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Et si la mort des abeilles allait tuer le système économique mondial ?

Malheureusement non, vous n’êtes pas en train de lire une énième dystopie. Même si chaque rapport du GIEC se veut de plus en plus alarmiste, nous ne nous attendons pas forcément à ce que les institutions financières en prennent acte. Dans son rapport intitulé The Economic Case for Nature, la Banque mondiale calculait en 2021 que protéger les écosystèmes éviterait une perte de 2’700 milliards de dollars par an à l’économie mondiale, soit le PIB de la France. Dans une autre étude menée par Swiss Re en 2020, les chercheurs portaient l’estimation à 55% de l’économie mondiale, la dépendance du bon fonctionnement de la biodiversité et des écosystèmes. En partant de ces postulats, les chercheurs Allianz Trade se sont risqués à mettre en corrélation la biodiversité avec le produit intérieur brut (PIB). Dans une étude publiée le 28 février 2023, ils démontrent comment la mort des abeilles impacte directement le secteur agricole et donc le PIB.

Les abeilles, piliers de la pollinisation

Selon une étude menée par Zattara et Aizen en 2021, le nombre d’espèces d’abeilles dans le monde a chuté de 25% entre 2006 et 2015 par rapport à la période précédant 1990. Le déclin des pollinisateurs se poursuit, surtout sur le plan européen, où 40% des espèces d’abeilles et de papillons sont fortement menacées (IPBES 2016). Dans certains pays, ces chiffres grimpent jusqu’à 50%. Ce déclin est préjudiciable à l’ensemble du secteur agricole, puisque la pollinisation est essentielle à la production alimentaire et à la nutrition humaine. En effet, près de 75% des cultures, telles que les fruits, les noix et les produits de base très demandés tels que le café et le cacao, dépendent des pollinisateurs. La réduction du nombre d’abeilles entraîne directement une diminution de la production agricole ainsi que des pertes économiques significatives.

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L’impact économique de leur disparition

Dans leur étude, les chercheurs de Allianz Trade ont observé un processus en cours qui commence par une perte de la biodiversité, entraînant une diminution des rendements agricoles, liés à l’action humaine. En effet, les facteurs responsables de ces phénomènes, comme l’expansion industrielle, les mouvements de populations, les modifications du paysage ou la surutilisation des pesticides, impactent directement le nombre de pollinisateurs. Les écosystèmes naturels ont diminué de 47% durant les dernières décennies (Ngo et al., 2019). Cela entraine une diminution du rendement et influence les secteurs liés à l’agriculture. Si l’économie mondiale continue de fonctionner comme aujourd’hui en entrainant la disparition d’écosystèmes essentiels, elle perdra également 0.67% du PIB mondial par an (soit 479 milliards USD par an) (Johnson et al, 2020). Les secteurs les plus dépendants des écosystèmes sont bien entendu l’agriculture, la sylviculture et la pêche. Malheureusement, la disparition des pollinisateurs n’impacte pas uniquement le secteur agricole : l’industrie manufacturière, les produits chimiques, les matériaux, les mines et les métaux ; l’hébergement, la restauration, l’aviation, les voyages et le tourisme ; l’immobilier ; le transport, le commerce de détail, les biens de consommation et même le style de vie en seraient également impactés. 55% de l’économie mondiale dépend du bon fonctionnement de la biodiversité et des écosystèmes. Les écosystèmes fournissent à eux seuls une valeur allant jusqu’à 140 billions USD par an, soit une fois et demie le PIB mondial. La valeur économique ajoutée des services de pollinisation est quant à elle estimée entre 235 et 577 milliards d’USD (en dollars américains de 2015, IPBES, 2016).

Cependant, le travail des chercheurs de l’étude Allianz s’est avéré compliqué, car les indicateurs permettant de mesurer la perte de biodiversité n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. Contrairement aux émissions de gaz à effet de serre, la biodiversité est un sujet complexe en raison de sa relation avec les écosystèmes, les biomes et sa nature locale inhérente qui représente un autre défi pour l’estimation de l’impact d’un portefeuille d’investissement sur la biodiversité, sans compter qu’elle est géographiquement très hétérogène. Ils ont malgré tout calculé que, par exemple, les valeurs économiques des écosystèmes dans les zones non protégées en Allemagne, en France, en Italie, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas varient considérablement. Ainsi, alors que la valeur moyenne des écosystèmes est d’environ 75’000 USD par hectare en Italie et de 17’000 USD par hectare en France, elle est d’environ 4’000 USD en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Les variations à l’intérieur des pays sont encore plus importantes. Cela signifie que les dommages écologiques découlant d’une activité commerciale spécifique dans une région diffèrent des dommages environnementaux qu’elle créerait dans une autre région : cela dépend du type d’activité et du type d’écosystème.

Dans l’étude, les chercheurs présentent un cadre conceptuel qui lie la biodiversité et les services écosystémiques avec l’activité des entreprises. Ce cadre est ensuite appliqué au cas de la perte des services de pollinisation en Europe occidentale et aux États-Unis afin de mettre en évidence les effets économiques potentiels. Le cas de la pollinisation a été choisi en raison de sa grande importance parmi les écosystèmes et de la vulnérabilité croissante des pollinisateurs.

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La perte de services de pollinisation (PSP) diminue la production agricole. Le niveau de la perte de production varie selon le degré de dépendance des pays à l’égard des services de pollinisation (par exemple, le type de cultures) et le niveau de PSP. Une perte totale des services de pollinisation diminue la production agricole de -1,98 % au Royaume-Uni et de -7,87 % en Belgique. En valeur monétaire, la perte de production est comprise entre 0,6 milliard d’USD au Portugal et 26 milliards d’USD aux États-Unis. Les pertes de production sont plus faibles (entre 0,45 % et 1,92 %) pour le scénario de perte de 20 %. Par rapport aux niveaux de production agricole d’avant le choc, la production agricole diminue davantage dans des pays comme la Belgique, l’Italie, le Portugal, l’Espagne et les États-Unis, qui sont spécialisés dans les cultures fortement dépendantes de la pollinisation, telles que les pommes, les poires et les noix. Mais la perte des services de pollinisation entraîne aussi des répercussions sur l’industrie alimentaire : les produits alimentaires transformés et les viandes, le charbon et les combustibles consommables (comme les biocarburants), les boissons et le tabac, qui dépendent davantage des intrants agricoles que d’autres secteurs. Par exemple, les pertes de production de l’industrie des aliments et viandes emballés en Italie sont estimés à environ 4 milliards d’USD par an, et les pertes du même secteur en Allemagne sont estimées à environ 2 milliards d’USD, ce qui est proche du niveau des pertes du secteur de l’agriculture.

Et donc, la mort des abeilles va-t-elle tuer le système économique mondial ?

Bien que l’économie mondiale sera grandement touchée par la disparition totale des pollinisateurs, le système économique ne va pas s’effondrer pour autant. Malgré tout, une réduction de la pollinisation entraînerait une perte annuelle de plus de trois milliards d’euros rien qu’en France, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature. En Allemagne, la diminution de seulement un cinquième du mode de reproduction sexuée chez les plantes ferait baisser la production agricole de 1,3 %.

Quoique ces chiffres soient spéculatifs, ils indiquent un risque réel : la diminution des abeilles pourrait réduire la production agricole et augmenter les prix des aliments, aggravant ainsi la crise alimentaire mondiale. En effet, avec la disparition des insectes et des pollinisateurs, le WWF prévoit déjà une augmentation de 4% du prix des graines et de 3% pour les fruits et légumes d’ici 2050. Et bien que nous puissions absorber ces augmentations de prix, il n’en reste pas moins que les intérêts économiques ne devraient pas être l’unique raison qui nous pousse à protéger la biodiversité de notre planète.

Gwendoline Munsch
Gwendoline Munsch
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SOURCES (cliquez sur les titres pour en savoir plus))

L’étude Allianz Trade du 28.02.23

L’étude de la banque mondiale en 2021

L’étude de Swiss Re en 2020

L’étude Ngo et al. en 2019

L’étude IPBES en 2016

L’étude menée par Zattara et Aizen en 2021

Etats des abeilles