La Naissance de l’Islande, Partie 2 : La mort de la république

Cet article est le dernier d’une série de deux articles sur la naissance de l’Islande. Pour une lecture plus agréable, le rédacteur vous recommande vivement de lire préalablement le premier volet disponible sur cette page.

Dépérit le jeune pin

Qui se dresse en lieu sans abri :

Ne l’abritent écorne ni aiguille ;

Ainsi que l’homme

Que n’aime personne :

Pourquoi vivrait-il si longtemps ?

Extrait de l’Hávamál, poème Norrois

L’ère de paix

Au début du 10e siècle, l’Islande n’est plus une colonie d’exilés, c’est désormais un État indépendant et organisé. En plus d’un gouvernement fonctionnel, elle possède aussi une économie florissante basée sur le commerce ainsi qu’un grand développement culturel. Paradoxalement, c’est cette prospérité qui fait peser sur Islande un grand danger d’existence. Car la richesse de l’ile attise désormais les velléités d’une ancienne ennemie, la couronne norvégienne.

Pour autant, la situation en Norvège est encore très instable. L’actuel Roi de Norvège, Hákon Sigurðarson est entré en guerre contre le Danemark catholique après avoir fait massacrer des prêtres chrétiens venus convertir la population. Il doit en plus gérer une révolte interne contre son pouvoir jugé despotique.

Au même moment en Angleterre, après une longue campagne de pillage, le chef viking Óláfr Tryggvason tourne son regard vers sa Norvège natale. S’étant récemment converti au christianisme, il sent que la situation est propice pour mener son armée à la conquête du royaume nordique, avec le soutien du Danemark. Une fois arrivé à la tête du pays, Óláfr décide d’évangéliser les populations restées païenne. Et dans la pure tradition norvégienne, il décide de l’imposer par la force. Ses campagnes lui attirant les bonnes faveurs des puissances chrétiennes du continent, il décide de tourner son regard vers l’Islande.

Óláfr décide d’y envoyer des émissaires. Mais dans la continuité de la méthode norvégienne, ceux-ci brulent des temples païens et exécutent les réfractaires à la conversion, au point d’être expulsés du pays.

En représailles, Óláfr menace d’exécuter tous les Islandais non chrétiens présents en Norvège ainsi que de couper toute relation avec l’Islande. C’est surtout ce dernier point qui effraie les locaux. En effet, le pays est grandement dépendant des échanges de biens avec la Norvège, et leur suspension amènerait la famine. Pour tenter de calmer les ardeurs du roi Óláfr et éviter que la situation n’empire, les Goðar décident que la meilleure action à entreprendre est un changement radical en matière de question religieuse.

Lors du Vorþing de l’an 999 AP-JC, l’assemblé décide de voter l’adoption du christianisme comme religion officielle de l’État libre d’Islande. Satisfait, le roi Óláfr envoie en « cadeau » une cloche ainsi qu’un stock de bois pour que soit construite la première église de l’ile. La république a pu sauver son indépendance, mais le mal est fait. La couronne norvégienne a déjà posé un premier pied symbolique sur les terres d’Islande, et les hommes libres ont plié le genou.

Le délitement interne

À partir de ce moment, le catholicisme va lentement commencer à s’implémenter en Islande. Les églises commencent à se multiplier et l’ancienne religion païenne perd en nombre d’adhérents. Lentement, une partie de la population choisira la fonction religieuse, surtout auprès des Goðar, donc beaucoup auront désormais la double fonction de prêtre.

C’est la montée en puissance de l’église qui, petit à petit, rompt le délicat équilibre présent sur l’ile. Une première digue cède en 1097. Dans une Islande qui n’avait pourtant jamais connu aucune forme d’impôt depuis sa création, l’église réussit à faire introduire la dîme, un impôt ecclésiastique dont les revenus iront principalement au clergé. Grâce à se nouvelle source de revenu, l’église est désormais une force majeure de la société islandaise, société qu’elle souhaite modeler à l’image des royaumes chrétiens du continent.

Concernant les mœurs tout d’abord, les prêtres souhaiteraient voir les populations adopter un mode de vie plus austère et plus pieux que celui hérité des anciens âges vikings, mais sans grand succès. Puis, en 1190 un premier grand conflit éclate avec les goðar. L’évêque Þorlákur Þórhallsson voudrait que chaque église, ainsi que les biens qui lui sont associés, ne soit plus la propriété directe de ceux qui les ont construites, mais aillent directement à l’église tout entière. Ces derniers acquièrent cette fois-ci gain de cause, au détriment du pouvoir des goðar. Si l’église peut paraître en passe de devenir toute puissante, elle voit ses projets se heurter aux intérêts d’une strate grandissante de la société islandaise, les « Stórgoðar ».

La nouvelle oligarchie

Au fil des siècles, les riches ressources de l’ile, qui avaient permis la prospérité des habitants, commencent à se tarir, et le peu de ressources restantes se trouve concentré dans les mains d’une poignée de richissimes familles.

Ces nouveaux oligarques, au nombre seulement de 5 ou 6 familles, sont des propriétaires terriens qui, au fil des siècles, sont parvenus à accaparer l’entièreté des terres cultivables de l’ile. Après 12 siècles, ils commencent même à contester le pouvoir des Goðar. En effet, le titre de Goði étant un bien pouvant être échangé, ils les rachètent pour ensuite les distribuer à des proches pour accentuer leur emprise sur le pays. Les Stórgoðar obtiennent donc par l’argent ce que les Goðar acquéraient traditionnellement par la vertu.

Mais loin de former un front uni, les Stórgoðar sont pris dans une lutte de pouvoir intense pour la domination politique et économique sur l’ile. À partir des années 1220, l’Islande plonge dans quatre décennies de lutte interne presque continue.

L’empire contre-attaque

Voyant la situation sur l’ile se dégrader, la Norvège sent venir l’opportunité de ramener l’ile sous contrôle de la couronne. L’occasion se présente en 1222 sous la forme du stórgoðar, Snorre Sturlason. Comme beaucoup d’autres oligarques, Snorre s’est lentement tourné vers la Norvège ainsi que la famille royale pour obtenir une aide financière et ainsi remédier à la situation catastrophique en Islande. Ceci aura donné petit à petit naissance à un parti « pro-Norvégien » parmi les goðar prônant l’union avec la Norvège ; parti dont Snorre devient la tête de proue.

Et c’est ce conflit entre pro-indépendance et pro-union qui finira par achever l’Islande. L’assassinat de Snorre en 1241 déclenche une quasi-guerre civile entre goðar et stórgoðar. Affaiblis et aux bords de la famine, elle est laissée sans défense contre la Norvège qui décide de lui donner le coup de grâce.

Prétextant un conflit commercial, le roi Hákon Hákonarson menace d’envahir l’ile. Les goðar, ou du moins ceux encore vivants, décident lors d’une dernière assemblée de voter la fin de l’État libre islandais. Épuisés et désespérés de recevoir de la Norvège des aides, les habitants n’auront même pas l’ambition de se révolter contre cette décision. En 1262 est donc signé le traité de « Gamli Sáttmáli » (vieux pacte) admettant la soumission de l’Islande à la couronne norvégienne. Ainsi se terminent quatre siècles d’indépendance islandaise. Dès ce moment, l’ile entrera dans une période connue comme « la longue nuit », où elle subira la domination norvégienne puis danoise jusqu’à retrouver son indépendance en 1914, soit presque 800 ans plus tard.

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Armin Azarmehr
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