Un grand pas pour le droit des femmes : évolution du viol dans le code pénal

Le 7 mars 2023, le Conseil des États est parvenu à un accord pour moderniser la définition du viol en droit suisse. Après différents projets de changement concernant l’article 190 de notre code pénal fédéral, les membres du Conseil ont finalement voté un compromis satisfaisant toutes les parties. Il faudra encore que le Conseil national vote en faveur de ce changement.

La législation actuelle

Avant de parler du changement potentiel que nous pourrions voir dans le Code pénal, il est primordial de faire un état des lieux de la législation en vigueur actuellement. Pour qu’un acte soit qualifié de viol en droit suisse, la victime doit avoir subi des menaces ou de la violence, par des pressions d’ordre psychique ou doit avoir été mise hors d’état de résister. Elle doit de plus être de sexe féminin. Enfin, par « acte sexuel » on entend la pénétration de l’organe génital masculin dans celui féminin. Cette définition ne comprend donc pas les autres types de pénétrations. Ainsi, une femme victime d’une sodomie ou un homme ayant subi une agression sexuelle avec pénétration ne pourront se prévaloir que de l’infraction de contrainte sexuelle de l’article 189 du Code pénal. La différence entre ces deux infractions est que la contrainte sexuelle peut résulter en une condamnation à une peine pécuniaire alors qu’un viol sera puni d’au moins un an de peine privative de liberté (c’est-à-dire de la prison).

Un changement nécessaire

Face à la définition quelque peu archaïque que propose actuellement la loi, il a paru opportun pour certains membres de partis politiques, notamment à gauche, de proposer une mise à jour de la notion de viol. Il en a résulté plusieurs projets qui n’ont pas trouvé grâce aux yeux de tous. Certains estimaient qu’une solution fondée sur le refus, soit « non, c’est non » suffisait lorsque d’autres prônaient la solution du consentement, c’est-à-dire « oui c’est oui ». Les points de divergences étaient l’expression de la volonté et le cas de la victime en état de sidération. La solution du consentement incluait d’office la prise en considération de l’état de sidération alors que son traitement dans la solution du refus était plus controversé. Pour finir, lors de la séance du 7 mars dernier, le Conseil des États a réussi à se mettre d’accord sur une solution satisfaisant les deux camps en admettant la solution du refus tout en y ajoutant que l’exploitation de l’état de sidération d’une personne constituait un acte de contrainte et un viol. Ce compromis semble en effet nécessaire pour que ce projet ait plus de chances d’obtenir le vote favorable du Conseil national et que le projet puisse enfin voir le jour. Le nouvel article effacera aussi la possibilité pour un auteur de viol de n’être condamné qu’à une simple peine pécuniaire en fixant la peine plancher à un an de peine privative de liberté. Cela renforce l’idée qu’un tel acte ait une certaine gravité et qu’il faille le punir en conséquence.

Pour mieux comprendre l’ampleur de ce bond législatif pour toutes les victimes de viols (selon la nouvelle définition), il convient de noter que cela permet de sortir d’un schéma hétéronormatif du viol comme il l’est actuellement, mais aussi d’écarter l’idée encore bien trop répandue et malheureusement véhiculée par le texte de loi que le viol inclut de toute façon la contrainte et que le violeur doit outrepasser la résistance qu’une femme devrait opposer à cet acte. Certaines études relèvent qu’environ 70 pour cent des cas de viol ont lieu dans le cadre d’un état de sidération, ils échappent donc à cette qualification en droit suisse.

La notion de « freezing »

On entend par état de sidération, aussi appelé « freezing », un état dans lequel une personne est pétrifiée et ne peut donc pas réagir à ce qui lui arrive, il s’agit un mécanisme de défense naturel du corps face à un danger. Les scientifiques en distinguent trois formes. Tout d’abord, le « detection freezing » qui arrive lorsque le stress monte petit à petit jusqu’au moment où la personne ne peut plus réagir pendant un court laps de temps. Ensuite, le « network reset » qui empêche tout agissement car le cerveau se prépare à recevoir une information salvatrice si importante qu’il ne se concentre que sur celle-ci. Enfin, le « shocked freezing » qui dure plus longtemps que le « detection freezing » et qui est souvent la suite du « network reset », c’est l’état que décrive le plus souvent les victimes de viol pour expliquer leur absence de réaction. Face à la reconnaissance importante de ce mécanisme par le monde scientifique, le Tribunal fédéral admet de plus en plus la notion du « freezing » dans sa jurisprudence récente mais il semble primordial de le codifier afin de cristalliser cette possibilité dans le Code pénal afin de rendre la situation plus claire.

Introduction d’une nouvelle peine

Un autre changement majeur de la législation pénale en matière sexuelle est l’introduction d’une nouvelle peine dans l’éventail de possibilité du juge. Dans le nouvel article 67f du Code pénal, le juge pourra ainsi prononcer l’obligation pour le prévenu de suivre un programme de prévention de la violence sexualisée ou de se soumettre à une consultation contre la violence s’il a commis une infraction contre l’intégrité sexuelle. Cette disposition a été adoptée tacitement par le Conseil des États afin de prévenir au mieux les risques de récidive et d’améliorer la protection des victimes.

Et maintenant ?

Pour que ce changement intègre le Code pénal, il faut encore que le Conseil national accepte le nouvel article 190. Au vu des nombreux projets et des compromis consentis dans celui-ci, il semble réaliste de dire qu’il est en bonne voie pour être accepté et ainsi enfin faire évoluer le droit suisse. Ce futur changement n’est qu’un petit pas pour une suppression des discriminations à l’égard des femmes, intervient après une 4ème critique du conseil de l’ONU lors de son rapport sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes du 31 octobre 2022 alors que l’ONU elle-même exprime être en faveur du principe du consentement. On peut donc rêver que dans quelques décennies, on arrive finalement à cette solution en droit suisse, il faut rappeler que le processus législatif est long et que ce compromis a mis des années à avoir une chance de voir le jour.

Valentin Mermoud
Valentin Mermoud
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SOURCES (cliquez sur les titres pour en savoir plus)
  • Différents types de « freezing » :

What is the “Freeze Response” in Sexual Assault and Harassment? (kmdlaw.com)

Freezing During Sexual Assault and Harassment | Psychology Today

  • La notion de « freezing » :

Why Women Freeze During Sexual Assault | Psychology Today

  • Débat du Conseil des Etats :

18.043 | Harmonisation des peines et adaptation du droit pénal accessoire au nouveau droit des sanctions | Bulletin officiel | Le Parlement suisse (parlament.ch)

  • Recommandations de l’ONU :

Convention sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes: l’ONU adresse ses recommandations à la Suisse (admin.ch)

La définition du viol en Suisse est problématique, insiste l’ONU – rts.ch – Suisse