Le gouvernement de Bachar al-Assad a été renversé. Cette nouvelle fait la une des infos depuis quelque temps et la Syrie se retrouve à nouveau sous le feu des projecteurs. Si la guerre en Syrie de 2011 à 2019 a été très médiatisée, il y a eu néanmoins un moment de battement pendant lequel la Syrie semblait gelée. Enfin, un bond dans le présent et cette soudaine nouvelle vient redessiner l’échiquier. Que s’est-il passé ? Pourquoi maintenant ? Quel avenir pour la Syrie ?
Bref historique des événements
Avant de lire la suite sans saisir grand-chose, faisons un court retour sur le passé.
Les printemps arabes ont permis de déstabiliser le régime autoritaire des Assad, au pouvoir depuis 1970. La population syrienne qui manifestait pour plus de liberté et des principes démocratiques a été violemment réprimée par les autorités. Très vite, le mouvement a évolué dans la violence, jusqu’à la prise des armes menant à une guerre civile. La société s’est fragmentée et des militaires créèrent l’Armée syrienne libre (ASL) qui était devenue la principale force de résistance rebelle. Toujours est-il que parmi les opposants au régime d’Assad, il y avait une grande diversité ethnique et religieuse qui a fini par mener à des différences dans cette lutte et donc à la formation de plusieurs factions.
Ainsi, l’État Islamique (EI) vient s’ajouter en 2014 profitant de cette instabilité pour tenter de prendre du territoire. Avec cette nouvelle menace, des puissances étrangères ont fini par prendre part au conflit et à intervenir. On parle d’acteurs internationaux comme la Russie (grand allié du gouvernement syrien), l’Iran, la Turquie, les Etats-Unis ou encore les Israéliens sans parler de leurs alliés respectifs comme l’Arabie Saoudite pour les Etats-Unis. C’est en 2019 que l’État Islamique est vaincu, permettant au régime de Bachar al-Assad de reprendre la majorité de sa Syrie déjà dévastée. Cette guerre civile à laquelle se sont mêlées de multiples parties prenantes se réfère la plupart du temps à la période allant de 2011 à 2019. Depuis, les lignes ne bougeaient plus, ou du moins, la violence a fortement décru.
On a pu estimer que plus de 500’000 personnes ont perdu la vie dans cette lutte qui a entremêlé diverses idéologies. En 2023, la Syrie a certes réintégré la ligue arabe, mais la paix n’était pas gagnée sous les sanctions occidentales et la population devait faire face à un pays qui peinait à se reconstruire.
Maintenant qu’on part sur ces quelques connaissances communes, on peut intégrer les évènements les plus récents.
Ce qu’il s’est passé ces derniers jours
Dimanche 8 décembre 2024, le régime de Bachar al-Assad prend fin.
Ahmed Al-Charaa, appelé aussi par son nom de guerre Abou Mohammed Al-Joulani, est le leader du principal groupe armé Hayat Tahrir al-Cham (HTC) qui a mené l’offensive à Damas.
D’où est issu ce nouveau leader ? Anciennement étudiant en médecine avant de rejoindre Bagdad pour combattre l’armée américaine, il fut emprisonné pendant 5 ans par les Américains en Irak. À sa sortie, il intégra une branche d’Al-Qaïda et lorsqu’en 2011 la guerre civile commença en Syrie, il fut renvoyé en Syrie pour y établir une branche d’Al-Qaïda. Il y créa Al-Nosra, un groupe finalement adepte de méthodes ultra violentes. En 2016, il s’éloigna d’Al-Qaïda et forma alors Hayat Tahrir al-Cham (HTC) en évinçant les profils ultra radicaux pour prendre la voie de la révolution bien que conservateur.
Le 8 décembre, la population a très favorablement accueilli le groupe HTC, ce qui a contraint Bachar al-Assad à fuir, mettant ainsi fin à son régime. Il a alors trouvé refuge à Moscou. Cette déroute a été facilitée par la situation de l’armée fidèle au régime, déjà très affaiblie et démoralisée. Par ailleurs, ses alliés habituels, comme le Hezbollah, n’ont pas pu lui prêter main-forte, car ils étaient eux-mêmes engagés dans d’autres conflits, avec le conflit israélo-palestinien et la guerre en Ukraine sur le devant de la scène internationale. Dans ce contexte, la résistance a pu mener son opération éclair sans rencontrer de grandes difficultés.
Un avenir entre craintes et réjouissances
Après la chute du régime syrien des milliers de personnes se sont rassemblées et ont célébré en Syrie la fin d’un régime d’oppression par les Assad. Sur les 3 millions de réfugiés syriens en Turquie, 7000 ont déjà pu retourner au pays depuis la frontière turque avec un espoir pour une liberté durable.
Cependant, des réserves sont émises notamment sur le fait qu’HTC, maintenant au pouvoir, était une organisation terroriste. Qui sait si les nouvelles autorités pourront proposer un modèle de gouvernance compatible avec la pluralité culturelle et sociale en Syrie ? Le nouveau régime devrait, dans l’idéal, aussi pouvoir prévenir ou contenir des conflits émergents ou qui ont trop duré.
Pour Murat Erdogan, chercheur sur la migration en Turquie dont le domaine d’étude concerne principalement les exilés syriens, il ne faut pas être trop optimiste. Bien que dans les sondages, une bonne majorité de la population turque est plus que favorable à ce que les Syriens quittent la Turquie, cette volonté ne saisit pas forcément les difficultés que rencontreront les exilés. Si on a une phase de transition dans ce pays du Moyen-Orient, la situation est tout de même loin d’y être stable. Les infrastructures sont détruites, la situation économique est désastreuse et si elle n’est pas devenue totalement inexistante, c’est grâce au captagon, qui a transformé la Syrie en narco-État.
En outre, selon le chercheur, au maximum un tiers des 3 millions de réfugiés quitteront la Turquie. Il s’explique par l’incertitude du futur, ainsi que par le fait que le Proche-Orient est devenu l’épicentre d’attaques incessantes, notamment dans la bande de Gaza. De plus, les 12 millions d’immigrés syriens ont accompli un travail considérable d’intégration dans les pays qui les ont accueillis.
Pour prolonger ce propos, prenons le cas d’un de nos voisins allemands. Un million de Syriens ont trouvé refuge en Allemagne, la plupart étant arrivés pendant la forte crise migratoire de 2015. Si certains sont devenus depuis des citoyens allemands, d’autres sont encore dans la crainte d’une expulsion. Il convient de rappeler que les Syriens contribuent de manière considérable à la main d’œuvre en Allemagne, surtout dans les domaines médicaux (5000 médecins), logistiques ou des transports et que leur départ créerait un sous-effectif important.
En dépit de cela, il se trouve que les partisans d’extrême droite ou les conservateurs allemands n’ont pas manqué de réagir aussitôt que Bachar al-Assad a été évincé. Entre autres, ils demandent le départ des Syriens d’Allemagne. Dans cette optique, Jens Spahn a puisé dans des idées qui pourraient motiver ce départ, comme le fait d’accorder 1000 € à ceux qui voudraient bien rentrer en Syrie. Pour ce qui est d’ordre plus officiel, le chancelier Olaf Scholz en a rassuré peut-être certains ; les réfugiés dits intégrés restent les bienvenus en Allemagne.
Mais quoi qu’en dise le chancelier, l’Allemagne a rapidement adapté sa politique migratoire puisqu’elle a suspendu le traitement des demandes d’asile en cours. D’autres pays ont suivi ce mouvement ; l’Autriche, la Suède, la Norvège, le Danemark parmi d’autres pays européens et notamment la Suisse, qui suspend aussi les procédures et décisions d’asile des Syriens.
Une partie des internautes sur les réseaux sociaux restent dubitatifs et ont exprimé leurs inquiétudes sur une suite qui pourrait s’apparenter au cas de la Libye ou de l’Irak, où depuis les renversements de ces régimes, c’est l’instabilité qui y règne.
Ainsi, les prochaines semaines seront cruciales pour observer de près l’évolution de la Syrie. La population syrienne, tout comme les acteurs régionaux et internationaux, ont un rôle déterminant dans ce processus, avec, nous l’espérons, l’établissement à terme d’une situation meilleure et durable, avant tout au profit d’un peuple trop longtemps opprimé.
Aida Sulejmanovic
Sources :
Balanche, F. (2022). Syrie : Un conflit gelé en trompe-l’œil. Politique étrangère, 2, 161‑174.
En cartes : Le jeu des influences étrangères en Syrie. (s. d.). Consulté 17 décembre 2024