Psychédéliques

Les perspectives médicales du microdosage des psychédéliques.

Malgré leur interdiction dans la quasi-totalité des pays, les psychédéliques continuent à être utilisés illégalement à travers le monde. Cependant, si elle était autrefois utilisée dans un cadre uniquement récréatif, la consommation de substances telles que le LSD ou les champignons à psilocybine a évolué dans un autre sens ces dernières années. En effet, un nouveau mode de consommation émerge et intrigue la médecine : le microdosage.

Un peu d’histoire.

L’utilisation des psychédéliques est attestée dans de nombreuses civilisations anciennes, comme les Mayas et les Aztèques par exemple, à travers la consommation de champignons hallucinogènes.

Si ces derniers existent naturellement, le LSD est une molécule de synthèse. Elle a été découverte pour la première fois à Bâle en 1938 par la chimiste Albert Hofmann, alors en train d’effectuer des recherches sur l’ergot de seigle, un champignon parasite de culture. C’est en se frottant les yeux avec des résidus de produit sur les mains qu’il absorbe par inadvertance du LSD pour la première fois. En découvrant les effets, il décide d’en consommer à nouveau et expérimente alors les hallucinations.

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Hippies vendant du LSD pour 1$ au festival de Woodstock en 1969

Ces effets ont d’abord fait l’objet d’études scientifiques, mais ils se sont ensuite très vite immiscés dans la contre-culture américaine, et notamment la culture hippie. La substance est alors détournée de tout usage thérapeutique pour une utilisation purement récréative. Malgré un risque inexistant de dépendance et de surdose suite à la consommation de LSD, cela peut produire des « bad trip » violent, surtout dans un cadre non contrôlé, qui peuvent laisser des séquelles telles que des troubles du comportement.

Il acquiert alors une mauvaise réputation qui entraînera son interdiction progressive dans le monde occidental dès la fin des années 60, ce qui fermera la porte à toute étude supplémentaire malgré des résultats prometteur.

Un autre mode d’administration, d’autres intentions.

Il y a quelques années, surtout dans les milieux de l’entreprenariat et de la technologie, a commencé à émerger la pratique du microdosage. Cela consiste à consommer une dose infime de psychédéliques, qui représente entre un 10ème et un 20ème d’une dose ordinaire. Une telle concentration est beaucoup trop faible pour ressentir des hallucinations, mais suffisante pour impacter d’autres aspects de l’esprit.

Et c’est justement ce que recherchent les cadres de la Silicon Valley : accroissement de la créativité, de la concentration, de l’extraversion et des émotions positives, tels sont les avantages décris par les utilisateurs dans des vidéos postées sur YouTube ou sur des forums Reddit, dont l’un d’eux regroupe pas moins de 198’000 membres.

La pratique s’est donc popularisée, à tel point qu’elle n’est plus réservée à ceux qui veulent booster leurs capacités, et qu’elle intéresse de plus en plus la science. En effet, même si la substance est illégale, des autorisations exceptionnelles commencent à être accordées dans certains pays pour mener des expériences ou même directement traiter des patients. Par exemple, Federico Seragnoli, chercheur et psychologue au service d’addictologie de Genève, peut utiliser du LSD pour traiter des troubles mentaux. En effet, la Suisse est actuellement le seul pays à autoriser les essais cliniques sur des patients. Nous observons alors un usage médical d’une substance illégal, ce qui nous rappelle que la frontière entre médicament et drogue est souvent mince, et les deux se confondent parfois.

M. Seragnoli traite à l’aide de LSD des pathologies telles que la dépression ou l’addiction, lorsque d’autres thérapies et traitements n’ont pas marché. Cependant, il n’utilise pas de microdoses, mais des doses ordinaires de 100 microgrammes. Il affirme que 2 à 3 prises dans un cadre médical sur une période de 3 mois aura des effets bénéfiques à long terme. Cela permet une sorte d’introspection qui va traiter le problème en profondeur. Même si sur les forums les utilisateurs rapportent une utilisation de psychédéliques sous forme de microdoses pour traiter les mêmes pathologies, les principes de fonctionnement ne sont pas les mêmes. En effet, cela correspond plutôt à un traitement classique, à prendre de façon quasi-journalière.

Mike Brodeur, ancien hockeyeur professionnel à Ottawa, au Canada, a été victime d’une commotion cérébrale qui a mis un terme à ses rêves. Après des années sous anti-dépresseurs et anti-douleurs, il témoigne. « J’étais désespéré. Je restais toute la journée dans mon lit ». Il a alors décidé d’utiliser le microdosage de champignon à psilocybine : « Je prends une capsule avec mon café chaque matin, du lundi au vendredi. Les effets sont légers, mais ça me donne de l’énergie, de la concentration et de l’optimisme. Le microdosage a changé ma vie ». Effectivement, les utilisateurs rapportent une différence de taille entre les effets des anti-dépresseurs et ceux des microdosages de psychédéliques. Les premiers tronqueraient une partie des émotions, et provoqueraient une sorte de déshumanisation, alors qu’avec les seconds, le « spectre d’émotions » resterait identique, mais ils seraient simplement appréhendés avec plus de souplesse et de détachement.

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Représentation de l’activité du cerveau d’une personne ayant consommé un placebo et d’une personne ayant consommé 75 microgrammes de LSD

D’autres scientifiques ont déjà mené des expériences concluantes sur le traitement des addictions à l’aide de psychédéliques. Il se pourrait même que cela permette enfin de développer un traitement contre Alzheimer. En effet, Robin Carhart-Harris, professeur et chercheur au centre de recherche pour les psychédéliques à l’Imperial College London, explique que « normalement, notre cerveau est composé de réseaux indépendants qui séparent différentes fonctions spécifiques, comme la vision, l’ouïe ou le mouvement. Sous LSD, la séparation de ces réseaux se brise et on obtient un cerveau plus intégré, plus unifié ». De plus, ces substances augmentent l’activité cérébrale. Or, cela pourrait justement permettre de stimuler le cerveau des patients atteint d’Alzheimer. Cependant, les recherches ne sont pas encore assez avancées pour pouvoir indiqué avec certitude si cela fonctionne ou si les psychédéliques pourraient être utilisés pour soigner d’autres pathologies comme les troubles de l’attention ou l’autisme.

Les limites du processus et de son étude.

Comme nous l’avons dit auparavant, au vu des législations actuelles, les études sur les potentiels effets thérapeutiques du LSD ou des champignons à psilocybine sont très compliqués à mettre en place, même si les choses commencent petit à petit à bouger.

Or, même s’ils sont nombreux, les témoignages d’individus s’essayant à l’automédication comportent souvent de nombreux biais, ne sont pas toujours documentés de façon précise, ni effectués dans les conditions optimales, et ne peuvent donc pas être utilisés comme preuves. Par exemple, l’une des expériences les plus importantes menées au sujet du microdosage montre une tendance à l’effet placebo chez les consommateurs de microdoses. En effet, si ces personnes s’essayent au microdosing, c’est souvent qu’elles sont au moins en partie convaincues des effets, ce qui va entraîner le résultat escompté chez le consommateur.

De plus, si Federico Seragnoli affirme que dans un cadre médical contrôlé la consommation de LSD est sans risque, ce n’est pas le cas en dehors de celui-ci : en plus d’être illégal, elle peut s’avérer dangereuse. Si l’on est trop imprudent avec les dosages et qu’ils deviennent un soupçon trop haut pour du microdosage, les effets risquent d’être totalement inversés et de provoquer une baisse de concentration ou un état dépressif, rendre froid et déconnecté de la réalité, selon les témoignages. En outre, comme pour les effets recherchés, les effets secondaires de la consommation de psychédéliques sous forme de microdoses sont mal documentés, notamment sur le long terme. Enfin, la consommation de psychédéliques peut révéler des maladies psychologiques sous-jacentes si une personne a des prédispositions à cela.

Il est de l’intérêt commun que les législations concernant les essais cliniques s’assouplissent afin que la science obtienne des réponses fiables sur ces molécules bien particulières. En effet, même si les psychédéliques ne sont pas un remède miracle, ils pourraient bien réserver quelques surprises, et pourquoi pas quelques solutions.

Psychédéliques
Marceau Bergeon
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