Kylian Mbappé lors de la conférence de presse organisée au Parc des Princes, le 23 mai dernier. Photo FRANCK FIFE / AFP

« Le football il a changé » ou l’étonnante clairvoyance d’Mbappé

« Le football il a changé ». Ainsi lançait d’un air grave l’international français Kylian Mbappé le 23 mai 2022 en pleine interview portant sur la prolongation de son contrat au Paris-Saint-Germain. Interrogé plus spécifiquement sur ce qu’il pensait des droits à l’image et du sponsoring sportif – faisant écho à son refus de participer à des shootings pour des marques partenaires de l’Equipe de France qu’il jugeait néfastes pour la santé – l’attaquant parisien sembla soudain pris d’une terrible révélation lorsqu’il prononça cette phrase culte qui deviendra quelques jours plus tard un « meme » amplement relayé et détourné sur les réseaux sociaux. Parce que cette citation est loin d’être vide de sens, l’article d’aujourd’hui vous dévoilera en quoi l’industrie du football a effectivement profondément changé ces dernières décennies, pour le meilleur, et pour le pire.

Un jeu toujours plus physique et rapide

Sur le terrain, le football s’est métamorphosé en à peu plus d’un siècle de pratique compétitive. En comparant le jeu actuel avec des images d’archive des matchs des premiers championnats nationaux, les athlètes d’aujourd’hui feraient presque passer les joueurs d’antan pour de simples amateurs du dimanche, pour des bandes de potes jouant à la baballe en trottinant sur des terrains boueux sans prendre le temps d’ôter leurs bérets ou ce qui s’apparente à des tenues de ville – n’est-ce pas Lev Yachine ? Aujourd’hui, grâce à des programmes d’entraînement sophistiqués, du matériel de préparation physique plus élaboré, une alimentation mieux adaptée, des services de santé et de récupération de qualité et d’un suivi détaillé des performances, nul doute que Cristiano Ronaldo ferait mordre la poussière à Pelé, ou que Kylian Mbappé – puisqu’il est à l’honneur dans cet article – prendrait de vitesse n’importe quel défenseur de la première moitié du siècle passé. En ce sens, nous ne pouvons que louer la progression du football vers un jeu plus physique, plus rapide et plus dynamique pour la beauté du spectacle, même si certains regretteront sans doute l’intelligence de jeu et les frappes tout en finesse de Michel Platini.

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Uruguay 4 – 2 Argentine, 1930

Des sommes toujours plus folles

L’ennemi à abattre du 21e siècle n’est ni le Real Madrid, ni le Bayern Munich, et encore moins l’Olympique de Marseille, mais le moteur même de l’industrie du football : l’argent. Aujourd’hui, entre les droits télévisés, les recettes de billetterie, les contrats avec les marques/sponsoring et le merchandising, l’économie du ballon rond représenterait pas moins de 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans le monde. Ces chiffres ne sont sans surprise en rien comparables avec ceux d’il y a 50 ans, alors même que le transfert pour 115 000 livres de Denis Law de l’US Torino vers Manchester United constituait en 1962 le transfert le plus onéreux de l’histoire – bien loin des 180 millions d’euros de notre ami Kylian ou des 222 millions de son compère brésilien Neymar, donc. Face à la faible régulation des salaires dans le sport, les clubs proposent des payes toujours plus mirobolantes pour attirer les meilleurs joueurs dans leurs écuries : ainsi Lionel Messi est-il payé 3,3 millions d’euros par mois par le PSG en 2023, derrière, je vous le donne en mille, Kylian Mbappé et ses 6 millions d’euros bruts mensuels.

De nombreuses critiques dénoncent le système économique ultralibéral du football qui répartirait la majorité des richesses produites dans les mains d’un petit nombre d’acteurs. En plus d’accentuer les inégalités de richesses entre individus, ce modèle économique nuirait à l’équilibre et à la compétitivité du sport en aggravant les inégalités financières entre les clubs riches (dont l’argent mène au succès et le succès à l’argent) et les clubs moins aisés, conduisant à terme à la reproduction des mêmes « élites footballistiques ». Une importante mise de départ extérieure, dont bénéficièrent le PSG du Qatari Nasser al-Khelaïfi, Manchester City avec l’Abu Dhabi United Group et tant d’autres, est généralement d’une grande aide pour un club souhaitant disposer des mêmes armes que les meilleurs, mais pose également la question de l’équité dans le football et de l’influence des puissances étrangères dans la conduite d’un club censé représenter les intérêts de la nation.

La composition actuelle des meilleures équipes européennes est d’ailleurs souvent à l’image du propriétaire de leur club depuis l’abolition en 1995 de la règle des 3 étrangers, en atteste le club anglais Liverpool qui n’a plus grand-chose d’anglais avec ses 73% de joueurs étrangers lors de la saison 2021-2022. Instaurée par la FIFA en 1930, cette règle fut jugée par l’arrêt Bosman contraire à l’esprit du traité de Rome sur la libre-circulation des travailleurs entre Etats membres de l’UE, puisqu’elle limitait généralement à 3 le nombre de joueurs étrangers dans les effectifs, ceci afin de protéger à l’époque les clubs de moins grande envergure de la domination des plus riches qui auraient pu recruter tous les meilleurs joueurs pour tuer la concurrence.

Zurich, 20 juillet 2015. Une pluie de faux dollars s’abat sur Sepp Blatter pour dénoncer la corruption à la Fifa,dont il était alors le président. suspendu depuis de toute activité dans le foot pour huit ans, il a fait appel.
Et je ne parlerai même pas des affaires de corruption secouant Sepp Blatter et la FIFA en 2015…

Une technologie toujours plus influente

Les innovations techniques et technologiques de ces dernières décennies ont notablement impacté notre approche du football. Les équipements tout d’abord se sont perfectionné, passant de la vieille balle en cuire qui prend l’eau à un ballon en fibres synthétiques à partir des années 1970 bien plus léger et agréable, sans oublier les progrès dans les infrastructures (plus grands stades, meilleures pelouses…), dans le matériel sportif (chaussures, gants, vêtements…) et dans le matériel d’entraînement, de plus en plus mécanisé. Les outils d’analyse de données permettent de collecter des informations de jeu en temps réel (possession, distance parcourue, précision des passes…) et l’essor des nouvelles technologies (internet, les ordinateurs et smartphones, les réseaux sociaux…) a permis d’encore plus démocratiser ce sport.

Certaines technologies se sont immiscées jusque dans le jeu lui-même, comme la Goal Line Technology qui alerte immédiatement l’arbitre central lorsque le ballon a entièrement franchi la ligne de but. Plus récemment, la VAR et l’arbitrage vidéo permettent à l’arbitre de revoir des actions de jeu litigieuses afin de limiter les erreurs d’arbitrage. Si cette dernière fonctionnalité part d’une bonne intention, de nombreuses critiques lui reprochent de couper le rythme du match et de conduire à des décisions paradoxalement très contestables (combien de buts refusés pour une mèche de cheveux hors-jeu ?). L’interprétation à la lettre de ces outils froids ne semble donc pas forcément le plus adapté pour un sport résolument humain et imprécis dans le feu de l’action comme le football.

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Arbitres consultant la VAR

Un sport toujours plus populaire

Le football est sans surprise le sport, voire le jeu le plus populaire au monde. D’abord pratiqué essentiellement par des pays européens et sud-américains dans la première moitié du 20e siècle (qui constituaient 100% des équipes lors de la première édition de la Coupe du monde en Uruguay en 1930, puis 88% en 1934 – avec pour exceptions l’Egypte et les Etats-Unis, puis 87% en 1934), le football s’est ensuite progressivement démocratisé dans le monde, si bien qu’aujourd’hui, même Trinité-et-Tobago a droit à son championnat professionnel et à ses clubs de notoriété publique tels le Defence Force FC, le Police FC ou le Prison Service (vous avez dit criminalité ?). Apothéose des passions pour le ballon rond, la finale de la dernière Coupe du monde opposant la France à l’Argentine aurait ainsi réuni 1,5 milliard de téléspectateurs. Ses acteurs principaux, les footballeurs, deviennent par extension des stars interplanétaires suivies par des millions de fans, dont les cadors Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, les deux célébrités les plus suivies d’Instagram, cumulent à eux deux plus d’un milliard d’abonnés – si l’on part du principe qu’aucun individu cohérent ne suit les deux personnages à la fois.

A l’heure où l’on considère que certains footballeurs sont plus influents que le roi des Belges (connaissez-vous seulement son nom ?), il paraît clair que ceux-ci peuvent utiliser leur soft power pour faire passer des messages forts à la communauté internationale. Ainsi Ronaldo décidait-il lors d’une conférence de presse du 14 juin 2021 d’écarter les bouteilles de Coca-Cola de sa table au profit d’une bouteille d’eau beaucoup plus saine selon lui, un message marketing choc qui fera perdre 4 milliards de dollars en bourse au géant des sodas américain. Kylian Mbappé semble avoir décliné en mai 2022 pour les mêmes raisons des partenariats avec des aliments jugés mauvais pour la santé et justifiait, avant de déclarer que le football il a changé, sa volonté de garder la maîtrise de son image de marque et des sponsorings. L’influence croissante des footballeurs et la pression médiatique qui pèse sur leurs épaules ne leur permet plus de se préoccuper uniquement de ce qu’il se passe sur le terrain, d’après Mbappé. Le football a changé et il faut prendre position tout le temps, sur tout.

La 2e photo la plus likée d’Instagram (derrière un œuf) met en scène Messi et Ronaldo jouant une partie d’échecs sur une valise Louis Vuitton. La force des deux joueurs est à l’image des deux grands maîtres ayant joué en 2017 cette partie conclue par une nulle : égale.

Si le football a changé sur bien des aspects sportifs, économiques, technologiques et sociétaux, il n’en garde pas moins les mêmes bases depuis maintenant plus d’un siècle. L’enthousiasme qu’il suscite aujourd’hui aux quatre coins du globe atteste de la longévité et de l’universalité de sa formule et nous fait dire que nos petits-enfants y joueront sans doute encore demain.

Martin Vasseur
Martin Vasseur
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