Les médias vont-ils remplacer le juge ?

Les médias prennent de plus en plus de place dans nos vies. Que ce soit à la télévision, sur les réseaux sociaux ou dans la rue, nous sommes constamment assaillis d’informations et d’avis. Chacun y va de sa propre théorie et souhaite ajouter son grain de sel sans pour autant être informé, et le domaine judiciaire n’échappe pas à ce phénomène. En effet, certains procès sont l’occasion rêvée pour les journalistes de faire sensation. Que ce soit pour couvrir des affaires défrayant la chronique par leur horreur ou pour mettre en lumière les dérives de gens inatteignables comme des acteurs ou des hommes politiques. Mais quel rôle doivent vraiment jouer les médias dans des affaires délicates et très stressantes ? Comment peuvent-ils arriver à livrer leur vérité sans avoir accès bien souvent à certaines informations confidentielles ? Face à l’essor de l’information, comment les tribunaux pourront résister à la pression ?

Une définition du « juste » souvent différente

Il arrive parfois que les médias se substituent au juge au nom d’une justice selon eux plus légitime, les journalistes contestent parfois ouvertement les décisions rendues par les autorités. De ce fait, le presse délégitime la justice.

Par exemple, l’affaire du sang contaminé en France a été dévoilée par une journaliste. Dans ce cas, des personnes se sont vues injecter du sang contaminé par le virus du sida, ce qui en fait un des plus gros scandales sanitaires de l’histoire. Certains politiques comme le Ministre de la santé Edmond Hervé et la Ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale qui déclarera se sentir responsable, mais pas coupable de cet incident. Cette affaire complexe a permis de condamner le Centre national de transfusion sanguine mais les personnalités politiques ont été acquittées ou reconnues coupable d’homicide involontaire mais dispensées de peine.

  (Maxppp)
L’affaire du sang contaminé a ébranlé la France

L’opinion publique a alors été désabusée et les médias ont relayé ces informations en mettant en exergue le sentiment d’impunité des élites politiques, la population ayant l’impression que ces dernières étaient intouchables et leur foi et leur confiance en l’État s’en trouvait ébranlée ; car même quand celui-ci commettait des erreurs mettant la vie de centaines de personnes en danger, il restait impuni. Les médias ont donc joué le rôle de catalyseur et ont véhiculé le sentiment d’injustice auprès de la population. Pour les tribunaux, il était déjà très complexe d’établir la responsabilité de personnes précises et l’affaire était bien trop complexe pour que les médias puissent la résumer, ce qui participa aussi à ce décalage entre la justice des tribunaux et celle du peuple.

Un exemple d’affaire où les médias ont desservi la justice

En 2004, une femme déclare avoir été victime d’une agression antisémite en France. Les journaux s’emparent de l’affaire dans un contexte où les agressions à caractère antisémite étaient en augmentation. Le Président Jacques Chirac avait même tenu un discours appelant à la vigilance peu de temps avant. La femme raconte à la police est aux médias que des jeunes ont dessiné une croix gammée sur son ventre, en pleine heure de pointe, dans le RER D. Face à la pression médiatique, le Ministre de l’intérieur prépare une dépêche pour qu’on retrouve les coupables au plus vite. En effet, les médias crient déjà à l’inefficacité de la police et à son inaction face à un acte grave. On lance des appels à témoins dans les journaux, les hommes politiques appellent au « courage civique » mais c’est le silence radio. Quelques jours plus tard, des doutes commencent à émerger quand les caméras ne concordent pas avec la version de la « victime » et ils s’étoffent quand on apprend qu’elle a déjà déposé 6 fois plainte pour des agressions qui n’étaient pas fondées. Elle sera donc à son tour poursuivie et jugée de façon indulgente après qu’elle ait présenté ses excuses au Président.

Marie Leblanc (1er plan), l'affabulatrice du RER D, s'adresse aux journalistes, le 26 juillet 2004 au tribunal correctionnel de Pontoise, au soir de sa comparution pour "dénonciation de délit imaginaire" ©AFP - STEPHANE DE SAKUTIN
La « victime » du RER D face aux journalistes

De nos jours, les fake news sont courantes, principalement sur les réseaux sociaux, où l’information n’est que trop rarement vérifiée. Cependant, ce cas montre l’ampleur nationale que ces évènements peuvent prendre. Cette affaire montre les moyens de pression que les médias peuvent avoir sur la justice. La justice a besoin d’un certain temps pour mener son administration et cela ne correspond parfois pas à l’efficacité voulue par la population qui cède au sensationnalisme voulu par les médias.

Le rituel judiciaire face aux médias

L’administration de la justice est très codifiée et cela déplaît bien souvent aux médias qui ne s’intéressent qu’au vif du sujet. En premier lieu, les médias adorent s’immiscer dans la vie judiciaire en invoquant le droit à la transparence alors que la justice exige souvent le secret de l’instruction. Dans certaines affaires, des documents confidentiels fuitent dans la presse, alors que cela est interdit en Suisse (art. 73 du Code de procédure pénale).

La justice obéit aussi à un rituel, celui-ci permettant d’assurer une constance et une objectivité dans les différents actes permettant l’administration de la justice. Ces actes sont souvent critiqués par les médias car ils sont jugés superflus alors qu’ils permettent d’ordonner la procédure.

Dans L’étranger de Camus, le héros décrit le rituel judiciaire comme suit : « A ma gauche, j’ai entendu le bruit d’une chaise qu’on reculait et j’ai vu un grand homme mince, vêtu de rouge, portant lorgnon, qui s’asseyait en pliant sa robe avec soin. C’était le procureur. Un huissier a annoncé la cour. (…) Trois juges, deux en noir le troisième en rouge, sont entrés avec des dossiers et ont marché très vite vers la tribune qui dominait la salle. L’homme en robe rouge s’est assis sur le fauteuil du milieu, a posé sa toque devant lui, essuyé son petit crâne chauve avec un mouchoir et déclaré que l’audience était ouverte ». Ce passage illustre la singularité du rite judiciaire.

Scène Au Tribunal Juge Au Centre Avocat Par Jean Louis Forain image 1
Peinture d’un tribunal

Les médias ne respectent pas ce timing, créant des situations où la justice est mal administrée à cause de la pression dont elle fait l’objet, comme dans l’affaire du RER précitée. La publicité de certaines informations peut aussi nuire à l’instruction : par exemple, certaines informations peuvent changer le comportement de témoins qui doivent comparaitre. Si l’opinion publique a déjà condamné quelqu’un, un témoin peut très bien être tenté d’alourdir ses dires pour aller dans ce sens. Cela peut aussi changer le comportement des juges qui auront peur des retombées de leur jugement. Ce genre de biais peut créer des prophéties autoréalisatrices.

Marteau, Balance, Assiette, Justice

En conclusion, justice et média ne font pas toujours bon ménage. Certains procès de stars font la part belle aux médias car ils font sensations dans le but de créer des émotions fortes chez le lecteur. On veut savoir la suite, à l’image d’une série et chacun y va de sa propre théorie et de son avis. Il ne faut pas oublier que la justice se doit de se baser sur des faits et ne doit pas céder à la tentation d’émettre des jugements sans fondement. Il est facile de critiquer les décisions rendues et de s’en indigner mais il ne faut pas oublier que derrière ces jugements, il y a des personnes qui subissent parfois une énorme pression et qui sont en proie à la violence de l’opinion publique pour avoir fait leur travail du mieux qu’ils le pouvaient. Je vous invite donc à ne pas toujours céder à l’émotionnel véhiculé par le journaliste mais à réfléchir au rationalisme dont a dû faire preuve le juge.

Valentin Mermoud
Valentin Mermoud
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SOURCES (cliquez sur les titres pour en savoir plus)

Affaire du sang contaminé : résumé et chiffres du scandale (linternaute.fr)

L’affaire du RER D : chronique d’un emballement politico-médiatique – Persée (persee.fr)

 

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