Retour sur la conférence de la fondation Jean Monnet pour l’Europe : « Comment parler d’Europe ? »

Ce vendredi 4 novembre, nous avons eu la chance de pouvoir assister au colloque : « Comment parler d’Europe ? ». De nombreuses personnalités étaient présentes, issues de divers horizons, notamment Gilbert Casasus (professeur émérite en Études européennes), Dominique de Buman (ancien président du Parlement fédéral suisse et membre du Conseil exécutif de la FJME) ou Roland Fischer (président de l’association suisse de politique étrangère (SGA/ASPE) et membre du parlement fédéral suisse), mais aussi le président et la vice-présidente de l’Université franco-allemande (UFA) ainsi que divers professeur.e.s (dont Damiano Canapa, professeur à l’Université de Lausanne et directeur du CEDIDAC/UNIL), chercheur.euse.s et journalistes. Si tout ce beau monde s’était réunis dans la ferme de Dorigny, c’était pour débattre de la place de l’Europe, et plus particulièrement en lien avec la Suisse.

Effectivement, ce colloque intervient « au bon moment ». Nous sortons de deux ans de pandémie et de confinements, pour basculer directement dans une guerre sur le territoire européen – chose qui n’est pas arrivée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – qui plonge l’Europe dans une crise énergétique et, il faut bien le dire, également économique. Toutes ces questions nous donnent une belle opportunité pour poser une réflexion. Nous pouvons donc nous interroger sur la question de l’Europe et de son utilité.

Les pros et anti-européens

L’Europe n’a jamais fait l’unanimité auprès de la Suisse, mais également auprès des pays membres. Ces dernières années, nous assistons à une montée du populisme et à un repliement des pays sur eux-mêmes, ce qui va à l’encontre même de la logique de l’Union européenne. En effet, les intervenants étaient tous d’accord pour dire que l’Europe est synonyme de liberté : liberté de circulation, liberté de commerce et de marchandises, liberté intellectuelle, mais aussi démocratie. Le milieu universitaire bénéficie directement de son influence, ne serait-ce que par le programme Erasmus ou le système de Bologne pour ne citer que ces exemples.

Mais les arguments anti-européens sont tout aussi pertinents, si ce n’est plus. Comme le souligne Richard Werly – journaliste au Temps puis au Blick francophone – les arguments pro-européens sont des arguments qui s’adressent à l’élite. Les anti-européens concèdent le fait que l’UE apporte des libertés nouvelles, mais ils attirent l’attention sur le fait que de plus en plus de normes limitent cette même liberté. Ils défendent également que l’UE peut paraitre insécurisante à certains égards. C’est le cas par exemple de l’industrie et des agriculteurs. Qui les protège réellement ? Qui protège la démocratie ? Peut-on vraiment parler de démocratie dans des pays comme la Hongrie, qui pourtant fait bien partie de l’UE ? L’Europe de la défense n’est-elle pas morte et enterrée ? Est-ce vraiment pertinent de parler encore d’Europe quand « c’est le Pentagone qui dirige »[1] ? C’est avec ces interrogations que Richard Werly a plongé au cœur du sujet et nous a laissé à nos réflexions.

L’Europe et la Suisse

Quand nous parlons d’Union européenne, nous avons tendance à nous distancer de cela à coup de nous qui s’oppose à eux. Or « parler d’Europe c’est parler de nous »[2]. Et c’est également ce sur quoi jouent les anti-européens, et qui fait leur succès politique.

C’est d’ailleurs en Suisse où se passent les premières discussions sur une idée européenne. Mais en quoi est-ce pertinent de parler d’Europe en lien avec la Suisse, quand celle-ci n’en fait même pas partie ?

Les relations entre la Suisse et l’UE sont imbriquées. La Suisse est peut-être le pays le plus européen – comme l’annonce quelques-uns des intervenants. Par sa géographie, son multilinguisme et son empreinte démocratique, la Suisse remplie tous les critères pour devenir membre de l’UE. La porte lui est grande ouverte. Eût-elle été un petit pays, elle aurait pu jouer un rôle beaucoup plus grand que celui qu’elle se voit assigner. Mais la Suisse ne veut pas ! Proportionnellement, c’est le pays le plus fortuné de l’espace européen. Cependant, la Suisse refuse de partager sa richesse avec les autres. Le temps du bilatéral a vécu, même si certains Suisses et certains Européens ne veulent pas l’admettre. Si la politique européenne de la Suisse n’avance pas, cela vient de l’oubli d’écouter et de comprendre l’autre. Il est donc temps de repenser l’Europe pour mieux repenser ses implications avec la Suisse, nous explique Gilbert Casasus.[3]

Mais il y a un danger en Suisse. Nous allons très bien sur le plan économique, c’est un fait, en témoigne le taux de change historiquement très bas. D’un autre côté les pays européens eux, font face à des défis internes, comme une inflation qui dépasse parfois les 10%. Donc puisque nous allons bien, pourquoi aurions-nous besoin de l’Europe ? Le danger, c’est que nous nous disions, de manière un peu égoïste peut-être, que nous n’avons pas besoin de l’Europe, et que les pays d’Europe eux, ne se soucient plus de la Suisse. Mais l’UE a ses propres problèmes internes et d’autres priorités qui font qu’ils ne nous courtiseront plus. De même qu’en amour, les relations internationales se jouent à deux et il faut s’assurer qu’on continue à s’aimer et ne pas croire qu’on sera éternellement sollicités. Lorsqu’il y avait les problèmes de transports internationaux ou le secret bancaire – ce qui n’est plus le cas aujourd’hui – nous avions des arguments tels que « tout le monde nous courtisait ». Aujourd’hui, ces avantages ont disparu. En un mot, nous ne sommes plus qu’un petit pays de huit millions d’habitants, et il ne faudrait pas croire que nous sommes indispensables aux autres, nous explique quant à lui Dominique de Buman.

La renaissance européenne

Comme nous l’a ensuite expliqué le député au Parlement européen Sandro Gozi, « le futur de l’Europe repose sur une renaissance européenne qui elle-même repose sur la démocratie, la puissance et la civilisation. Notre civilisation doit être de plus en plus protégée. La montée en puissance des extrêmes est une menace évoquée depuis de nombreuses années. Ce n’est plus une possibilité, c’est une réalité. Les extrémistes, même s’ils se présentent comme centre-droit ou centre-gauche, sont au pouvoir. Les pro-européens ont donc à cœur de protéger leurs valeurs et de développer leur projet de paix, de coopération et de fraternité européenne. C’est seulement en se plaçant dans une perspective transnationale que nous pourrons répondre aux attentes d’une démocratie et une politique véritablement européenne. Et pour cela nous devons faire sortir la politique des frontières et des limites nationales. C’est cela l’engagement pour la transnationalité. Ce projet de renaissance européenne doit être tourné vers le citoyen. Il faut que chacun ait du poids pour participer aux décisions qui le concerne, c’est l’affaire de tout le monde.

Une nouvelle souveraineté européenne est plus que nécessaire. Les menaces que nous avons appellent à des réponses communes. Il faut donc dépasser les faux débats entre souveraineté nationale et souveraineté européenne. Elles sont synergiques. Et sans Europe souveraine, sans capacités d’actions réelles, nous prenons le risque de perdre l’Europe que nous voulons et les États que nous voulons sauvegarder. Le XXIe siècle est un siècle d’empire. Pensons à la réalité de la Chine, des Etats-Unis ou même de la guerre d’agression que mène la Russie contre l’Ukraine. Pour les Européens, nous sommes devant un carrefour laissant deux possibilités : se transformer en puissance ou disparaitre politiquement. Cette période est incertaine, mais malgré les difficultés, nous avons obtenu des avancées majeures pour l’Europe, notamment le plan de relance européen financé pour la première fois par une dette commune, mais aussi la transition énergétique qui s’accélère. Face à la montée des démocraties libérales en dehors de l’UE mais aussi au cœur de l’UE, elle doit s’affirmer comme la première grande puissance citoyenne de l’histoire, forte de tout ce que les Européens ont déjà bâti ensemble. Et la Suisse y a tout son rôle. »[4]

Comment parler d’Europe ?

Entre toutes ces magnifiques conférences, un député français présent dans la salle est venu nous poser la question : qu’est-ce que nous, en tant que jeunes Suisses, pensons de l’Europe ?

Et c’est vrai que ces conférences m’ont fait prendre conscience de tout ce que l’Europe nous apporte sans même que je m’en rende vraiment compte. Le but de cet article n’est pas de vous donner mon avis sur la question, néanmoins je trouve important le fait de souligner que le but de la conférence a été atteint pour au moins une personne : repenser l’Europe en tant que suisse – voire changer mes a priori et mon point de vue.

Si je devais répondre à la question qui nous était posée dans ce colloque – comment parler d’Europe – je dirais qu’il faut en parler de manière aussi passionnée que l’ont fait tous les intervenants. À travers leurs yeux, tous les angles abordés semblaient très intéressants et m’ont donné envie de creuser plus profondément les points que je ne maitrisais pas. En un sens, que vous soyez pro ou anti Europe, je ne pense pas que l’avis des gens est immuable. Les arguments anti Europe du début des années 2000 ne sont sûrement plus les mêmes qu’en 2022, et faire une « mise à jour » des différents points de vue me semble important pour se forger un avis réellement pertinent. Et c’est le but que se donne la Fondation Jean-Monnet pour l’Europe – les organisateurs du colloque. Ils veulent devenir « un carrefour européen et un lieu incontournable de rencontre, de débat et de réflexion sur de grands enjeux d’actualité européenne »[5]. Et donc si on me demandait comment est-ce que je parlerais d’Europe, j’aborderais la pluralité des opinions de la même manière que la Fondation Jean Monnet.

Nous aimerions remercier la Fondation « Jean Monnet pour l’Europe » pour l’organisation de ce colloque qui a réuni des esprits tous plus brillants les uns que les autres. Si cet article vous a donné envie de voir les différentes interventions, n’hésitez pas à cliquer ici. [6]

Gwendoline Munsch
Gwendoline Munsch
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Sources:

  1. Richard Werly
  2. Richard Werly
  3. Gilbert Casasus
  4. Discours de Sandro Gozi
  5. Site internet de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe
  6. (18) Comment parler d’Europe ? – YouTube

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