Personne, Des Forêts, En Plein Air, Debout, Retour

La contrainte est une force

La situation dans laquelle nous nous trouvons, à bien des égards, présente des difficultés pour beaucoup d’entre nous. Les étudiants, par les cours à distance et la fermeture des lieux culturels et des restaurants se retrouvent dans la difficulté de sociabiliser et faire des rencontres. De nombreux travailleurs et patrons perdent purement et simplement leur emploi et leur entreprise, contraints de faire l’expérience douloureuse et infantilisante de se retrouver au chômage et de dépendre d’aides étatiques. Les personnes âgées, elles, sont plus isolées que jamais.

Cependant, dans tout malheur peut être déniché du bon et il est nécessaire de savoir y trouver la force pour rebondir. La solitude engendré par les mesures de confinement et de port du masque peut être pesante pour certains. Pour d’autres, de nature plus solitaire, cela pose moins de problème. Quoi qu’il en soit, la situation induite depuis un an déjà nous contraint à une certaine solitude. Mais il ne faut pas voir cela comme un carcan incapacitant et un amenuisement des forces. Dans les temps pénibles que nous traversons et avec la préfiguration d’un futur tout aussi ardu qui nous attend, des ressources inespérées sont capables de surgir de soi-même par l’usage de l’introspection, en passant par la méditation.

« Connais-toi toi-même »

Quand on se retrouve isolé, par définition on est tout seul, donc avec personne pour interagir. Le fait de se retrouver dans cet état a des vertus.

Entre parenthèses, ce fait est quelque peu mis à mal de nos jours avec la profusion d’outils informatiques et de réseaux sociaux qui permettent aux gens de « rester connectés ». Mais on le voit, pour beaucoup de personnes ces alternatives sont insatisfaisantes et mènent à une fatigue et un ras-le-bol généralisé face à ces fausses solutions. Le résultat reste donc le même : une situation d’isolement doublée d’une démoralisation générale.

Être seul, loin du bruit et de l’agitation, loin des sollicitations et des interactions sociales, permet de se retrouver avec soi-même. C’est un passage essentiel dans la formation de sa propre personne que de savoir qui l’on est, prendre le temps de s’auto-évaluer et mettre de l’ordre dans ses idées et son esprit. En résulte une fortification de soi et une prise de confiance. Lorsqu’on est seul, les pensées profondes peuvent s’exprimer car aucune pression sociale, aucun média, ne viennent parasiter notre cerveau avec leurs injonctions moralisantes et leurs slogans. On peut expérimenter le fait d’être soi-même et ne plus vivre dans l’état de névrose induit par la vie en société.

L’état contemplatif

Cette introspection dans un premier temps permet d’atteindre un stade de sérénité intérieure. Mais un problème se pose. L’introspection est un acte purement individualiste, un acte égoïste en quelque sorte.

Après l’état égocentré de l’introspection vient l’état contemplatif. Une ouverture au monde, serein et détaché de son égo. Ce détachement est le corollaire de la liberté d’esprit.

Parfois, il peut nous arriver de ne pas oser entreprendre quelque chose. Ceci est le résultat, peut-être d’un manque de confiance en soi, mais aussi et surtout le résultat d’une peur de l’image de soi renvoyée en société, due à une incapacité à se détacher de son égo. L’état contemplatif, comme son nom l’indique, nous met dans un état de contemplation, de spectateur si l’on veut. Cependant, dans cet état, nous ne sommes pas uniquement spectateur du monde qui nous environne, mais également spectateur de soi-même. Il faut se voir comme le spectateur de sa propre personne, ce dernier étant un acteur dont le rôle dans le monde est essentiellement esthétique.

En complément de la prise de conscience de ce rôle esthétique, le sens de l’éthique (notons la proximité homonymique de ces deux mots), vient donner une direction saine et féconde à notre potentiel d’action libéré.

L’outil nécessaire : la méditation

Le processus qui vient d’être décrit découle d’un travail sur soi. Il se fait donc de manière consciente par la méditation. Mais il ne faut pas comprendre le terme méditation de manière caricaturale. Il n’est pas nécessaire de savoir pratiquer la position du lotus en restant immobile 40 minutes. Le but de la méditation est d’atteindre un état de plénitude et de calme intérieur en vue de pouvoir accomplir le plein potentiel contenu en soi.

Cet exercice peut prendre la forme d’une méditation assise telle qu’on se l’imagine habituellement. Mais cela peut passer également par la lecture. Lire un livre est un véritable exercice solitaire à la fois de concentration, d’intelligence et de réflexion. Certains livres seront davantage aptes à mener vers un stade méditatif comme les livres d’histoire ou de philosophie, mais toute lecture en soi est bonne à prendre.

Il faut voir la méditation comme un exercice dont on peut faire le lien avec l’ascèse religieuse. « Ascèse », dont l’étymologie provient justement du mot signifiant « exercice » en grec ancien. Ces exercices peuvent être de l’ordre de la gymnastique ou de la marche intensive, mais encore de l’ordre de la privation de nourriture ou de sommeil par exemple, ou encore de l’ordre de la retraite solitaire. Depuis les temps les plus reculés, les hommes ont compris que c’est par les exercices mettant à l’épreuve le corps et l’esprit que l’on peut atteindre Dieu, un degré supérieur de conscience ou l’éveil spirituel, selon les traditions.

Le recours aux forêts

La forêt est un endroit où l’on peut se cacher, où l’on est invisible et autonome. C’est un lieu sauvage et dénué de présence humaine. C’est donc un lieu tout à fait propice pour la méditation.

Ernst Jünger, homme d’action et écrivain méditatif par excellence, dépeint dans plusieurs de ses livres la figure du Waldgänger (celui qui a recours au forêts). Le Waldgänger désignait en Scandinavie, durant le Haut Moyen-Âge, un proscrit qui se réfugiait dans les forêts pour pouvoir y vivre librement. Cette figure représente parfaitement l’être méditatif décrit dans les premiers paragraphes de cet article.

Le Waldgänger marque une césure entre lui et les autres mais il n’est pas un rebelle ou un anarchiste pour autant. Contrairement à ces deux derniers, le Waldgänger n’a pas été banni de la société mais il a banni la société de lui-même. Il ne se bat pas non plus contre un monarque comme le ferait un anarchiste, mû par une pulsion de chaos, qui souhaite renverser le pouvoir pour que règne le désordre. Le Waldgänger est à soi-même son propre monarque. Ernst Jünger utilise le terme d’anarque pour désigner ce type de mentalité. Anarque et Waldgänger sont pour ainsi dire synonymes.

La figure de l’anarque symbolise une disposition intérieure qui vise à ne pas fuir la société et l’époque dans laquelle vit l’anarque, fussent-elles laides et décadentes. Au contraire, on doit accepter de vivre avec son temps et continuer d’agir en son époque malgré le fait de se sentir intérieurement radicalement étranger à celle-ci. L’anarque n’est donc pas un ermite car il n’a pas démissionné et n’a pas fui la société.

Nuançons tout de même le propos. Il n’a certes pas fui physiquement la société, cependant il est capable de s’en éloigner quand il le souhaite en se réfugiant en lui-même. Ernst Jünger parle de citadelle intérieure ou encore de forêt intérieure. C’est un endroit qui nous appartient et autour duquel nous avons érigé de hautes fortifications. L’anarque est un individu qui, en dépit de la situation, reste libre et capable de réflexion et d’observation. Il cultive son indépendance et sa liberté d’esprit face aux donneurs de leçons qui lui disent ce qu’il est raisonnable ou déraisonnable de penser et de faire. Quitte à feindre une adhésion de surface. Le Waldgänger (ou anarque) est donc un ermite par moment, quand il le souhaite. Il lui suffit de se retirer dans sa forêt intérieure pour mieux comprendre les choses, afin, ensuite, de replonger dans le monde.

« Le recours aux forêts demeure possible, lors même que toutes les forêts ont disparu, pour ceux-là qui cachent en eux des forêts. » Ernst Jünger

Fleur De Pomme, Fleurs, Arbre, Apple Tree

« Quand le monde semble vaciller sur ses bases, un regard jeté sur une fleur peut rétablir l’ordre. »

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Sadjan Oehler
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