Retour sur la conférence de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe : « Le Brexit. Etat des lieux et perspectives »

Le 23 mars 2022, la Fondation Jean Monnet pour l’Europe a organisé une conférence ayant pour but de donner un aperçu de l’état de la situation du Brexit avec comme invité de marque M. David O’Sullivan, ancien ambassadeur de l’Union européenne aux États-Unis. Une discussion instructive complétée par les perspectives intéressantes de M. O’Sullivan, j’ai eu le plaisir non seulement d’assister à cette conférence mais aussi de vous en faire un récapitulatif que voici.

La conférence a commencé par une introduction donnée par M. Jacques de Watteville, vice-président de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe, ancien secrétaire d’Etat de la Confédération suisse et négociateur en chef avec l’Union européenne (UE). Après avoir exprimé quelques remerciements courtois, M. de Watteville a poursuivi en présentant M. O’Sullivan, décrivant en particulier le parcours remarquable du dernier au service d’institutions européennes. M. O’Sullivan, en outre son rôle d’ancien ambassadeur de l’Union européenne aux États-Unis, a également tenu les postes de directeur général administratif du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), de secrétaire général de la Commission européenne et de directeur général à la DG Trade à la Commission européenne. En tant que citoyen irlandais, M. O’Sullivan était bien placé pour parler de l’état des lieux du Brexit et offrir ses perspectives personnelles.

Remarques initiales

En commençant son discours, M. O’Sullivan a tout d’abord exprimé la difficulté avec laquelle il aborde le sujet du Brexit. Ayant travaillé pendant quarante-cinq ans sur l’intégration européenne, il a exprimé son regret et sa tristesse d’avoir vu une « marche en arrière » avec le Brexit.

M. O’Sullivan a aussi reconnu ses propres préjugés sur cette question. Premièrement, étant partisan de l’intégration européenne tout au long de sa carrière, il admet avoir vu la décision du Royaume-Uni de quitter l’UE seulement avec « un œil critique ». De plus, en étant irlandais, M. O’Sullivan a reconnu le problème posé à l’Irlande à cause du Brexit. La question de l’Irlande du Nord fait notamment partie de ce problème. M. O’Sullivan a ainsi partagé ses peurs pour la paix entre l’Irlande et l’Irlande du Nord, péniblement achevée au cours de longues années qui, selon lui, est maintenant menacée.

Le discours de M. O’Sullivan était divisé en quatre parties : les origines du Brexit, le « comment ? » du projet et les défis impliqués par ceci, l’état de la situation actuelle et les réflexions de M. O’Sullivan lui-même pour la suite.

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Fondation Jean Monnet pour l’Europe

Origines du Brexit

En retraçant les origines du Brexit, M. O’Sullivan a rappelé l’« exceptionnalisme britannique » qui a distingué le Royaume-Uni dans le passé. Alors Winston Churchill, premier ministre du Royaume-Uni de l’époque fut celui qui lança l’idée des « Etats-Unis d’Europe », il était clair pour lui que le Royaume-Uni n’en ferait pas partie. En effet, lorsque les négociations entre les six États membres de l’UE ont commencé, le Royaume-Uni a choisi de ne pas y participer. Il a alors créé une structure alternative, l’Association européenne de libre-échange (AELE), qui lui a permis de commercer et surtout de maintenir des liens avec les pays européens.

Ce n’était que dans les années soixante que le Royaume-Uni a remarqué qu’il serait dans son propre intérêt de faire partie de l’UE. Pourtant, il existait toujours des tensions. Bien que Mme Thatcher, première ministre du Royaume-Uni de 1979 à 1990, épousait l’idée d’un marché unique, elle se battait toujours pour une contribution budgétaire britannique modique, dans les intérêts de sa politique d’austérité économique notoire. En 1988, lors d’un discours au Collège d’Europe à Bruges, en Belgique, Mme Thatcher a bien fait comprendre qu’il ne fallait pas que l’intégration européenne aille trop loin.

Pourtant, le vrai point de départ de l’euroscepticisme britannique a été le Traité de Maastricht de 1992, qui a formalisé l’UE et le marché unique, notamment avec le lancement de l’Euro, les politiques communes en matière de criminalité et de justice ainsi que sur les droits des travailleurs. Il est important de noter que durant les négociations, le Royaume-Uni a fait pression en faveur des exceptions sur ces trois points clés. Il était donc évident, à ce stade-là, que le Royaume-Uni peinait à s’insérer dans la communauté européenne.

Le processus de ratification du Traité de Maastricht a révélé plus profondément les fissures qui se produisaient dans le gouvernement britannique de l’époque. Bien que l’engagement du premier ministre, John Major, ait réussi à faire ratifier le Traité, cela a eu comme coût d’aliéner une bonne partie de son parti politique, les Conservateurs, qui ont commencé à lutter contre une intégration poussée. Cela a mené à la naissance du fameux parti anti-européen, le « UK Independence Party (UKIP) ». Alors qu’ils n’avaient pas connu beaucoup de succès au départ, ils sont montés progressivement dans les sondages, semant parmi les Conservateurs la peur de perdre les élections.

Plus tard, deux moments clés ont posé les jalons du désir de la part du peuple britannique de quitter l’UE. Le premier a été la décision du premier ministre Tony Blair, un pro-européen, d’autoriser la libre circulation des ressortissants des nouveaux États membres de l’UE sans période transitoire, ce qui était pourtant possible. Ce choix politique délibéré visant à ouvrir le marché britannique et, par ce biais-là, à créer un certain avantage économique, a conduit à une forte migration des pays européens de l’Est vers le Royaume-Uni. Durant cette période-là, une opposition politique dans la population est née, qui a porté ses fruits plus d’une décennie plus tard.

Le deuxième moment, souvent peu mentionné, a été la décision du futur premier ministre David Cameron de faire quitter le parti conservateur du « European People’s Party », le parti des démocrates chrétiens au niveau européen. Cela a en effet commencé à écarter le mouvement conservateur britannique du mouvement européen. Ensuite, en 2015, le parti UKIP, avec Nigel Farage en tête, a connu un succès monumental dans les élections nationales.

En 2015, M. Cameron pris la décision de tenir un référendum sur la continuation de l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE. Le 23 juin 2016, le peuple britannique décida de quitter l’UE, phénomène dès lors connu sous le nom du Brexit.

Le « Comment ? » du Brexit

Le dilemme de la situation après le référendum de 2016 provenait du fait que les partis opposants de l’UE n’ont pas présenté une solution alternative. Selon eux, la raison d’être du mouvement Brexit a été de reprendre le contrôle des affaires britanniques, notamment en matière de la libre circulation des personnes. Par conséquent, quand le verdict est tombé, il n’existait pas un projet détaillant la mise en œuvre du départ du Royaume-Uni. En effet, personne ne savait s’il s’agissait d’un départ total ou un départ partiel avec une solution telle qu’en Norvège ou bien en Suisse.

Au fur et à mesure que le débat interne progressait au Royaume-Uni, plus il partait vers une ligne dure. Cela a mené à la situation actuelle qui, selon M. O’Sullivan, représente une rupture totale des relations formelles entre le Royaume-Uni et l’UE. Un accord de retrait a été créé qui a réglé, en partie, le problème du budget et le problème des citoyens britanniques vivant dans l’UE (et vice versa). De la même façon, un accord d’échange a été négocié qui a garanti une exemption des droits de douane sur le commerce. Pourtant, ces accords restent encore lacunaires. Les questions des services financiers, la libre circulation des personnes, l’échange des données et les politiques de sécurité et défense, pour n’en citer que quelques-unes, n’ont pas bénéficié d’une grande attention dans ces accords. Ces questions, pour lesquelles le Royaume-Uni a été pleinement impliqué antérieurement, n’avaient, tout d’un coup, plus de base pour la coopération.

Une question en particulier qui n’a pas reçu d’attention suffisante, selon M. O’Sullivan, a été la question de l’Irlande du Nord. L’accord de paix entre le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord reposait sur le fait que les deux pays fassent partie de l’UE. Cela a permis, effectivement, de réconcilier les espoirs du peuple en Irlande du Nord qui se considérait britannique et qui voulait rester dans le Royaume-Uni, et celles du peuple qui se considérait irlandais et qui souhaitait vivre dans une île unifiée. Le Brexit, pourtant, a brisé cet accord en soulevant notamment la question d’une frontière terrestre entre les deux pays. Même si une formule a été trouvée pour la frontière, cela a toutefois marqué un pas en arrière pour les unionistes, qui craignaient que cette solution ne présente un risque pour la paix laborieusement achevée entre les deux pays.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

En se basant sur les faits, M. O’Sullivan a remarqué que le Brexit représente tout d’abord une perte économique et commerciale pour le Royaume-Uni. Précisément, les calculs du gouvernement britannique indiquent une perte de 4% du PNB, tandis que la crise du COVID leur a coûté 1%. Cela a été déclenché en grande partie par les nouvelles complications au niveau du commerce qui ont engendré des coûts importants.

Politiquement, M. O’Sullivan a reconnu que le Brexit n’a pas été un projet unificateur. En revanche, le Brexit a amplifié les clivages politiques au Royaume-Uni, notamment au niveau régional. La campagne du Brexit, en particulier, a déchaîné de nombreuses méchancetés violentes faites au Parlement britannique ainsi que dans les cours et les médias.

Au niveau mondial, « seulement le temps nous dira », selon M. O’Sullivan. Pourtant, il note que, de ce qui est entendu parmi les autres pays, le Royaume-Uni était un allié beaucoup plus important quand il faisait partie de l’UE. En ne minimisant pas l’importance du Royaume-Uni à l’échelle mondiale, M. O’Sullivan a reconnu que le Brexit a servi seulement à diminuer, et non pas augmenter, l’impact et l’importance du pays.

Dernières réflexions

Pour conclure, M. O’Sullivan a fait le point sur les conséquences du Brexit pour l’UE. Il a éclairé notamment le phénomène européen qu’il appelle « la nationalisation de la réussite et l’européanisation de l’échec ». Selon ce phénomène, lorsqu’un pays avance, le gouvernement et les politiciens du pays s’en attribuent le mérite. Cependant, lorsqu’il y a des obstacles et des soucis que se présentent, le blâme est directement attribué à l’UE. M. O’Sullivan a donc souligné l’importance d’expliquer aux citoyens des pays faisant partie de l’UE les bénéfices rapportés par une structure telle que l’UE et leur appartenance à celle-ci.

M. O’Sullivan a également fait référence aux pays européens, outre les 27 pays qui constituent le « noyau dur » de l’UE, qui ont des liens variés à l’UE, tels que la Turquie, État candidat à l’UE, les pays des Balkans et des pays comme l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, etc. M. O’Sullivan a appelé à réfléchir à d’autres solutions ayant pour but de réunir davantage les pays autour de l’UE, en mentionnant quelques formules déjà en vigueur, telles que l’Espace économique européen.

« La création de l’UE était une des choses les plus nobles de l’histoire de l’Europe et si elle n’existait pas, il conviendrait impérativement de l’inventer », a conclu M. O’Sullivan, en citant une connaissance diplomate à Washington. Pourtant, il s’agit maintenant de trouver une organisation du continent qui nous offrirait une manière de vivre et d’agir ensemble afin d’assurer la paix, la liberté, la démocratie et les droits humains dans cette Europe dont nous faisons partie. Avec ces mots de fin instructifs, M. O’Sullivan a clôturé son discours et la conversation a été ensuite ouverte au public.

Nous remercions la Fondation Jean Monnet pour l’Europe d’avoir organisé cette conférence fascinante. Pour visionner l’intégralité de la conférence, n’hésitez pas à cliquer ici.

Khadija Zaidi
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