Le 7 octobre dernier, Roger Nordmann, Conseiller national du Parti socialiste, a donné une conférence sur la libéralisation du marché de l’électricité en Suisse et en Europe. Dans cet article, nous revenons sur quelques points essentiels de la conférence. Précisément, nous tenterons de comprendre quels sont les enjeux d’un marché de l’électricité ouvert. Par la même occasion, nous verrons comment le Kosovo a déréglé votre four.
Comment fonctionne le réseau électrique Suisse ?
Le réseau électrique suisse est un monopole naturel construit au fil des années, majoritairement par des collectivités publiques, mais également par des entités privées ayant peu à peu interconnecté leurs propres réseaux personnels au niveau suisse, puis au niveau européen plus récemment. Voici à quoi ressemble (très schématiquement) le réseau électrique en Suisse :
La principale raison d’interconnecter les réseaux est de « lisser, stabiliser et sécuriser » l’apport en énergie aux ménages et entreprise : si un réseau tombe en panne, il est possible de se fournir sur le réseau d’un autre. Bien que cela procure un immense avantage, connecter les réseaux pose aussi de nombreux inconvénients. Tout d’abord, il faut s’assurer que la quantité d’énergie sur le réseau est en tout temps la même. En effet, le réseau électrique n’étant pas en mesure de stocker l’énergie, une trop haute production mènerait à une surcharge du réseau. D’un autre côté, une trop faible quantité d’énergie mènerait à un déséquilibre qui pourrait engendrer des blackouts. C’est pour cette raison qu’il y a quelques années, à la suite d’une sous-déclaration de sa production d’électricité, le Kosovo a déréglé les fours de nombreux ménages européens ; l’horloge des fours étant basée sur le débit d’électricité sur le réseau.
Comment libéraliser un monopole en 471’933 étapes :
À l’heure actuelle, le marché de l’électricité suisse n’est que partiellement libéralisé : seuls les producteurs et consommateurs de plus de 100 MWh (suffisamment pour alimenter plus de 30’000 foyers) ont accès à l’entièreté du réseau. Le projet de libéralisation consisterait en une ouverture du marché à tout agent consommant ou produisant moins que cette limite, c’est à dire l’entièreté de la population, des entreprises et des producteurs. Libéraliser le marché de l’électricité impliquerait que tout un chacun serait libre de choisir son propre fournisseur d’électricité ; il serait possible de faire passer l’électricité du producteur rouge sur le réseau bleu [cf illustration en début d’article], moyennant une indemnisation. Ce principe est cependant extrêmement complexe à mettre en place, il faut imposer des règles strictes :
- Droit de transit et obligation de faire transiter de chaque acteur du réseau.
- Chaque exploitant doit documenter le coût du réseau.
- Il faut séparer la fourniture d’énergie du réseau par producteur.
- Établir les responsabilités du maintien de la fréquence.
- Décider qui finance les rénovations du réseau.
- Décider que faire en cas de panne.
- Décider qui surveille le maintien des règles.
En bref, il faut construire une architecture de marché quasi inexistante.
Transition écologique et investissement dans l’énergie :
Investir dans la production d’électricité est non seulement essentiel pour subvenir à nos besoins en énergie mais également indispensable à la décarbonisation de notre économie. A l’heure actuelle, les énergies renouvelables sont une source d’énergie requérant des coûts d’investissement élevés, mais des coûts marginaux négligeables. Cependant, dû au faible prix de l’électricité actuel, aucune entité privée n’est intéressée par l’investissement dans de nouvelles installations électriques, des subsides sont nécessaires afin d’encourager l’investissement dans de nouvelles sources d’électricité. C’est, selon Nordmann, la vraie raison de la mort du nucléaire, plus que les catastrophes de Tchernobyl ou Fukushima : la non-viabilité de cette méthode de financement.
Nous vivons actuellement grâce à l’électricité produite par les investissements du passé : 30% de l’électricité Suisse provient des deux centrales nucléaires les plus vieilles du monde. D’ici à 2050, il faudra produire de 45 à 45Twh/an supplémentaires et la moitié de notre énergie devra provenir d’une source qui n’existe pas encore. Ne pas agir fortement dans le sens de l’investissement écoresponsable nous condamne inévitablement à une forte hausse des prix de l’électricité et des coupures de courants de plus en plus fréquentes. Tels sont les enjeux du marché de l’électricité, en Suisse comme en Europe, et ouvrir le marché n’apporte aucune solution aux problèmes mentionnés. Au contraire, il apporte son propre lot de problème sans pour autant fournir un bénéfice quelconque.
Toutes les illustrations présentées dans cet article proviennent du matériel de présentation utilisé par Roger Nordmann lors de la conférence, je ne revendique pas les avoir produites.
Nous remercions chaleureusement le CEDIDAC et le CEDEAT pour l’organisation de cette conférence.
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