Le pari de Pascal: le jeu de la croyance

Le pari de Pascal est le fruit d’une réflexion simple, à première vue. Cet argument, qui a été formulé par Blaise Pascal dans Pensées, défend l’idée que croire en Dieu est un acte rationnel. Il dit que si Dieu n’existe pas, alors le croyant et le non-croyant ont respectivement une perte et un gain dérisoire parce qu’on peut supposer que le croyant suit les règles de la religion et s’abstient des plaisirs simples, du luxe, de l’argent, tandis que le non-croyant mène une vie plus libre qui n’est pas limitée par la religion. En revanche si Dieu existe, alors le croyant est récompensé par le salut éternel alors que le non croyant est puni par la condamnation éternelle. Autrement dit, selon le pari de Pascal, être croyant est un meilleur choix parce que notre perte est finie si Dieu n’existe pas, mais notre gain est infini (paradis) si Dieu existe et on évite ainsi une perte infinie (enfer). Est-ce que cet argument qui paraît si trivial justifie véritablement l’intérêt de croire en Dieu ou présente-t-il des failles importantes ?

Une pensée qui se justifie par les mathématiques ?

Ce n’est pas surprenant que cet argument qui mêle les probabilités et la religion soit formulé par Pascal qui était de foi chrétienne mais aussi un adepte des jeux de hasard. Contrairement à d’autres philosophes qui ont tenté de prouver l’existence de Dieu, Pascal s’occupe de justifier que le meilleur choix pour l’homme est de croire en Dieu sans argumenter son existence même. Le pari de Pascal est considéré comme étant le pionnier de la théorie de la décision qui étudie les choix d’un agent. Certains concepts peuvent être empruntés à cette théorie pour rendre le pari de Pascal plus clair.

1) On pourrait peut-être dire qu’il n y a pas de différence entre croire en Dieu ou pas si Dieu n’existe pas parce que dans les deux cas on retournerait au néant après la mort. Dieu n’existant pas, le sort d’une personne croyante et non-croyante serait le même.

Dans ce cas, l’argument de la dominance nous indique de choisir de croire en Dieu car ceci est une stratégie dominante : quelle que soit la situation (Dieu existe/n’existe pas) notre utilité à être croyant est toujours supérieure ou égale à ne pas être croyant. On peut représenter notre utilité pour chaque situation ainsi par cette matrice.

Comme on le voit dans ce tableau, peu importe la situation, croire en Dieu est toujours plus avantageux que de ne pas croire en Dieu.

Mais comme nous l’avons mentionné plus haut, l’utilité que l’on obtient est différente entre croire et ne pas croire, si Dieu n’existe pas ; les aspects de la vie terrestre dont on a profité ou pas selon notre foi diffèrent. Il serait donc surement faux de dire que notre utilité est la même dans ces deux cas.

2) Si on attribue une probabilité à l’existence de Dieu, par exemple ½, on peut ainsi calculer l’espérance de chaque stratégie comme dans un jeu de hasard. On choisirait bien évidemment la stratégie ayant l’espérance la plus élevée. Ici on représente de nouveau les utilités dans chaque situation :

Si on calcule l’espérance de chaque stratégie, on obtiendra :

Espérance(être croyant)=(½)*(+∞)+(½)*(-c)=+∞

Espérance(ne pas être croyant)=(½)*(-∞)+(½)*(+c)=-∞

On choisirait bien évidemment la stratégie qui consiste à être croyant.

3) Le troisième argument est celui de l’espérance dominante : cet argument est similaire au précédent et permet de délaisser la supposition que la probabilité que Dieu existe est de ½. En effet, l’idée est que l’espérance de notre utilité reste infinie indépendamment de la probabilité de croire en Dieu tant que cette dernière n’est pas nulle. Même si la probabilité que Dieu existe peut être faible, étant donné que le gain d’être croyant si Dieu existe est infini, cela ne change rien dans le calcul de nos espérances et nous permet donc d’en déduire que croire est toujours le meilleur choix.

Les points faibles du pari

Le pari de Pascal peut être considéré comme un argument solide pour justifier la foi en Dieu mais de nombreuses critiques lui sont adressées et, parmi celles-ci, on trouve tout d’abord le fait que la structure de la matrice des gains, comme représentée ci-dessus, peut être erronée. Peut-être que l’utilité du salut éternel n’est pas infinie et cela pourrait rendre l’argument de croire en Dieu par l’espérance incorrect.

La matrice des gains pourrait également être fausse parce qu’il nous manquerait des colonnes. Ici, on y inclut un seul Dieu et une seule religion mais ne devrait-on pas inclure toutes les religions, du christianisme à l’hindouisme, de l’islam au rastafarisme ? Ne devrait-on pas parier pour toutes les religions si on parie pour une seule religion ? Il serait impossible de vivre en respectant les règles de toutes les religions qui existent sur Terre et cela rendrait le pari assez compliqué sachant que beaucoup de religions interdisent de croire en d’autres religions. D’ailleurs, il n’y a rien qui nous dit qu’une croyance est plus juste qu’une autre.

Parmi les autres objections au pari, on trouve par exemple le fait qu’il soit problématique d’associer une probabilité positive à l’existence de Dieu. Pourquoi un athéiste strict se verrait associer une probabilité supérieure à 0 à l’existence de Dieu ? Si cette probabilité est de 0, alors les arguments de l’espérance et de l’espérance dominante ne seraient plus valables. En effet, cela pourrait être la plus grande faille du pari de Pascal. On pourrait associer une probabilité non nulle à tout et n’importe quoi et s’imaginer que l’utilité que l’on obtiendra sera infinie si l’événement se produit. On ne s’en sortirait plus.

On peut aussi soulever le problème que le pari de Pascal mène vers une foi qui n’est pas réelle et, par conséquent, devrait déplaire à Dieu, si ce dernier existe. Le pari peut n’être vu par certains comme rien d’autre qu’une ruse pour tromper Dieu qui est omniscient et ainsi cela ne mènerait pas le parieur vers le salut éternel qu’il espérait.

Pour conclure, le pari de Pascal a eu une influence considérable dans l’histoire des religions et a même joué un rôle important dans l’établissement de la théorie des probabilités et la théorie de la décision. Il peut par ailleurs permettre à l’être humain de se débarrasser de la question de l’incertitude de l’existence de Dieu. Tout en étant contestable sur plusieurs aspects, le pari de Pascal reste tout de même une réflexion philosophique intéressante de nos jours.

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Sinan Güven
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