“L’inflation c’est comme la pâte dentifrice : une fois qu’elle est sortie du tube, il est impossible de l’y faire rentrer ; ainsi, il vaut mieux ne pas appuyer trop fort sur le tube”
Avertissait K.O. Pöhl, président de la Bundesbank, en 1980. Après la pandémie de Covid puis l’invasion de l’Ukraine, ce mal semble s’être ajouté à la suite d’événements critiques de notre monde. Ce n’est pourtant pas une coïncidence : il s’agit bien, en partie, d’une conséquence des crises sanitaires et diplomatiques. Les gouvernements et les banques centrales ont pourtant longtemps tenté de la contenir à tout prix, une politique de « une crise après l’autre ». Mais aujourd’hui, nos factures nous l’affirment : l’inflation est sortie de son tube.
Après un rapide éclaircissement sur ce que signifie l’inflation, et sur ses conséquences sur une économie, voyons :
- Comment et pourquoi l’inflation est-elle apparue ?
- Quels sont les moyens de défense de la Suisse et comment lutte-t-elle contre celle-ci ?
- Quelles sont les conséquences de celle-ci sur les ménages suisses les plus modestes ?
💡L’inflation est la perte du pouvoir d’achat de la monnaie. En d’autres termes, la monnaie perd de sa valeur : 100 francs restent toujours 100 francs, mais ils ont moins de valeur. Mécaniquement, les prix augmentent pour compenser cette perte de valeur. Lorsque le niveau général des prix augmente, une quantité donnée de monnaie permet d’acheter moins de biens et services. Il en résulte donc une perte du pouvoir d’achat.
📏Le taux d’inflation se calcule en comparant le prix d’un panier de consommation au cours d’un mois au prix du même panier pour le même mois de l’année précédente.
Historiques et causes de l’inflation en Europe
Pandémie Covid: l’économie gelée
L’effet de base: comparé au Covid, c’est sûr qu’on n’avait pas la même productivité!
Rappelons d’abord que puisque l’inflation est calculée en comparant les prix de l’année précédente, la référence doit être prise en compte. Après deux ans de pandémie, le niveau d’inflation qui sert de référence est naturellement bas. Car durant la pandémie, l’activité économique étant réduite, comparée à celle-ci, il est naturel de parler d’un « effet de base ».
Déconfinement : le choc de l’offre et de la demande
Lorsqu’il y a augmentation de la demande et baisse de l’offre, les prix se modifient pour rééquilibrer la situation. Or, après la pandémie, est survenue à la fois :
Une augmentation de la demande : Nous touchons ici un point intéressant mêlant psychologie et économie. Après deux ans de restrictions, rien de plus naturel que d’aller fêter le déconfinement autour d’un verre, au cinéma, ou faire du shopping avec des amis. On cherche à « rattraper le temps perdu ». On parle alors de « demande reportée ».
Une offre trop faible : Le rétablissement des chaînes d’approvisionnement et d’acheminement prend du temps. Ajoutons la politique zéro Covid de la Chine : plus d’importations chinoises. Nous voyons que le retour de l’offre a donc été antérieur au retour de la demande.
Naturellement, pour retrouver l’équilibre entre l’offre et la demande, les prix augmentent.
Invasion de l’Ukraine : économie de guerre et guerre économique
Alors que 40 % du gaz importé en Europe provient de Russie, l’arrêt progressif de l’approvisionnement a augmenté les coûts de production. Tandis que certains secteurs de l’énergie étaient à l’arrêt durant la pandémie, la dépendance au gaz russe s’est accrue.
De plus, depuis février 2022, l’intervention militaire russe en Ukraine a fait monter les prix de nombreuses matières premières (pétrole, gaz, huile, blé). La baisse des exportations ukrainiennes a réduit l’offre sur les marchés et a poussé les prix à la hausse.
Les sanctions contre la Russie ont obligé de nombreux pays à réorganiser leurs approvisionnements, un processus complexe et coûteux qui demande du temps et des investissements.
Enfin, il y a la relance budgétaire : afin d’éviter l’effondrement des économies et de maintenir les revenus, beaucoup de pays ont creusé leur déficit pour mettre en place des programmes d’aide. Les programmes d’aide de soutien au pouvoir d’achat pour relancer l’économie stimulent la demande et accentuent la pression inflationniste.
Faiblesse de la monnaie unique
L’euro s’est déprécié par rapport à d’autres monnaies comme le franc suisse et le dollar. Cette baisse de l’euro renchérit le prix des importations, notamment le prix des énergies fossiles, et renforce ainsi l’effet d’inflation importée.
Système de défense suisse
« La part des dépenses des ménages consacrée à l’alimentation n’est pas aussi importante qu’elle ne l’est dans d’autres pays. Nous avons bien sûr des inégalités, mais d’un point de vue international, nous avons, je pense, une politique sociale très efficace. » – Professeur Tobias Straumann (traduction de l’anglais)
Pourquoi la Suisse semble-t-elle moins touchée par l’inflation que nos pays voisins ?
Les décisions politiques
Hausse des taux directeurs
Les taux directeurs sont les taux d’intérêt auxquels les banques empruntent auprès de la banque nationale ou centrale (la banque des banques). La hausse des taux d’intérêt se répercute sur les taux d’intérêt auxquels les particuliers ou les entreprises empruntent, ainsi que sur les taux d’intérêt auxquels il est intéressant d’épargner plutôt que de dépenser son argent sur un compte courant : l’épargne devient donc plus attrayante, et l’emprunt moins. Cela permet, en quelque sorte, de « récupérer l’excès de masse monétaire », car avec moins de monnaie en circulation, elle reprend de la valeur.
La hausse des taux directeurs est le premier levier d’action pour lutter contre l’inflation. En Suisse, ils ont récemment été remontés à 1,5%.La balance commerciale
La balance commerciale est le rapport entre les importations et les exportations. Il est important de la prendre en compte car l’augmentation des prix affecte également le commerce international, ce que l’on appelle l’ « inflation importée ».
Comme nous l’avons vu précédemment, le franc suisse est en position de force par rapport à l’euro. Les entreprises exportatrices se retrouvent donc en difficulté car leur commerce coûte des francs, une monnaie forte, mais rapporte des euros, une monnaie plus faible (produit suisse vendu en euros). Une fois les euros convertis en francs, il reste beaucoup moins d’argent qu’auparavant. Les prix d’exportation augmentent donc. En revanche, les prix des produits importés augmentent également.
Cet effet est illustré sur le graphique suivant :
Cet effet a des répercussions mitigées et hétérogènes. Pour les comprendre, il faut se pencher sur la nature des produits importés et exportés.
Les données ci-dessus datent de 2021, les données récentes étant manquantes. Nous pouvons cependant voir quelle est la nature des biens commercialisés. Ces données proviennent de l’office fédéral de la statistique.
Nous voyons que les principales importations sont : les véhicules, les textiles, les produits énergétiques et les denrées alimentaires. Tandis que les principales exportations sont les produits chimiques et pharmaceutiques, l’horlogerie et l’outillage.
On remarque que la plupart des biens exportés sont à haute valeur ajoutée contrairement aux importations. Pour le combat contre l’inflation, c’est en fait à la fois un avantage et un inconvénient.
Il s’agit d’abord d’un avantage dans la mesure où les marges permettent d’amortir les fluctuations économiques: les prix peuvent facilement être modifiés sans trop impacter la demande (on parle de biens inélastiques).
Cependant, les importations, quant à elles, sont des produits de première nécessité pour les consommateurs (alimentation, habillement) et fondamentales pour les entreprises (énergie).
Conséquences sur les ménages
Une vision globale des dépenses et revenus des ménages en Suisse permet de mieux aborder la situation actuelle. Le graphique ci-dessous nous provient de l’office fédéral de la statistique.
Avant de tirer toutes conclusions, prenons la précaution de remarquer que l’échantillon date de 2015-2017, les données récentes n’étant pas disponibles.
Remarquons simplement que la part des dépenses de consommation du 1er quintile était de 1’892CHF/mois pendant une période durant laquelle le taux d’inflation était négatif (période où le niveau général des prix avait tendance à baisser). Tandis que les coûts pour l’énergie et les logements s’élèvent à 1’091CHF/mois.
Actuellement, avec la hausse des prix, le premier quintile se retrouve particulièrement touché.
Lors d’une interview, Laurianne Altwegg, responsable énergie, environnement et agriculture à la FRC (fédération romande des consommateurs) :
“On voit particulièrement que les ménages aux revenus les 20% les plus bas, consacrent la quasitotalité de leurs revenus aux dépenses de consommation. C’est vrai que lorsque l’on constate que des biens de base comme les pâtes, les produits hygiéniques ou le pain ont tous augmenté d’environ 10%, cela fait un trou dans le budget des ménages.”
Bien que la hausse des prix de l’énergie pèse également sur les ménages, il semblerait que la pilule soit plus difficile à avaler en ce qui concerne l’alimentation. En effet, la FRC recense une certaine perte de confiance envers les distributeurs suisses, n’étant pas transparents sur leurs marges et ne semblant pas communiquer de réelles décisions pour aider les consommateurs à faire face à l’inflation.
Pour plus de détails, je vous suggère d’aller consulter le rapport d’enquête de la FRC sur la chaîne de valeur entre la production alimentaire et la consommation :
Fédération romande des consommateurs | Omerta dans le maraîchage: les raisons de la colère |
En comparaison avec ses voisins, la Suisse prouve notre intégrité économique grâce à nos atouts et à notre stratégie puissante. Cependant, il est important de ne pas se reposer sur nos lauriers, car la crise sanitaire, la situation politique entre l’Ukraine et la Russie, et l’inflation révèlent nos faiblesses. Malgré tout, ces problèmes sont de bonnes opportunités pour nous permettre d’avancer.
Dans la même thématique, la rédaction vous propose les articles suivants :
SOURCES (cliquez sur les titres pour en savoir plus)
Inflation | les causes de la soudaine hausse des prix
Exception européenne – La Suisse est-elle immunisée contre l’inflation importée
Importations, exportations | statistique du commerce extérieur (OFDF)
Les prix à la consommation ont augmenté de 3,4% sur un an (RTS)
La BNS a accru ses ventes de devises en 2022 pour aider à stabiliser les prix (RTS)
La hausse des prix a porté le commerce extérieur suisse en 2022 (le Temps)