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Le pays du cèdre au bord du gouffre

Bien qu’ayant débuté en 2019, la crise économique dans laquelle est plongée le Liban ne cesse de faire parler d’elle par son ampleur et la portée de ses ravages. Celle-ci est en effet qualifiée de « l’un des dix, voire des trois effondrements économiques les plus graves que le monde ait connus depuis les années 1850 » selon la Banque mondiale. Cette phrase suffit à résumer l’état de la situation constituant un véritable défi macroéconomique pour ce petit pays du Moyen-Orient.

Perte du contrôle de la situation

Il n’est pas exagéré de qualifier d’exorbitantes certaines statistiques liées à cette récession. Une dette publique estimée à plus de 150% du PIB accompagnée d’un taux d’inflation de 210,08% en l’espace d’une année, auront ainsi suffi à mettre à genoux les classes moyenne et pauvre déjà affaiblies. Caritas a déterminé que 78% de la population vit actuellement sous le seuil de pauvreté et que cette proportion ne cesse d’augmenter.

Une autre difficulté réside dans l’existence de deux taux de change entre la monnaie locale, la livre libanaise (LBP) et les autres devises. En effet, cette première constitue le taux officiel et est indexée sur le cours au Forex du Dollar américain depuis 1997 au cours de 1 USD pour 1500 LBP. Celui-ci a depuis été rehaussé à 15’000 LBP en février dernier. Ce taux ne tient donc pas compte de l’inflation effective et fausse la valeur réelle de la monnaie qui a perdu plus de 80% de sa valeur réelle depuis le début de la récession. Un cours officieux est donc apparu pour refléter le vrai cours de change, variant autour de 1 USD pour 97’000 LBP au 10 avril 2023. Le gouvernement profite de cette ambiguïté pour payer les fonctionnaires au taux officiel afin de ne pas avoir à tenir compte de la hausse des prix, ce qui provoque ainsi une grande perte de pouvoir d’achat pour ces salariés.

Les conséquences d’un État failli

Les sources de ce désastre proviennent d’une gérance ambigüe et défaillante des institutions étatiques par les différents représentants du gouvernement. Celui-ci est effectivement rongé par une corruption endémique poussant une grande partie de la classe politique à maximiser son profit personnel en s’appropriant ou en détournant de l’argent public. Une des personnalités impliquées dans ce scandale n’est autre que le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé. Le Temps a précisément révélé l’année passée que ce dernier faisait l’objet d’enquêtes judiciaires en Suisse et en France pour « blanchiment en bande organisée », à la suite d’un transfert de 5 millions d’euros depuis un compte de la banque centrale vers celui d’un membre de sa propre famille.

Ce manque de contrôle sur la gestion interne de l’État n’est pas récent. Il date au moins de la fin de la guerre civile en 1990, voire de l’indépendance du pays. En effet, il faut savoir que le Liban est une république confessionnelle. Celle-ci fut introduite durant le mandat français (1920-1943) et consiste à établir un juste équilibre des pouvoirs entre les dix-huit plus grandes communautés religieuses du pays. Elle confère les postes clefs de l’État aux politiciens en fonction de leur religion. Ainsi, le président de la République et le chef des forces armées doivent être de confession chrétienne maronite (une branche du catholicisme), le premier ministre musulman sunnite tandis que les rênes du parlement sont octroyées à un musulman chiite. L’objectif de ce partage étant d’assurer une certaine égalité et de maintenir une paix sociale. Ce texte fondateur fut cependant introduit en tenant compte d’un recensement national de la population datant de 1932 et dont les Chrétiens en sortaient largement majoritaires. Ils se virent ainsi accorder plus de pouvoir par l’intermédiaire du président disposant de plus d’emprise sur le gouvernement que le premier ministre par exemple. Cette situation attisa les tensions dans le pays durant les décennies suivantes car elle encourageait les citoyens à prêter allégeance à un certain clan politico-religieux plutôt qu’à l’État central. Ce dernier s’en retrouva fortement affaibli et du se confronter de manière impuissante à l’émergence de milices religieuses armées, aboutissant à la guerre civile en 1975 et ne se résolvant que quinze ans plus tard par l’instauration d’une paix fragile.

Les lacunes institutionnelles n’en furent pas pour autant résolues en raison du maintien du système confessionnel. Les différents chefs de guerre de chaque clan se sont mutuellement attribué les postes de pouvoir et basent leur légitimité sur des élus au parlement, lesquelles achètent les votes des électeurs en échange d’argent frais désespérément nécessaire à ces derniers. Ces défaillances incessibles se sont cumulées avec une politique financière faussement favorable à l’investissement, offrant d’énormes taux d’intérêts de presque 10% sur les dépôts. Les banques ne furent rentables qu’à partir du moment où de nouveaux épargnants apportaient de l’argent frais, créant ainsi un immense système de Ponzi d’après les mots mêmes de la Banque mondiale en août de cette année. L’énorme bulle spéculative ainsi crée finit par éclater en novembre 2019, deux mois avant l’apparition de la pandémie de Covid-19.

La suite demeure désormais la même depuis trois ans. Des personnes amenées à cambrioler des banques pour tenter de récupérer leur propre épargne, des pères de famille s’immolant par le feu devant le désespoir et l’incapacité de nourrir leur famille, ou encore des jeunes en quête d’une vie décente tentant de prendre le large sur des radeaux de fortune.

Une sortie de crise envisageable ?

L’impasse dans laquelle se situe le Liban tient essentiellement de la réticence des politiciens à réformer le système, condition sine qua non pour une aide économique de la communauté internationale. L’influence du Hezbollah, seule milice n’ayant pas déposées les armes à la fin de la guerre intestine, n’est également pas négligeable. Celle-ci se trouvant actuellement en situation de force et ne gagnant rien à céder du terrain face aux contestataires.

Un accord gazier signé en octobre 2022 entre le Liban et Israël devrait être une bonne nouvelle pour le pays qui pourra enfin commencer l’exploitation de cette ressource dans ses eaux territoriales. L’horizon n’en reste pas moins brumeux cependant. Les revenus liés aux hydrocarbures revenant en grande partie aux groupes pétroliers tels que Total ayant obtenu les concessions. Les Libanais ont encore de nombreux obstacles à surmonter, mais comme le dit un proverbe africain, c’est lorsque le soleil se couche que les étoiles apparaissent.

Elias Kerbage
Elias Kerbage
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