Face à l’urgence climatique ainsi qu’à la menace de la biodiversité aux quatre recoins du monde, le monde assiste à l’émergence d’une nouvelle tendance : le tourisme de la dernière chance. Ce phénomène, aussi appelé « doomsday tourism » (tourisme de l’apocalypse en français), a été étudié depuis 2008. Il consiste en un désir universel de découvrir des lieux emblématiques voués à disparaître, tels que des récifs de corail, des glaciers ou encore des forêts tropicales.
Néanmoins, la précipitation des foules dans ces environnements déjà bien fragiles n’est pas sans conséquences. D’une part, cela contribue à la dégradation des sites visités. D’autre part, cela peut aussi exposer les touristes à différents risques naturels.
Un phénomène d’affluence alimenté par les bouleversements climatiques
Le tourisme de la dernière chance repose sur un sentiment d’urgence tangible. Le recul des glaciers, le blanchiment des récifs coralliens ainsi que la menace d’extinction de certaines espèces, poussent de nombreux voyageurs à se rendre sur place afin de voir de leurs propres yeux ce qui est condamné à ne plus être.
Le cytotropisme, l’attrait pour les paysages glacés, illustre parfaitement cette tendance. Par exemple, on constate que le nombre de touristes visitant l’Antarctique a drastiquement augmenté ces dernières années : 45’083 en 2017 contre 27’537 en 2003. Ou nous pourrions aussi noter que le nombre de touristes islandais a quadruplé entre 2010 et 2019. Bien sûr, cela pourrait s’expliquer par d’autres phénomènes que le « doomsday tourism », mais cela montre tout de même une popularité pour les destinations où les répercussions du réchauffement climatique se font le plus ressentir.
Les glaciers, des lieux de plus en plus dangereux
La fonte rapide des glaciers ne se limite pas uniquement à menacer l’environnement, mais également les êtres humains. Les paysages autrefois stables deviennent de plus en plus dangereux. Les catastrophes naturelles se multiplient, et les touristes prennent des risques toujours plus importants pour contempler ces paysages imprévisibles. Ceux-ci, attirés par la promesse d’une quête unique, s’aventurent mal informés ou sans préparation sur des terrains fragiles. C’est ainsi que la « Blue Cave », une des attractions les plus prisées d’Islande, s’est effondrée sur un groupe de visiteurs en août 2024. Un incident tragique mettant en lumière les risques liés à la vulnérabilité des grottes de glace sur le tourisme de la dernière chance.
Figure : Effondrement de la blue cave
Au-delà des accidents individuels, les conditions climatiques extrêmes associées à la fonte des glaciers posent également des risques collectifs. Les inondations glaciaires, par exemple en Alaska ou en Himalaya, se produisent lorsque des lacs formés par la fonte de la glace débordent soudainement en détruisant tout sur leur passage. Ces événements deviennent plus fréquents et imprévisibles, rendant l’accès à ces régions encore plus périlleux.
Le paradoxe d’un tourisme destructeur
Le paradoxe de ce phénomène réside dans le fait que, en voulant immortaliser la beauté fragile de ces lieux, les touristes contribuent souvent à leur disparition. Le tourisme de masse exerce une pression énorme sur ces écosystèmes fragiles.
Prenons l’exemple des récifs coralliens, particulièrement prisés pour la plongée sous-marine. Déjà menacés par le réchauffement des océans, ces récifs souffrent également de dommages commis par les différents touristes. Le contact direct avec les coraux, les ancres des bateaux, ainsi que l’utilisation de crèmes solaires polluantes altèrent ces écosystèmes vitaux.
Les glaciers subissent des effets similaires. La surfréquentation des groupes de touristes entraîne une augmentation de la pollution locale, des déchets délaissés, ainsi qu’une érosion accrue. Les excursions motorisées, comme les randonnées en motoneige ou en véhicules tout-terrain, aggravent davantage la nature environnante.
Des dangers pour les communautés locales
Les impacts du tourisme de la dernière chance ne se limitent pas seulement à la nature. Les communautés indigènes vivants à proximité subissent également ses effets, qui peuvent être à la fois positifs et négatifs.
Dans certaines régions, le tourisme est une source de revenus essentielle, mais qui devient éphémère. Lorsque les glaciers auront disparu ou que les récifs auront cessé d’attirer les plongeurs, ces communautés perdront leur principale source de rémunération. Cette dépendance économique rend ainsi les autochtones vulnérables face aux différentes retombées du réchauffement climatique.
Par ailleurs, la surfréquentation peut entraîner des tensions locales. L’augmentation des flux touristiques engendre souvent des problèmes liés à la gestion des ressources : pénuries d’eau, hausse des déchets, et urbanisation rapide. Ces effets, combinés à la pression psychologique de voir des paysages familiers disparaître, contribuent à ce que certains appellent la « solastalgie », un sentiment de détresse face à la transformation irréversible de son environnement.
Figure : Surfréquentation et déchets sur l’Everest
Une prise de conscience nécessaire
Le tourisme de la dernière chance suggère donc une question fondamentale : comment concilier le désir d’explorer et de contempler ces merveilles naturelles, tout en les préservant ?
Certaines initiatives montrent qu’un tourisme plus responsable est possible. En Islande, des quotas de visiteurs ont été introduits dans certaines zones pour limiter la surfréquentation. Conjointement, des campagnes de sensibilisation informent également les touristes sur les comportements à adopter afin de minimiser leur impact. De même, certains récifs coralliens ont été déclarés zones protégées, interdisant toute activité humaine potentiellement nuisible.
À l’échelle individuelle, les voyageurs peuvent également jouer un rôle en réduisant leur empreinte écologique. En privilégiant des séjours plus longs mais moins fréquents, en choisissant des modes de transport moins polluants, ou encore en adoptant des comportements plus respectueux de l’environnement, les curieux peuvent explorer de manière plus durable.
Vers un nouveau rapport au voyage
Le tourisme de la dernière chance reflète une tension complexe entre la contemplation et la conservation. Il est possible, et nécessaire, de repenser notre rapport à la nature et aux voyages. Le « slow tourism », par exemple, invite à ralentir et à se reconnecter aux lieux que l’on visite, en privilégiant la qualité de l’expérience sur la quantité des destinations.
Mais au-delà des choix individuels, une réponse collective est nécessaire. Les gouvernements et les organisations internationales doivent travailler ensemble afin de réguler l’accès aux sites fragiles et d’investir dans leur protection. Des modèles économiques durables, comme l’éco-tourisme valorisant la conservation à longs termes plutôt que l’exploitation à courts termes, sont indispensables pour garantir la préservation de ces lieux le plus longtemps possible.
Admirer sans détruire
« The last chance tourism » nous rappelle à quel point notre planète est précieuse et vulnérable. Mais ce phénomène nous confronte également à une vérité inconfortable : en cherchant à contempler la beauté de la nature, nous risquons de la condamner.
Voyager est une source d’inspiration et de connexion profonde avec le monde qui nous entoure, mais il est impératif de transformer cette inspiration en action : réduire notre impact, soutenir des pratiques respectueuses de l’environnement, ainsi que participer à la protection des trésors naturels qui subsistent encore. Le véritable défi est de passer d’une logique de consommation à une logique durable, où chaque voyage devient un acte de responsabilité envers la planète.
Nicolas Steiner
Sources :
The New York Times : Accident août 2024 Islande
Géoconfluences : Le paradoxe du tourisme de la dernière chance
Greenly : What is last chance tourism ?
Litterary hub : Last Chance Tourism Destroys the Very Places People Want to Save
Road Genius : Icelandic tourism statistics
Futura Science : Innondation glaciaire en Alaska
Revfine : slow tourism et éco-tourisme