Le 8 décembre 2021, l’équipe de HEConomist a eu l’opportunité de visiter les archives de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe. C’est donc par un mercredi soir pluvieux que la Fondation nous a ouvert ses portes et nous a fait découvrir son histoire et celle des précieux documents et objets qui y sont conservés.
JEAN MONNET, PÈRE DE L’EUROPE
Jean Monnet a fortement contribué à organiser la paix et l’union entre les pays européens. Revenons un instant sur le parcours de celui que l’on qualifie de père de l’Europe.
Né en 1888 dans la ville de Cognac, en France, Jean Monnet vient d’une famille de négociants de cognac. Rien ne le prédestinait à la carrière publique qu’il aura pourtant. Il n’a pas fait de grandes écoles et a commencé sa vie professionnelle dans le commerce familial. Les négociations commerciales du cognac le font beaucoup voyager. Grâce à cela, il acquiert une bonne maîtrise de l’anglais, chose rare pour un Français à cette époque. Cette connaissance linguistique lui permettra de nouer facilement des liens avec des personnalités importantes durant ses voyages.
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate en 1914, Jean Monnet a 25 ans. Il est réformé pour des raisons de santé mais souhaite tout de même participer à l’effort de guerre. Il remarque que les pays sont alliés uniquement sur le plan stratégique et non sur le plan économique. Selon lui, il ne devrait pas en être ainsi. Il rencontre alors le président du Conseil français et lui fait part de son idée de mettre les ressources des alliés en commun pour l’achat du matériel de guerre, ce qui aboutit à la création d’un pool maritime entre la France et le Royaume-Uni, dont l’objectif est d’optimiser le transport de vivres, de munitions et de matières premières.
À l’issue de la guerre, Jean Monnet est nommé secrétaire général adjoint de la Société des Nations, où il reste trois ans avant de démissionner car il trouve que cette organisation internationale ne permet pas suffisamment le dialogue et les compromis entre les États. Il retourne alors à Cognac pour relancer le business familial. Une fois cette mission accomplie, il sera actif au cours des années 1920 et 1930 aux États-Unis et en Chine notamment.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Jean Monnet se met au service des gouvernements français et britannique. Il présidera le comité de coordination, à Londres. Il fait alors à Churchill et à de Gaulle la proposition d’une fusion entre la France et le Royaume-Uni, ce que les deux hauts responsables acceptent. Mais, à l’arrivée au pouvoir du maréchal Pétain en France, ce plan est abandonné.
En 1940, il est envoyé aux États-Unis par le gouvernement britannique dans le but d’y négocier l’achat de fournitures de guerre. Jean Monnet convainc alors le président Roosevelt de mettre en place le Victory Program qui a pour objectif l’augmentation massive de la production de matériel de guerre.
Monnet fera ensuite partie du Comité français de libération nationale qui souhaite unifier les efforts de guerre français. Constitué à Alger en 1943, ce comité fusionne les deux autorités françaises qui se font face pour libérer le pays : le Comité national français de Londres dirigé par le général de Gaulle et le Commandement en chef français civil et militaire d’Alger dirigé par le général Giraud.
En 1945, Monnet retourne en France et est nommé commissaire au Plan par de Gaulle. À cette fonction qu’il a conçue, il a pour mission de coordonner la reconstruction et la modernisation économique de la France. En 1946, il lance le Plan Monnet, un plan qui a pour but de relancer l’économie du pays.
Après la guerre, la situation reste tendue entre les différents États et l’antagonisme franco-allemand demeure vif. Jean Monnet arrive alors avec une idée de marché commun. Il conçoit en 1950 le projet de création d’une Communauté européenne du charbon et de l’acier. La CECA voit le jour deux ans plus tard. Le but est de mettre en commun ces ressources importantes afin d’éviter qu’un seul pays ait le contrôle des ressources nécessaires pour la guerre et de rendre cette dernière, par ce biais, matériellement impossible. Monnet rédige alors un projet qu’il remet au ministre français des affaires étrangères, Robert Schuman. Ce dernier propose, au nom du gouvernement français, la création de la CECA dans la célèbre Déclaration Schuman du 9 mai 1950. Elle sera instituée par le traité de Paris, signé par la France, l’Allemagne, l’Italie et les pays du Benelux – soit la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas – en 1951. Cette déclaration est la première vraie proposition pour amener la paix et créer une réconciliation franco-allemande. L’exécutif de la CECA, la Haute Autorité, s’installe à Luxembourg en août 1952 et Jean Monnet en devient le premier président.
Au début de la guerre froide, Monnet réalise qu’une alliance européenne serait bénéfique également sur le plan défensif. Il conçoit alors le projet de création de la Communauté européenne de défense (CED), mais le Parlement français voit d’un mauvais œil la délégation d’une partie éminemment régalienne du pouvoir à une autorité supérieure et rejette cette idée en 1954.
Jean Monnet quitte ses fonctions à la CECA en 1955 car il trouve qu’il n’a pas assez de marge de manœuvre en tant que président. Il crée alors le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe qui regroupe les représentants des principaux partis politiques et syndicats ouvriers de la Communauté. Ce Comité donnera à Jean Monnet plus de liberté d’action pour poursuivre son activité en faveur de l’union des Européens. Il travaillera au sein de ce Comité sur des projets comme celui de la Communauté économique européenne (CEE) et celui de la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom), qui aboutiront aux traités de Rome de 1957.
Le Comité d’action sera actif pendant 20 ans, jusqu’en 1975. Jean Monnet, alors âgé de 86 ans, se retire de la vie publique pour rédiger ses mémoires. Le Conseil européen fait de lui en 1976 le premier citoyen d’honneur de l’Europe (depuis lors, Helmut Kohl et Jacques Delors ont reçu cette même distinction). Monnet crée en 1978 la Fondation Jean Monnet pour l’Europe. Il décèdera le 16 mars 1979 à l’âge de 90 ans.
LA CRÉATION DE LA FONDATION
La Fondation Jean Monnet pour l’Europe possède une histoire particulière. Fondée en 1978 par Jean Monnet, elle œuvre dans le but d’accueillir, préserver et ouvrir aux chercheurs les riches archives de ce dernier. Elle est installée depuis 1981 dans la Ferme de Dorigny sur le campus de l’Université de Lausanne, entre la Grange et le Château de Dorigny. Son emménagement à cet endroit a nécessité la rénovation de cette Ferme, qui avait été jusqu’alors consacrée à l’activité agricole, afin d’héberger les précieux documents et objets dans un endroit adapté à cette tâche. Par la suite, la Ferme de Dorigny sera agrandie en 2011, permettant de conserver encore mieux les riches ressources archivistiques et documentaires de la Fondation.
À la fameuse question de savoir pourquoi ces archives, qui attestent pourtant d’une part si importante de l’histoire européenne avec notamment les écrits retraçant les balbutiements et les développements de ce qui deviendra l’Union européenne, sont conservées dans une ville lacustre de Suisse, l’explication est toute simple. Elle commence tout d’abord par une histoire d’amitié. Une amitié forte entre Jean Monnet et Henri Rieben, économiste suisse et professeur à l’Université de Lausanne, qui a débuté au milieu des années 1950, quand les deux hommes se sont rencontrés à Luxembourg. Cette amitié fut riche en collaborations et a perduré pendant les années qui ont suivi. Alors que, dans les dernières années de sa vie, Jean Monnet se posait la question du meilleur lieu pour accueillir ses archives, il a naturellement pensé à les confier à son ami Henri Rieben. Ce dernier s’est alors battu pour convaincre les autorités suisses, vaudoises et lausannoises d’accueillir un tel projet et il sera, par ailleurs, le premier président de la Fondation jusqu’en 2005.
La Fondation Jean Monnet pour l’Europe est une institution indépendante, non-partisane, non-militante et à vocation scientifique d’utilité publique. En plus d’abriter les archives de Jean Monnet, elle s’est enrichie au fil des années avec les archives de plusieurs autres personnalités comme celles de l’ancien ministre français et président du Parlement européen Robert Schuman, celles de l’ancien vice-président de la Commission de la CEE Robert Marjolin ou bien celles de l’économiste Robert Triffin. La Fondation détient aussi une copie électronique des archives de Jacques Delors durant sa présidence de la Commission européenne. La Fondation met ses archives et sa bibliothèque spécialisée à disposition des chercheurs qui s’intéressent à la naissance et aux développements des Communautés européennes.
QUELQUES OBJETS ET DOCUMENTS
Les archives de la Fondation abritent un certain nombre d’objets et de documents particulièrement intéressants, en voici un florilège.
Nous avons pu voir en vitrine des décorations d’animaux que Jean Monnet gardait dans son bureau. L’un de ses amis en particulier trouvait que ces animaux représentaient bien la personnalité de Jean Monnet, lui qui déblayait le terrain comme un hérisson, qui était malin comme un renard mais aussi travailleur qu’une abeille…
Jean Monnet aimait les longues promenades et les marches revigorantes, comme en témoigne cette authentique paire de chaussures qui lui appartenait et que la Fondation garde depuis.
Comme nous pouvons le voir sur cette image, la Fondation possède des archives sur plusieurs supports, aussi bien écrits qu’audio-visuels. La Fondation veille à sauvegarder l’Histoire écrite de l’Europe mais aussi l’Histoire orale en conservant par exemple des interviews de personnalités européennes et suisses. La Fondation dispose ainsi d’interviews d’un large panel de scientifiques, hommes et femmes politiques, écrivain·e·s et journalistes.
Nous pouvons voir ici des affiches datant de la Première Guerre mondiale qui étaient placardées à Londres pour encourager la population anglaise à participer collectivement à l’effort de guerre. Ces archives faisaient partie de fonds inédits retrouvés en 2019.
Un autre document emblématique que la Fondation a en sa possession est la version anglaise et annotée de la déclaration d’Union franco-britannique du 16 juin 1940, élaborée à Londres par Jean Monnet et que le gouvernement français ne voudra finalement pas adopter.
Sur cette image, nous pouvons voir en bas à gauche le dernier des neuf projets de la Déclaration Schuman du 9 mai 1950 conçue par Jean Monnet, acte de naissance de l’Europe communautaire ainsi que le lingot de la première coulée de fonte européenne datant du 30 avril 1953 et portant l’inscription « EUROP ». En finissant sur cette dernière image, nous pouvons avant tout admirer la volonté, déjà à l’époque, de respecter et de prendre en considération les sensibilités de tous les Européens et de toutes les Européennes en choisissant d’écrire « Europ » sans « e » ou sans « a ».
Ce choix symbolique d’orthographe illustre à lui seul les valeurs de l’Union européenne : pluralisme, cohésion et inclusion.
Dans cet article, nous n’avons pas pu vous montrer tous les trésors qu’abrite la Fondation mais, pour les plus curieuses et curieux d’entre vous, sachez que la Fondation propose dès 2022 l’accès en ligne à ses archives qu’elle a pris soin de numériser depuis plusieurs années (lien : https://archives.jean-monnet.ch/). Vous pourrez ainsi explorer depuis chez vous les documents retraçant une part si importante de l’histoire de l’Europe.
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