Une image contenant texte Description générée automatiquement

« État de nécessité », la justice doit-elle acquitter les activistes du climat ?

22 novembre 2018. Il y a 4 ans, une quinzaine de jeunes se rendaient dans la filiale de Crédit Suisse à Lausanne pour y jouer une partie de tennis et dénoncer les contributions financières aux émissions de gaz à effets de serre de l’entreprise.

29 novembre 2019, Fribourg. Plus de 30 jeunes bloquent le centre commercial Fribourg Centre, lors d’une action de dénonciation de la surconsommation en journée de Black Friday.

21 septembre 2020, occupation de la place fédérale lors des débats au Parlement sur la modification de la Loi CO2.

Depuis 2020, intensification des blocages de routes par Renovate Switzerland. Action de jet de soupe sur des œuvres célèbres. Manifestations pour le climat toujours plus nombreuses et créatives.

Cette petite liste nous fait bien comprendre que la désobéissance civile en matière climatique ne fait qu’augmenter au cours de ces dernières années et, de facto, le nombre de procès climatiques.

Socialement, les actes de désobéissance civile sont clivants. Il nous suffit de voir les réactions dans la rue, sur les médias sociaux, mais aussi au sein de notre rédaction, qui ne partage pas toujours les mêmes opinions. Mais outre l’opinion sociale, je veux aujourd’hui me pencher sur une question purement juridique, mais toute aussi clivante, la justice doit-elle acquitter les activistes du climat ?

Cet article est un retour sur le reportage de Stéphane Goël « État de nécessité » projeté publiquement le 21 novembre 2022 par Unipoly, l’Association des Juristes Engagéexs (AJE) et le Centre de Droit Pénal de l’UniL en présence de Claire et Djiana, activistes climatiques, Laïla Batou, avocate, Raphaël Mahaim, Conseiller national Les Vert·e·s et avocat ainsi que le réalisateur.

L’État de nécessité en droit pénal

Pour mieux comprendre l’enjeu et les arguments invoqués lors des procès, il faut comprendre ce qu’est l’état de nécessité, prévu par l’art. 17 du Code Pénal Suisse (CP, RS 311.0), et ses composantes.

Sur le plan de la condamnation pénale, lorsque les conditions de réalisation d’une infraction pénale sont remplies, l’infraction ne peut être réprimée par une peine lorsqu’elle est justifiée par l’un des 5 motifs excluant l’illicéité : actes ordonnés par la loi, légitime défense, état de nécessité justificative, sauvegarde d’intérêts légitime ou consentement présumé de l’ayant droit.

La situation de l’état de nécessité s’inscrit en réaction à un danger, signifiant qu’un bien juridique individuel risque de subir une atteinte effective. Le danger doit être actuel, sans pour autant que l’attaque soit imminente.

L’acte de nécessité justificative doit alors comprendre les points suivants. Qu’il s’attaque à des biens juridiques collectifs ou individuels, l’acte doit être nécessaire et abstraitement utile pour repousser le danger. Il doit être subsidiaire, c’est-à-dire que tous les moyens légaux ont été envisagés. Finalement, il doit être proportionnel par rapport à l’attaque.

Dans les procès pénaux contre les activistes du climat nous voyons l’opposition des parties au procès sur les points de la nécessité ainsi que de la subsidiarité.

Les activistes du climat face à la justice

Le film documentaire retrace les procès de la partie de tennis chez Crédit Suisse à Lausanne, en première instance, en appel puis devant le Tribunal fédéral ainsi que le procès de l’action Block Friday à Fribourg.

Les procès Crédit Suisse

Alors acquitté·e·s en première instance, les activistes se voient condamné·e·s au procès en appel. Pour le procureur général du canton de Vaud, Eric Cottier, c’est une application correcte du droit. La défense des intérêts climatiques doit se faire dans le respect du cadre légal.

Les activistes sont condamné·e·s sur le non-respect du principe de subsidiarité. Pour l’autorité d’appel, il y a notamment la possibilité de faire passer un projet de loi par le biais d’une initiative. En outre, l’autorité argue que la loi CO2 en cours de révision au cours du jugement permettrait une protection plus incisive de l’environnement.

Face au Tribunal fédéral (TF), le jugement de la cour d’appel est confirmé. Selon le TF, il n’y a pas de danger actuel et concret. En outre, concernant la subsidiarité, une « kyrielle de moyens » légaux est à la disposition des activistes.

En conclusion, selon le tribunal, on ne peut pas commettre un acte pénalement répréhensible pour faire entendre les intérêts climatiques. Le danger imminent ne peut être reconnu en matière de protection du climat.

Le procès Black Friday

Dans ce procès contre le blocage d’une sortie d’un centre commercial en jour de Black Friday à Fribourg, les avocat·e·s des 32 prévenu·e·s plaident l’état de nécessité. Selon les dires des activistes, elles et ils font déjà tout ce qu’ils peuvent dans leurs vies privées pour limiter leur impact personnel sur le climat. Iels insistent entre autres sur leur participation active à la vie politique et démocratique suisse.

Afin de faire pencher la balance en leur faveur, les avocat·e·s ont fait appel à une équipe de cinq expert·e·s, comme Jacques Dubochet, chercheur en bio-physique ou deux chercheur·euse·s en psychologie sociale. Le Tribunal de première instance refuse de les entendre.

Comme pour les verdicts de Crédit Suisse, le tribunal considère que les activistes agissent avec conscience et volonté de façon contraire à la loi, elles et ils ont d’autres moyens légaux pour se faire entendre, comme la médiatisation du problème, des lettres ouvertes ou encore la tenue de conférences.

Le juge dit ne pas comprendre comment la désobéissance civile est apte à limiter le réchauffement climatique et qu’en outre elle n’est pas nécessaire. C’est finalement pour la défense, une mauvaise compréhension, et pire, un refus de comprendre dès lors que le juge refuse d’entendre des expert·e·s en psychologie sociale.

De l’état de nécessité au droit fondamental de manifester

À la fin de la procédure d’appel devant le Tribunal fédéral, les activistes de Crédit Suisse et leurs avocat·e·s prennent la décision de déposer une requête devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Cour EDH), à Strasbourg.

La Cour ne recevant que des requêtes sur des droits fondamentaux elles et ils invoquent la violation des libertés d’expression (article 10) et de réunion et d’association (article 11) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, RS 0.101).

Et c’est là, aujourd’hui que se tourne tout l’enjeu du problème. Oui, les activistes du climat enfreignent la loi, mais elles et ils en assument les conséquences. Mais l’état de droit, par peur de faire face à ses responsabilités, préfère-t-il museler ceux qui dénoncent plutôt que de protéger notre bien le plus cher, notre écosystème ?

Il nous suffit pour nous rendre compte de la gravité de la situation de voir que la Suisse a été condamnée par la Cour EDH pour violation des libertés d’expression et d’association vingt fois en 30 ans, ou encore qu’une interpellation a été déposée au Conseil national le 22 mai 2022 avec pour titre « Bloquer les « activistes du climat » ou se laisser encore bloquer ? ».

De la légitimité de faire entendre sa voix

Les activistes du climat violent la loi et le savent, en acceptant les conséquences pénales de leurs actes. C’est grâce à ces actes de désobéissance, qui commencent à la fin des années 2010 en Suisse, que l’on parle tant de climat, de justice climatique en Suisse. Il convient de noter qu’avant la communication de Crédit Suisse sur la partie de tennis, seul un article de presse est paru sur le sujet. Et que depuis, Roger Federer s’est exprimé et que la presse internationale a parlé de l’affaire.

Au procès Crédit Suisse, elles et ils étaient 12, 32 au procès Block Friday, 200 au surnommé « Procès des 200 » qui donne suite à divers faits de désobéissance civile, forçant la justice pénale à se confronter à la réalité. À se mêler de la politique en matière de climat, comme les tribunaux se sont mêlés de la politique en matière de droit des femmes ou de droit d’asile.

Parce que finalement c’est ça l’objectif des activistes du climat. Ça ne fait pas plaisir de bloquer des ponts, de se coller au bitume, de manifester sous la pluie ou de jeter de la soupe. Mais c’est grâce à elles et eux, grâce à leur désobéissance que le climat est autant médiatisé ces dernières années, ce sont ces personnes qui font réellement pression sur l’agenda politique, pour une nouvelle loi sur le CO2, pour des multinationales responsables, pour sauver nos glaciers.

Il a fallu 3 votations fédérales pour donner le droit de vote aux femmes. Comme Gandhi, comme Martin Luther King, comme Rosa Parks, comme celles qui ont admis avoir avorté dans le Manifeste des 343 en France, nos activistes vont continuer à désobéir. Il leur faudra peut-être 10 procès, 5 initiatives avec référendum mais finalement, ne seront-elles et ils pas les héros de demain, qui auront défendu corps et âme notre survie et celle de centaines d’espèces ? Qui se trouvera « du bon côté de l’histoire » ?

Chloé Augsburger
Cliquez sur la photo pour plus d’articles !

 

Dans la même thématique, la rédaction vous propose les articles suivants :

RENOVATE SWITZERLAND: UNE FAUSSE BONNE IDÉE ?
– JULIEN SAVOY –

Une image contenant plafond, intérieur, plusieurs Description générée automatiquement
FAST FASHION: A BRIEF OVERVIEW OF THE IMPACTS AND EXPLANATIONS
– MANON GUIRAUD –

Macintosh HD:Users:Yasmine:Desktop:school-strike-4-climate-4057675_960_720.jpg
ÉTAT D’URGENCE CLIMATIQUE ?
– YASMINE STAREIN –