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EACOP : un projet pétrolier terrifiant

Dès sa découverte en 2006, le pétrole se trouvant sous le lac Albert en Ouganda n’a cessé d’attiser bien des convoitises. On estime à 2.2 milliards le nombre de barils récupérables sur ce nouveau filon. C’est la société française TotalEnergies qui aura la chance de l’exploiter majoritairement (à 62%) en association avec la firme chinoise CNOOC (China national offshore oil corporation) ainsi que les compagnies pétrolières nationales ougandaise et tanzanienne. Le projet : 400 puits de pétrole et le plus long oléoduc chauffé du monde avec pas moins de 1443 km de longueur (soit la distance Paris – Rome) traversant plus de 400 villages et des réserves naturelles en Ouganda et en Tanzanie. Son nom est EACOP (East African Crude Oil Pipeline) et il ne vous dit sûrement rien à cause du manque de médiatisation de ce projet écocidaire, notamment dû au fait qu’il prenne place en Afrique.

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Une menace pour la faune, la flore mais aussi la population

EACOP traversera plus de 2000 km carrés de réserve naturelle protégée en raison de sa faune mettant ainsi en danger la biodiversité par le tracé du pipeline mais aussi parce que le tuyau sera gardé à 50 °C en permanence pour éviter la solidification du pétrole. De plus, la majorité des puits de pétrole seront creusés autour et à l’intérieur du plus grand parc national d’Ouganda, Murchison Falls, détruisant l’habitat naturel de nombreuses espèces protégées. Pour les populations locales, le projet représente un risque important car il traverse le bassin du lac Victoria, deuxième plus grand lac d’eau douce au monde, sur 400 km, créant la possibilité d’une marée noire. Les locaux vivant principalement de l’exploitation de ce lac, qui est aussi leur principal accès à l’eau potable ainsi qu’à une source de nourriture non-négligeable. L’impact d’un désastre pétrolier dans ce vivier plongerait une grande partie de la population autochtone dans l’insécurité alimentaire et le chômage, alors que les conditions de vie dans ces régions sont déjà difficiles. Le groupe Total avance le fait que le pipeline sera enterré et que des tests seront réalisés pour vérifier son intégrité mais selon un groupe de consultants E-Tech : « des fuites de pétrole vont avoir lieu pendant la durée de vie du projet » mettant de ce fait en danger la biodiversité et la vie des gens l’exploitant dans le respect de leur tradition. Même la construction d’un nouveau terminal au port de Tanga, là où le pétrole sera acheminé, fera encourir des risques à des parcs marins protégés notamment celui des Cœlacanthe Tanga grand d’environ 55’000 hectares et abritant notamment le cœlacanthe, une des espèces de poissons les plus rares au monde.

Des locaux vivant déjà dans la peur

Au-delà des risques futurs que ce projet soulève, les populations locales vivent dans l’insécurité et subissent déjà les conséquences de ce projet. En effet, plus de 118’000 personnes ont ou devraient être expropriées pour que le projet prenne vie. Principalement des agriculteurs à qui on interdit de cultiver leur terre et de nourrir leur famille et ce, avant même d’avoir pu percevoir une quelconque compensation financière qui est bien souvent dérisoire face à la perte de moyens nourriciers. Pour les mécontents, la répression par les autorités s’organise à coup d’intimidations, de menaces et d’enfermement. Certains agitateurs ont même été victimes d’attaques à leur domicile, déclenchant une interpellation de TotalEnergie par les rapporteurs spéciaux des Nations Unies. D’autres ont été traduit en justice après avoir refusé les compensations financières pour « entrave au développement du pays ». L’accès à l’information est aussi restreint pour assurer son contrôle, en témoigne l’arrestation de l’activiste ougandais Maxwell Atuhura pour avoir voulu enquêter dans un village visé par l’expropriation. Dans cette lutte pour la rétention d’information, le gouvernement ougandais peut compter sur le fidèle soutien de la France. Selon des informateurs de différentes ONG, la 27e brigade d’infanterie de montagne française aurait formé des troupes de montagnes au sein de l’armée ougandaise, pour assurer une meilleure protection du site et donc un meilleur contrôle des populations locales en plus d’une proximité accrue entre l’ambassadeur français et le grand groupe pétrolier selon un rapport des Amis de la Terre.

En Tanzanie aussi, la rétention d’information et la violence envers les populations locales est légion. Depuis 2015, la loi « Statistics Acts » interdit : « toute organisation de publier des informations qui ne proviennent pas du gouvernement ou qui n’ont pas été validées par le gouvernement ». Cela empêche donc toute critique du projet EACOP en Tanzanie, les journalistes étant systématiquement accompagnés d’un membre du gouvernement pour les surveiller, dans ce pays où l’accès à l’information est systématiquement difficile (en témoigne la chute de la Tanzanie au classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters Sans Frontières, passant de la 34e place en 2011-2012 à la 123e place en 2022). Autre problème majeur dans ce pays, la terre n’appartient pas aux individus mais à la présidente de la République. Ce faisant, les problèmes d’expropriations sont facilement résolus puisque les Aborigènes n’ont jamais été propriétaires de leur terrain. Ceux qui ont osé refuser la compensation offerte par l’Etat se verront ravir leur terre sans possibilités de contestation.

Les impacts et solutions « juridiques » en France et en Europe

En dehors des conséquences locales désastreuses, EACOP apparaît comme un danger pour le monde entier. L’infrastructure devrait émettre environ 34 millions de tonnes de CO2 par an, selon un rapport d’Oxfam (une association luttant contre les inégalités et la pauvreté). Cela représente bien plus que les émissions actuelles de l’Ouganda et de la Tanzanie réunies (bien que Total présente le chiffre de 13.5 millions de tonnes sur 20 ans grâce à un tour de magie consistant à omettre de comptabiliser les émissions liées à l’utilisation du pétrole brut extrait).

Si le monde veut espérer ralentir le réchauffement climatique et le maintenir sous 1.5 °C, soit l’objectif de l’Accord de Paris de 2015, plus aucun nouveau projet gazier ou pétrolier ne devrait voir le jour selon le dernier rapport du GIEC et celui de l’Agence internationale de l’énergie en 2021. Pour ce faire, 6 ONG françaises et ougandaises ont fait valoir la loi sur le devoir de vigilance de 2017 imposant un « devoir de vigilance » à une entreprise française pour ses filiales à l’étranger. Cette loi oblige la firme à prévenir les violations des droits humains ainsi que les atteintes à la sécurité des personnes ou à l’environnement. C’est la première fois que cette loi est invoquée, la première audience a eu lieu le 7 décembre 2022. La décision attendue pour le 28 février ne manquera pas de faire jurisprudence en la matière. Sur un niveau moins formel, grâce aux pressions des associations de protection de l’environnement, plus aucune banque française ne finance le projet directement (mais elles investissent toujours dans l’entreprise, laissant l’utilisation des fonds au bon vouloir des actionnaires de TotalEnergie).

A une échelle supérieure, le Parlement européen a voté une résolution appelant à mettre fin aux projets du type d’EACOP, bien que celle-ci soit non-contraignante. Les députés européens ont dénoncé le traitement des populations situées dans les zones d’extraction pétrolière. Le Parlement demande « que l’Union européenne et la communauté internationale exercent la pression la plus forte sur les autorités ougandaises et tanzaniennes ». Les eurodéputés conseillent aussi à la multinationale française de reporter d’un an le lancement du projet pour étudier la faisabilité d’un autre tracé afin de préserver les écosystèmes locaux.

Des perspectives d’emplois minimes

L’un des principaux arguments avancés par Total ainsi que le gouvernement des deux pays est la perspective de création de nombreux emplois. En effet, la firme avance que près de 30’000 emplois seront créés directement ou indirectement en Ouganda et en Tanzanie grâce au projet EACOP. Cependant et comme à son habitude, l’entreprise manipule les chiffres pour amadouer les opposants. En effet, ce chiffre ne prend en compte que la phase de construction qui doit durer 5 ans environ. Selon certaines estimations, après la durée des travaux, le nombre de postes permanents ne serait que d’environ 2000. L’argument paraît encore plus dérisoire quand on essaie d’entrevoir les autres perspectives de développement économique que les pays pourraient envisager. Selon Diana Nabiruma, coordinatrice du réseau d’économie verte et inclusive en Afrique de l’Est : « investir dans l’agriculture, les énergies propres, l’agroforesterie et le tourisme permettrait de créer quatre millions d’emplois » et bien que le chiffre avancé paraisse quelque peu exagéré, on peut aisément imaginer que des projets durables créeraient certainement plus que quelques milliers d’emplois, tout en respectant et préservant la nature et la biodiversité et en participant à l’effort commun de lutte contre le réchauffement climatique.

Conclusion

Face aux coûts climatiques, environnementaux et surtout humains de ce mégaprojet pétrolier de Total, il est difficilement possible d’envisager comment il pourrait voir le jour sans des changements drastiques dans sa conception et son approche des populations locales. Dans une Europe qui se veut le porte-drapeau des droits humains et face aux enjeux sociétaux et environnementaux que ce pipeline représente, il serait temps de quitter l’ethnocentrisme dont font preuve les Etats membres de l’Union Européenne ainsi que les médias pour aller voir ce qu’il se passe sur d’autres continents et y faire valoir ces mêmes droits. Ce projet n’impactera pas seulement l’agriculteur ougandais qui ne pourra plus nourrir sa famille mais aussi l’homme européen par la pollution qu’il engendrera. Le projet est uniquement motivé par les profits qu’il pourrait générer alors que le dérèglement climatique continue de s’accélérer. Il pourrait donc être le point de non-retour vers un avenir peu radieux pour la planète et surtout pour les humains qui la peuplent.

Valentin Mermoud
Valentin Mermoud
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