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Du multiple à l’Un : L’Hindouisme est-il polythéiste ou monothéiste ?

L’Inde qui nous intéressera ici est l’Inde de l’Hindouisme. Du florilège de panthéons aux développements philosophiques postulant l’existence de l’Un, réalité suprême, transcendante et ineffable, il est vrai que les différentes visions hindoues du divin peuvent déboussoler l’observateur extérieur.

La question posée ici nous oblige à présenter une histoire du sous-continent indien et de ses religions. Toutefois, aborder l’histoire de l’Inde est tâche ardue, voire impossible. Faire l’histoire de l’Inde, c’est faire l’histoire de la pluralité, du changement, des contacts, des échanges et de l’évolution constante. Mosaïque de langues et de dialectes de familles différentes (plus d’un millier et demi aujourd’hui) et de populations, le sous-continent indien fascine par son pluralisme. L’Inde fut (et est toujours !) védique, bouddhique, jaïne, musulmane, sikhe, zoroastrienne, juive, chrétienne, autochtone et bien plus encore ; des empires et royaumes indo-européens, dravidiens (les populations du sous-continent présentes avant l’arrivée par vagues successives des peuples Indo-européens en provenance du nord-ouest), Tamouls, Persans, Grecs, Bouddhiques, Moghols au Raj Britannique (pour ne citer qu’eux !) qui se partagèrent le territoire indien durant sa longue histoire à la pluralité de conceptions et discours religieux inhérente à la succession et la cohabitation dans le temps et l’espace de ces derniers, une histoire de l’Inde est décidément une histoire protéiforme, insaisissable.

Plongeons-nous alors sur la « part hindoue » (en laissant malheureusement de côté les autres religions et conceptions dont l’univers indien est composé) de cette histoire afin d’essayer de répondre à notre question en posant par la même occasion quelques repères qui, je l’espère, permettront de mieux saisir ce que l’on appelle aujourd’hui « Hindouisme » (terme qui est, rappelons-le, d’invention récente, coloniale) et, qui sait, sauront attiser votre curiosité pour les philosophies et les religions d’une Inde plurielle.

Le monde védique

La religion védique gravite autour d’une compilation d’hymnes (les Védas) composée dans le nord-ouest de l’Inde environ 1500 ans avant notre ère. Ce sont les premiers textes écrits de langue sanskrite, la langue de l’Inde ancienne. En se penchant sur ces textes, on est tout d’abord frappé par la pluralité de dieux et de déesses. On y trouve Agni, Varuna, Soma, Indra et bien d’autres ; ces dieux ont parfois été oubliés, d’autres se sont transformés au fil des millénaires et on y trouve également les « prototypes » de dieux dont les noms vous parlent probablement plus, comme Shiva par exemple. Ces dieux anthropomorphes se comportent comme nous, nous ressemblent. Leurs querelles amoureuses, leurs différends et leurs aventures nous apprennent qu’ils sont soumis aux mêmes désirs, pulsions et appétits que nous.

Cependant, bien qu’il y ait toujours eu une conscience claire de la pluralité, de la multiplicité du divin au cœur du corpus védique (chaque personne connaissant et usant différents hymnes à l’encontre de différents dieux), nous pouvons toutefois aborder le fonctionnement du polythéisme védique autrement. En effet, on y trouve parfois le culte des dieux du panthéon, mais qu’un seul à la fois, ce dernier étant considéré comme la divinité suprême, le dieu unique lorsqu’on s’adresse à lui. De fait, on peut trouver un hymne qui qualifiera tel dieu de créateur, de dieu suprême, alors qu’un autre fera exactement la même chose pour une autre divinité du panthéon. Nous nous trouvons alors dans un panthéon à la hiérarchisation annulée par une attitude personnelle justement hiérarchique face à chacun des dieux (c’est plus simple qu’il n’y paraît, promis). En somme, toutes les dévotions à une divinité particulière considérée comme suprême sont donc hiérarchiques car elles disent : « Tu es le meilleur, le seul et l’unique » mais toutes ces visions en compétitions s’annulent mutuellement ! Le tableau final est donc celui de l’égalité ; chacun est le meilleur. On se trouve face à un polythéisme « classique » de personnes vouant un culte à plusieurs dieux mais également face à ce que Wendy Doniger appelle un « monothéisme sériel »[1].

Cette idée de « seul et unique » adressée à différentes divinités se retrouve également au sein d’hymnes plus tardifs. Un de ceux-ci nous apprend que “The wise speak of what is One in many ways” (Rig Veda 1.164.46). Cet « Un » est neutre, absolu, insaisissable, impersonnel et préfigure les développements philosophiques ultérieurs.

La philosophie du Vedānta

La société védique s’articulait entièrement autour du sacrifice. Ce dernier occupait une place centrale, voire plus : son rôle était fondateur. Le rituel permettait de soutenir l’univers, d’interagir avec les divinités védiques, créait et recréait indéfiniment le monde ; les Brahmanes, les « prêtres » si vous me permettez le raccourci réducteur, étaient la caste (même si on ne parlait pas encore de castes à cette époque, gardons plutôt en tête le mot sanskrit varna) chargée de s’occuper de ce dernier. Un développement philosophico-religieux majeur dans l’histoire du sous-continent indien vint alors ébranler la structure religieuse védique au profit d’un rituel intériorisé, d’un rapport nouveau au divin et avant tout, d’une puissante volonté d’émancipation du cycle interminable des renaissances ! Nous nous trouvons alors en face du Vedānta, la « fin », le « couronnement » des Védas.

Une vie ne suffirait pas pour parcourir l’immensité de ce continent religieux et philosophique ; les lignes manquent, ne serait-ce que pour effleurer la complexité et la profondeur du Vedānta. Gardons cependant à l’esprit que la doctrine des renaissances, une vision du monde et de la réalité comme source infinie de souffrances, d’un rejet de la matérialité et de l’illusion de nos existences successives, d’une aversion pour le corps et le mondain, un accent mis sur l’ascétisme, le renoncement et la juste compréhension, la doctrine du karma (les actions, la volition et leurs conséquences) ainsi que la transmission de maître à élève forment grosso modo (très grosso modo…) les bases du Vedānta (même si on trouve quelques petits indices, des « graines de Vedānta » disséminées ça et là au cœur du Védisme… mais ne compliquons pas davantage le sujet).

Cette véritable avalanche de commentaires, de réinterprétations et de réarticulation n’a cessé de se développer des Védas jusqu’à nos jours. Un des différents piliers du Vedānta, ainsi qu’une de ses expressions les plus connues sont les Upaniṣads, une série de textes philosophiques composés aux alentours du 5ème siècle avant notre ère (bien que cette datation ne rende pas justice aux développements oraux précédant la mise par écrit) jusqu’au Moyen-Âge environ. Mais en quoi consistent ces développements philosophico-religieux exactement ?

En une myriade de conceptions et de pratiques (l’Inde n’est pas synonyme de simplicité, vous commencez à connaître le refrain…). Mais essayons néanmoins d’en dégager les fondations. Il est question d’un être universel, unique, ineffable et transcendant, le brahman (« l’Un » dont nous parlait l’hymne védique vu plus haut, à ne pas confondre avec les Brahmanes) dont tout découle ; il s’agit de la réalité ultime et indifférenciée, le « Tout » ou, en quelque sorte, Dieu avec une très, très grande majuscule. À cela s’ajoute le soi, l’âme personnelle, notre essence qu’est l’atman. Le but est alors d’atteindre l’union des deux, la dissolution du soi dans le brahman, la sortie du cycle des renaissances, la libération ; une image très souvent utilisée en Inde est celle du grain de sel (l’atman) se dissolvant dans l’océan (le brahman). Toute la philosophie des Upaniṣads et du Vedānta en général consiste alors à théoriser la nature de ces deux entités, leurs différentes modalités de relation et le salut, la sotériologie découlant de leur union.

Avec cette dissolution du grain de sel dans l’océan, on peut penser à une forme de monisme ; on est donc bien loin des panthéons védiques bien garnis ! C’est correct… mais seulement en partie (vous vous en doutiez bien).

En effet, il serait plus judicieux de parler de « non-dualisme » (advaita en sanskrit), courant de pensée fondé par Shankara au 8ème siècle de notre ère. Monisme et « non-dualisme », un pléonasme ! Oui, mais l’idée de « non-dualisme » colle mieux à la pensée indienne. Le brahman est l’unique base métaphysique de la réalité et l’atman lui est en tout point identique ; la réalité empirique, l’univers, ne sont eux qu’illusion. La réalisation, la libération, consiste alors en la compréhension totale de l’unicité, en la prise de conscience que toutes les âmes individuelles sont les mêmes et identiques au brahman.

C’était sans compter sur le « dualisme » (dvaita en sanskrit) de Madhvacharya, philosophe du 13ème siècle. Ici, le brahman est parfait, créateur de l’univers et unique mais est distinct de la matière et des âmes individuelles, de l’atman ! L’atman doit alors s’emplir d’amour pur, de dévotion et s’abandonner totalement à ce dernier.

On peut encore citer une liste non-exhaustive de conceptions : le « non-dualisme qualifié » (Vishishtadvaita), le « non-dualisme pur » (Shuddhādvaita), la « différence et non-différence » (Bhedabheda), etc. Citons encore l’Achintya Bhedabheda du grand saint et dévot de Krishna Chaitanya (15-16ème siècle). Il s’agit de « l’inconcevable différence dans la non-différence » postulant que le dieu Krishna est le brahman, l’Un, et qu’il englobe toute la réalité (il est donc non-différent) tout en restant inconcevablement plus que la somme de ses parties (il est donc également différent) ; c’est une sorte de panenthéisme, le divin interpénètre la totalité de l’univers mais reste tout de même au-delà, supérieur à la réalité.

L’étude de l’Inde c’est savoir se laisser submerger.

Les Purāṇas

Cette vision métaphysique de l’ultime réalité a toujours cohabité avec le polythéisme en Inde. L’un et l’autre se complètent, débattent, se disputent parfois, échangent souvent mais ne s’excluent en aucun cas. Un vieux renonçant adepte de l’Advaita Vedanta, méditant sous son arbre et vivant d’aumônes reconnaît la réalité de la myriade de dieux mais leur accordera un aspect illusoire, secondaire face à l’Être suprême, le brahman. De plus, il arrive souvent que de nombreux dieux du panthéon se retrouvent sous la même étiquette « moniste », devenant alors tous des émanations, des aspects d’un Dieu suprême en particulier ; il s’agit parfois de Vishnu, parfois de Shiva mais également de Devi, la Grande Déesse englobant toutes les autres déesse, de Kali à Durga en passant par Parvati.

Tout cela se retrouve dans la littérature puranique, véritables encyclopédies faisant principalement état de la mythologie de dieux en particulier (des Purāṇas au sujet de Vishnu, d’autres au sujet de Devi, etc.), de la création du monde, de cosmogonies, de cosmologies mais également de médecine, d’astrologie, etc. Les Purāṇas sont des textes datant du 3ème siècle au 10ème siècle de notre ère environ. Encore une fois, il est important de ne pas prendre en compte seulement l’écrit (car qu’est-ce que l’écriture au sein d’une humanité qui fut orale durant la quasi entièreté de son existence ?) et de rendre à l’oral ce qui appartient à l’oral ; les traditions décrites dans les Purāṇas sont bien plus anciennes que leur écriture.

Ces textes mythologiques sont d’une importance sans pareil au cœur de l’histoire religieuse de l’Inde et fondent en quelque sorte les bases de l’Hindouisme sectaire (au sens de groupe, de tradition religieuse) ; l’Hindouisme tel qu’on le conçoit aujourd’hui prend de plus en plus forme durant cette période.

Le Dieu, l’Un que quelqu’un que l’on qualifierait aujourd’hui « d’Hindou » vénère, au sujet duquel il raconte des histoires, danse, chante ou peint (même s’il reconnaît l’ultime unicité de la réalité, que tous les chemins mènent au brahman) prendra plus souvent la forme de Shiva, de Vishnu, de Devi, de Krishna, etc. (ou leurs infinités de formes locales), que celle du brahman. Il y a, en quelque sorte, le dieu de sa religion et le dieu de sa philosophie. Néanmoins, n’oublions pas que son voisin de palier pourra, quant à lui, avoir une vision polythéiste de la réalité, menaçant son dieu ou sa déesse d’élection d’en prier un ou une autre si ils ne remplissent pas ses attentes…

Inde musulmane et Raj Britannique

La vision « moniste », « non-dualiste » d’un brahman unique et universel généra au fil des siècles une nouvelle vision : l’universalisme. Ici, tout est Un mais les religions sont également toutes les mêmes. Les Juifs, les Musulmans et les Chrétiens vénèrent le même Dieu que les Hindous mais l’appellent différemment. Un indice du développement ultérieur de cette vision de la religion se trouve dans la Bhagavad Gita. Ce texte est également fondateur en Inde et nous raconte la rencontre entre Arjuna, un prince alors sur le champ de bataille et Krishna qui se faisait passer pour son cocher ; Krishna est ici l’ultime nature de toutes choses, l’univers tout entier. Ce dernier apprend à Arjuna que les dévots d’autres dieux sont également ses dévots étant donnée sa nature suprême.

Un trouve un autre développement de cette idée dans l’Inde du 12ème siècle. Le Soufisme, la branche mystique de l’Islam, postulait alors que les Musulmans, les Chrétiens, les Zoroastriens (appelés Parsis en Inde), les Juifs, etc. étaient tous focalisés sur le même but et que ce n’était que les pratiques, l’extériorité de la religion qui les différenciait.

Au 16ème siècle, l’empereur musulman moghol Akbar (l’un des plus grands empereurs que le sous-continent indien ait connu, son nom signifiant Le Grand et dont le petit-fils, Shâh Jahân, n’est autre que le commanditaire du Taj Mahal, joyau de l’architecture moghole), dont la curiosité religieuse et philosophique n’avait pas de bornes mit en place de nombreux débats religieux entre différents groupes musulmans, parsis, dévots de Vishnu ou de Shiva, jaïns, juifs, jésuites ou encore sikhs. Le grand souverain proclama que « la sagesse du Vedānta est la sagesse du soufisme » ; notre empereur universalise deux religions universalistes en les égalisant… impressionnant !

Les missionnaires jésuites en Inde durant son règne ne comprirent pas le trait d’esprit et le magnifique pluralisme d’Akbar et crurent avoir réussi à le convertir. Ils avertirent Rome que le grand empereur de l’Inde était chrétien. Nos jésuites se décomposèrent en le voyant retourner à la Mosquée… Terrifiés, il lui demandèrent s’il n’était pas chrétien. Il leur répondit que oui, bien évidemment, mais qu’il était également musulman ! Akbar les englobait mais ils n’arrivaient pas à l’englober.

Durant le règne des Britanniques qui prirent l’Inde aux Moghols, les officiers, intellectuels, écrivains et missionnaires entrèrent dans l’arène du polythéisme, du « monisme » et de l’universalisme. Horrifiés par la myriade de dieux ainsi que par le nombre hallucinant de bras et de têtes que ces derniers arboraient, ils s’attelèrent à trouver, au sein de l’Hindouisme, ce qui ressemblait de près ou de loin au monothéisme. Il faut dire que nos chers Britanniques étaient protestants (et des protestants de l’Angleterre Victorienne qui plus est…) et ces multiples dieux leur rappelaient les Catholiques et leurs saints, leurs reliques ! Bien qu’ils préféraient la compagnie des Musulmans que des Hindous (car ils étaient évidemment monothéistes mais qu’ils tenaient également les rennes d’une bonne partie du sous-continent avant l’arrivée des Britanniques…), les Protestants se tournèrent vers les aspects du polythéisme hindou qui leur parlaient le plus, comme le « monisme » des Upaniṣads qu’ils considéraient comme réservé aux hautes castes, les Brahmanes, alors que le reste de la population nageait dans un polythéisme grossier. Certains essayèrent même de proposer une nouvelle « Bible » de l’Hindouisme : la Bhagavad Gita vue plus haut ! Ils mirent donc l’accent sur le culte de Krishna/Vishnu (Krishna étant une émanation, un avatara de ce dernier) comme monothéisme, tout en oubliant que le texte s’insère dans une épopée bien plus grande qu’est le Mahabharata (dont la Bhagavad Gita n’est qu’un chapitre, la totalité de l’œuvre formant, du haut de ses 80’000 strophes et plus, le plus grand poème jamais composé) au sein de laquelle de nombreux dieux tels que Shiva vaquent à leurs occupations de dieux d’un panthéon polythéiste !

Il est connu que les colonisés arborent parfois le « masque » que le colonisateur crée à leur effigie, imitant l’image que les colonisateurs ont d’eux. Des Hindous éduqués à l’anglaise et privilégiés étaient tellement éblouis par les Britanniques qu’ils adoptèrent les nouvelles conceptions hindoues « forcées » par ces derniers (le Vedānta, la Bhagavad Gita, etc.) ; ils devinrent également consternés par les pratiques polythéistes du reste de la population tout comme la forte tradition érotique et la sensualité de l’art et de la littérature indienne. Un syndrome de Stockholm religieux et colonial en quelque sorte. Pourtant, rien y fit ; la majorité de la population hindoue resta hautement pluraliste et polythéiste.

Cependant, une nouvelle forme d’Hindouisme émana de cette élite indienne, fortement influencée par le Protestantisme et les valeurs victoriennes. Le figure de proue de ce phénomène est Rammohan Roy (1772-1833), fondateur d’un nouvel Hindouisme, le Brahmo Samaj, « l’assemblée de Dieu ». Ce dernier abandonna l’Hindouisme polythéiste pour le monothéisme. Fortement influencé par le monothéisme musulman et par les formes « monistes » de l’Hindouisme, il ajoute également à cette nouvelle religion un zeste de Déisme (l’idée d’un Dieu transcendant que l’on peut atteindre par la raison) et de conceptions franc-maçonnes. En somme, de l’Hindouisme il s’empara du « monisme », de l’Islam il retint le soufisme et du Christianisme, il extirpa le Déisme ! Le polythéisme n’était alors pour lui qu’ « idolâtrie ». Le Brahmo Samaj influença de nombreux Hindous et le Néo-Vedānta pratiqué par de nombreux Indiens aujourd’hui en est inspiré !

C’est ce même Néo-Vedānta qui fut « importé » aux Etats-Unis et en Europe par le biais de gurus prosélytistes depuis la fin du 19ème siècle (Avec Swami Vivekananda qui le présenta au World’s Parliament of Religions à Chicago en 1893) jusqu’à aujourd’hui, en passant par les incontournables 70’s !

Hindutva, nationalisme et Inde contemporaine

Ce voyage dans le temps nous emmène jusqu’à nos jours où, au même titre qu’au sein des grandes religions, le fondamentalisme n’a pas épargné l’Inde et sa principale (mais très loin d’être unique) religion.

Le parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (le « Parti Populaire Indien », BJP) et le premier ministre Modi, en avançant leur programme nationaliste et leurs actions extrémistes, inscrivent leur ligne politique au cœur d’une notion particulière : celle d’Hindutva. Bien qu’il faudrait faire attention aux traductions trop rapides, on peut qualifier ce terme d’ « Hindouité » ; il reflète la volonté d’inscrire l’Inde et son histoire, son héritage, dans une perspective hindoue (et hindoue seulement). En somme, le BJP, émanation politique du RSS (le Rashtriya Swayamsevak Sangh, la « National Volounteer Association »), groupe paramilitaire d’extrême-droite fondé il y a un peu moins de cent ans, s’inspirant des partis extrémistes d’Europe tels que le parti nazi, véhicule une vision raciale de l’Inde comme de l’Hindouisme ainsi qu’une relecture de l’histoire du sous-continent qui vient appuyer leurs déclarations. La communauté musulmane (des séparatistes selon le BJP) fait les frais, depuis trop longtemps, d’une telle ligne politique et l’héritage des grandes figures de l’indépendance et de la démocratie indienne est constamment bafouée ; n’oublions pas que Gandhi fut assassiné par un membre du RSS…

L’idéologie de l’Hindutva et son application politique cherchent à protéger l’Inde des apports et idéologies extérieures (Islam, Christianisme, Judaïsme, communisme, etc.). Cette idéologie présente également l’Hindouisme comme étant monothéiste et rejette les autres visions et diverses traditions de l’Hindouisme (les mêmes que Rammohan Roy avait répudiées) tout comme les religions monothéistes du territoire comme l’Islam ou le Christianisme.

Ce révisionnisme nationaliste et identitaire affiche une ironie toute particulière ; en tentant de rejeter les traditions diverses de l’Inde, des formes les plus répandues de l’Hindouisme à l’Islam ainsi qu’au Christianisme (tout en avançant l’idée que l’Hindouisme est monothéiste afin de le rendre plus compétitif face à ces dernières) l’idéologie des fondamentalistes imite à la perfection les stratégies des missionnaires protestants des siècles passés !

En guise de conclusion, notons que les nationalistes n’ont pas le dernier mot et que des Hindous voyant par exemple Krishna ou Vishnu comme le dieu suprême reconnaissent les autres divinités de l’Inde (mais également Jésus par exemple), participent à leurs fêtes dans leurs différents temples, vont parfois à l’Église à Noël, visitent les somptueuses Mosquées des villes indiennes, se rendent sur des sites de pèlerinage bouddhiques, parlent religion avec les Sikhs du Penjab ou vont visiter les tombeaux des Cheikhs du soufisme !

Auront malheureusement été laissées de côté les traditions diverses de cette Inde aux nombreux visages ; n’oublions pas que les religions et traditions n’évoluent pas en vase clos et que l’histoire indienne, à l’image des débats de religions patronnés par Akbar, est faite de contacts, d’influences, de dialogues et d’échanges entre les différentes religions qui l’ont parcourue !

Le dialogue entre monothéisme et polythéisme n’est pas non plus récent en Inde, il est même aussi vieux que son histoire. Alors, si un jour on vous demande si un Hindou est polythéiste ou monothéiste, vous pourrez lui répondre (et cela vaut également pour toutes les questions à choix multiples concernant l’Inde !) : « oui ». L’apparente complexité de l’histoire religieuses du sous-continent indien semble parfois être le masque d’une simplicité bien plus profonde.

Il n’aura pas été question ici de la mise en perspective critique des concepts employés : « monothéisme », « polythéisme » ou même « religion ». Ces derniers sont d’héritage occidental et leur matrice est celle du christianisme et de notre trajectoire historico-culturelle. Les termes de « monothéisme » et de « monisme » ne collent probablement que très peu au substrat unitaire de l’univers des philosophes du Vedānta et n’oublions pas que le mot religion a été appliqué au Sous-Continent indien de manière acritique depuis des siècles. Le terme « Hindouisme » est quant à lui une invention de Rammohan Roy… la boucle est bouclée.

Benjamin Meier
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Source:

DONIGER Wendy, On Hinduism, Aleph Book Company, New Delhi, 2013, p. 11.