiter l’exploitation. En effet, selon le président Irfaan Ali, le Guyana n’a ni les capitaux nécessaires, ni le soutien logistique pour fonder sa compagnie nationale pétrolière comme l’a fait par exemple le Venezuela, le Mexique ou encore le Brésil. Des contrats ont donc été conclus avec les USA (ExxonMobil, Hess Corporation), la Chine (Cnooc) et la France (TotalEnergies). Une partie des revenus étant versée au gouvernement, il est primordial que les recettes soient judicieusement réparties.

Selon les indicateurs de gouvernance de la Banque Mondiale, le niveau de corruption au Guyana reste élevé, mais inférieur à celui observé dans les pays voisins. Jusqu’à présent, les revenus ont permis de financer des bourses d’études (les infrastructures étant limitées), d’augmenter les prestations mensuelles aux retraités, ainsi que de construire et rénover des hôpitaux. Les projets à l’avenir sont la construction d’un réseau routier efficace ainsi qu’une ville moderne aux loyers abordables.

D’une part, il y a des allocations du budget dans des secteurs stratégiques de croissance, et de l’autre, une vision politique d’un accroissement de la classe moyenne dans l’espoir d’un gain de stabilité sociale.

Étant donné l’importance des investissements étrangers et des flux de trésoreries pétroliers insufflant le gouvernement, une lutte contre la corruption est primordiale, et est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le développement d’un secteur privé responsable et vigoureux est essentiel.

Celui-ci pourrait en effet agir, à certains égards, parallèlement à une stratégie de croissance de long terme pour le pays : transparence, innovation, création d’emplois (taux de chômage 2022 à 12 %), ainsi qu’une ouverture au marché international. L’ouverture et la stimulation du secteur privé sont des opérations extrêmement périlleuses, comme une graine qu’il faut nourrir doucement sans jamais l’étouffer. Sans détailler ce vaste sujet, il est en tout cas important pour le Guyana de se prémunir de bons partenaires commerciaux et d’une présence sur la scène internationale. Ambition que partage d’ailleurs Irfaan Ali : en premier lieu, il souhaite que son pays produise à grande échelle du maïs et du soja dans le but d’exporter ces produits sur le marché régional. Le pays échange également en grande quantité avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada, tandis que 31 % des biens importés proviennent de Singapour. En second lieu, il souhaite qu’il n’y ait aucun forum sur le climat, l’alimentation ou l’énergie sans la présence du Guyana. Concernant l’échiquier diplomatique, le Guyana a rejoint l’ONU en tant que membre non-permanent.

Conflits internes et externes, politique et développement à marche forcée : les cheveux dans la soupe

Bien que le Guyana prenne sa place sur la scène internationale, les relations avec ses voisins géographiques directs ne sont pas aussi amicales. La quasi-totalité de son territoire est revendiquée d’une part par le Suriname, et d’une autre, par le Venezuela qui a ravivé une revendication pourtant antérieure à son indépendance même.

À l’interne, l’origine de sa population est à 40 % indienne, à 30 % africaine et à 10 % amérindienne autochtone. En effet, elle a été une colonie britannique avant son indépendance en 1966, d’où la présence d’Indiens. L’antagonisme entre ces ethnies est relativement limité mais notable.

Si la soudaine richesse pourrait relever le niveau de vie, qui dans une certaine mesure pourrait baisser les tensions sociales (ce qui est la thèse soutenue par le gouvernement), elle pourrait également créer des disparités économiques dans le cas d’une mauvaise gestion.

Indice Développement Humain (IDH) 2021 0.714 📈

IDH selon Inégalités 2021 0.591 📉

Coefficient de Gini 2019 53.3% 📈

Indice d’inégalité de genre 2021 0.454 📉

Indice performance environnementale 2022 38.5 📉

Produit Intérieur Brut (PIB) 2023 16.329 milliards de dollar

Croissance du PIB 2023 + 77.91%

Les revenus pétroliers font gonfler les indicateurs de richesse comme le PIB et la croissance. Cependant, en regardant les indicateurs sociaux comme le coefficient de Gini, ou l’IDH, on remarque que sans son pétrole, le Guyana est un pays qui s’appauvrit, cachant une économie sous-jacente sur la paille.

C’est un bel indice pour comprendre les enjeux du pays, le Guyana ne possède pas les infrastructures nécessaires à son développement : transport, électricité, éducation, santé, ou du moins pas encore. C’est dans son rapport Vision 2040 que la présidence décrit sa stratégie de développement. Il est cependant important de garder à l’esprit que ce document provient du parti actuellement au pouvoir (le Parti Populaire Progressiste) et qu’il est donc politisé.

Souhaitant que cet article reste neutre, je me limiterais seulement à exposer les axes, et à encourager nos lecteurs intéressés à aller consulter ce document (le lien se trouvant dans les sources).

Les maîtres-mots : Diversified, Resilient, Low-carbon, People-centred

Écrit en mai 2019 par le Parti Populaire Progressiste (socialiste démocratique, populisme de gauche, affiliation avec la rencontre internationale des partis communistes et ouvriers), actuellement à la présidence avec 33 sur 65 sièges à l’Assemblée nationale qui détient le pouvoir législatif.

Dans l’ordre :

  1. Gestion des ressources naturelles :
    • Une politique fiscale et monétaire pour distribuer les revenus provenant du pétrole et du gaz (également découvert sur le territoire ouest), dans un programme « d’investissement social », qui sera budgétisé par le ministère des Finances.
    • « Possibilité » de transformer la dette publique (28 % du PIB en 2022) en produits financiers, ainsi que d’ouvrir le pays aux crédits.
    • Une gestion durable du terrain : protection de la faune et la flore, respect du territoire indigène, négociation des droits du sol.
  2. Support de la résilience économique : « La compétitivité et la résilience économique seront réalisées à travers une diversification verte et inclusive ».
    • Respect des standards d’exploitation et prospection
    • Certifications
    • Réflexions sur la part du gaz dans l’économie locale
    • Transition vers une agriculture biologique, défendue par l’argument selon lequel cela augmenterait la valeur des produits
    • Utilisation des nouvelles technologies (mécanisation)
    • Construction de « villes vertes »
    • Objectif 100 % énergie renouvelable
    • Ouverture au marché international
  3. Construction d’un capital humain et d’une capacité institutionnelle
    • Cohésion sociale
    • Recrutement de personnel de pointe dans la santé et l’éducation, « attraction de nouveaux talents »
    • Préservation des connaissances indigènes et des traditions médicales
    • Transparence des institutions

Les élections approchent, et le second parti n’est pas très loin.

Ce qui est complexe, c’est que le parti au pouvoir n’y restera probablement pas jusqu’en 2040, et le rapport stratégique s’axe sur des points touchant beaucoup à l’idéologie. Dès lors, le risque serait qu’il soit trop facilement réfuté par la suite, et que l’on se retrouve, comme pour l’Argentine, dans un balancement idéologique.

Le second risque, limpidement présent dans le rapport, est de sauter trop de marches d’un coup. On peut investir dans des projets visionnaires et progressistes, mais ceux-ci ont besoin d’un support pour fonctionner. Logistique, pouvoir d’achat et cohésion prennent du temps à se former. Sans ce support, ces projets perdent de leur pertinence. Nous avons par exemple le chantier de Silica City : une ville verte et moderne avec un terrain de golf 18 trous, que l’on pourrait retrouver à Dubaï, et cela, dans l’un des pays les plus pauvres d’Amérique du Sud.

Ni de l’optimisme, ni du pessimisme : de la prudence et de l’observation

Le pétrole sera-t-il donc une bénédiction ou une malédiction ? Le Guyana sera-t-il le Dubaï de l’Amérique du Sud ? Deviendra-t-il un cas d’école légendaire de boom économique à côté de la Corée du Sud ? Nous ne pouvons pas tirer de plans sur la comète, mais nous pouvons observer et identifier les variables qu’il faut examiner.

Premiers indicateurs, l’inflation et le taux de change. De fortes perturbations sont inévitables. La lutte contre l’inflation ainsi que la régulation du taux de change sont impératives pour le soutien du pouvoir d’achat et du commerce international. Deuxièmement, observer le développement du secteur privé, joint au secteur d’activité ainsi que du taux de chômage. Cela permet de mesurer l’effort de diversification. Troisièmement, vérifier la scission entre les preneurs de décisions politiques et économiques, comme c’est le cas dans les pays du Nord. De cela, découle l’idée de la création d’un fond souverain, qui serait une excellente nouvelle. Ce projet fait partie de Vision 2040, qui est une affaire à suivre.

De plus, sans le pétrole, la principale exploitation serait l’agriculture, la météo devient donc un paramètre crucial. La région des Caraïbes se trouve non seulement dans la zone des ouragans, mais est aussi l’une des plus durement touchée par le dérèglement climatique.

Pour finir, le climat socio-politique est déterminant : les prochaines élections auront lieu en 2025. Si le PPP a toutes ses chances, un renversement n’est pas à exclure.

En théorie, si l’avenir du pays semble tracé, n’oublions pas que l’imprévisible pourrait survenir :

ouragan, choc pétrolier, annexation ou coup d’État. Il faut également prendre conscience du caractère abstrait de l’économie : si nous pouvons déterminer les forces, faiblesses, risques et opportunités, l’avenir du Guyana pourrait pivoter d’un simple battement d’ailes, ou d’une simple poignée de main… Tandis que Nicolas Maduro, le président du Venezuela, revient à la charge après la découverte récente d’un soutien militaire étasunien, M. Jagdeo, vice-président du Guyana a affirmé :

« Ce qui nous intéresse, c’est de maintenir la paix dans notre pays et à nos frontières, mais nous travaillons avec nos alliés pour nous assurer d’être parés à toute éventualité

(…) toutes les options disponibles seront exploitées »

Finalement, espérons le financement de terrains de golf plutôt que de l’effort de guerre…

Mathieu Pardoux
Mathieu Pardoux
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SOURCES (cliquez sur les titres pour en savoir plus)

Source image 

Vision 2040 

[World Bank Open Data]

[Guyana trade balance, exports, imports by country 2019 | WITS Data]

[Le Guyana envisage l’implantation de bases militaires dans la région pétrolifère de l’Essequibo réclamée par le Venezuela]

[Situation économique et financière – GUYANA | Direction générale du Trésor]

Trésor économie 

bpifrance

 

[Guyana’s Silica City draft master plan expected mid-2024 – Caribbean News Global]

 

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