Les extrêmes, l’extrême-gauche, l’extrême-droite, un courant extrémiste… Le terme « extrême » est très couramment utilisé pour décrire l’actualité. Un terme également utilisé dans le langage courant, qui parait simple et univoque. Pour preuve, il faut croire que chacun y trouve son compte : demander ce qui est extrême ou ce qui ne l’est pas suscite souvent des réponses immédiates et spontanées chez nombre d’entre-nous. Pourtant, et c’est là notre sujet, la situation semble bien moins simple lorsque nous confrontons ce qui nous semble extrême avec ce que pense autrui ; nos voisins et voisines, nos familles, camarades de classe ou citoyens et citoyennes d’autres nations et continents. Dès lors, l’exercice de définition nous semble bien moins aisé. Et c’est également le cas à la rédaction !
En effet, si le terme nous parait si simple et complexe à la fois, c’est qu’il est bel et bien polysémique, si ce n’est subjectif. Si en Europe nous considérons par exemple que la peine de mort est un châtiment extrême, souvent défendu par l’extrême-droite, en serait-il de même en d’autres lieux et époques ? Les exécutions étaient courantes lors de la période antique et médiévale, et l’abolition de la peine de mort n’a été prononcée que très récemment en Europe si l’on regarde le temps historique : en 1973 pour le Royaume-Uni, en 1981 pour la France, en 1987 en Allemagne et en 1994 pour l’Italie. Avec une certaine disparité : Saint-Marin a aboli cette peine en 1865, tandis que la Lettonie ne s’y est résolue qu’en 2012. Il y a bien un monde de différence, si ce n’est plusieurs. Même à propos de ce qui pourrait sembler le plus « extrême » et indésirable, comme les guerres, plusieurs points de vue s’opposent : de la théorie de la guerre « juste » ou de « libération » à celle de « l’oppression ». Pourrait-on donc à l’inverse soutenir et forger une définition universelle de ce qui est extrême et de ce qui ne l’est pas ? Pour apporter une contribution à ces questionnements, l’article proposera deux types de réponses, qui ne s’excluent nullement l’une et l’autre.
Une définition par positionnement : est extrême ce qui est marginal
Selon le Larousse, le mot « extrême » vient du latin extremus, qui signifie « le plus à l’extérieur ». Est donc extrême ce qui est « tout à fait au bout, à la limite d’un espace, d’une durée » ; en d’autres termes, ce qui est extrême est ce qui est le plus éloigné. Cette définition est avant tout positionnelle : ce qui nous paraît extrême, c’est avant tout ce qui nous est le plus distant par rapport à notre propre position sociale. Ainsi, seront considérés comme des « sports extrêmes » le parapente ou l’apnée, c’est-à-dire des sports que nous considérons les plus dangereux par rapport à notre définition immédiates des sports, comme le football ou la course à pied. Seront considérées comme des températures extrêmes celles en dessous de -10°C ou de plus de 35°C par rapport aux moyennes usuelles de nos climat tempérés, tandis que celles-ci seraient considérées comme « normales » dans d’autres régions, comme au Canada. Dans ce même ordre d’idée, la surveillance de la population en Chine pourra être considérée comme une situation « extrême » pour les populations en Europe, mais elle peut très bien être banalisée et être vécue comme allant de soi pour les populations vivant en Chine. Il peut en aller de même pour la crise des logements dans les grandes villes du pays. Ainsi, est « extrême » ce qui est à la marge. Une musique comme le metal est par exemple considérée comme extrême en raison de sa marginalité ; elle n’est pas aussi populaire que le rap, ou genre par excellence, la pop. Pareillement, l’extrême-gauche et l’extrême-droite ne sont ici considérées comme telles que par leur position marginale dans l’espace politique : le parti d’extrême-gauche est le parti le plus à gauche, tandis que le parti d’extrême-droite est le parti le plus à droite parmi tous les autres partis.
Une définition en valeurs : est extrême ce qui est jugé moralement comme tel
Cependant et en politique, le mot « extrême » est souvent utilisé en guise de qualificatif péjoratif envers quelque chose ou quelqu’un, qui serait « extrémiste » ou dont la démarche relèverait de « l’extrémisme ». Selon le Larousse, l’extrémisme est un « comportement politique consistant à défendre les positions les plus radicales d’une idéologie ou d’une tendance ». Dans ce cadre, rétablir la peine de mort ne serait pas extrême car cette proposition est défendue par un parti d’extrême droite, mais serait extrême car ce principe est jugé trop radical. Ainsi, est extrême ce qui nous semble moralement inacceptable, comme ici avec la peine de mort. C’est par exemple et dans ce cadre que l’élection de Javier Milei a été considérée comme l’avènement d’un extrémiste pour certains observateurs internationaux : ici, c’est son positionnement libéral assumé qui est jugé trop radical d’un point de vue moral, par exemple avec sa proposition de libéraliser la vente d’organes. Idem pour la dictature en Corée du Nord, par rapport à des valeurs morales qui la dissocie de son voisin du Sud, ou même de certains mouvements sociaux qualifiés de « populistes ». Ainsi, qualifier quelqu’un ou quelque chose d’extrême, c’est procéder ici à un jugement moral selon certaines valeurs érigées en principes. C’est dans ce cadre que la violence, en particulier physique, peut-être considérée comme extrême, car contraire à certaines valeurs morales.
Quand les deux dimensions objectives et normatives ne s’imbriquent pas : quels enjeux ?
Dès lors, d’une définition objective et positionnelle – ce qui est extrême est ce qui se situe à l’extrémité – qui pouvait sembler trop restrictive et limitée pour discuter de l’actualité, nous nous sommes dirigés vers une définition plus large et subjective. Quelle est donc la définition à privilégier ? Dans le cas où ce qui est marginal est également moralement considéré comme extrême dans notre société, il n’y a que peu de doutes : la peine de mort, ou la torture, seront considérées comme extrêmes par nombre d’individus. Mais que se passe-t-il lorsque l’on évoque un sujet marginal mais non disqualifié moralement, ou lorsque l’on évoque un sujet moralement considéré comme extrême mais qui n’est pas non plus à la marge ?
Reprenons l’exemple de l’extrême-gauche et de l’extrême-droite. Si nous qualifions d’extrême ce qui est à la marge, c’est-à-dire ce qui nous est le plus éloigné, peut-on qualifier l’UDC de parti d’extrême-droite alors qu’il constitue le premier parti de Suisse ? À l’inverse, les propositions à gauche du parti socialiste sont-elles si « extrêmes » d’un point de vue moral ? Si nous positionnons en valeurs, peut-on considérer les partis centristes comme faisant partie des « extrêmes » dès lors qu’ils affichent certaines suspicions et défiances envers la démocratie ? Comment considérer une violence physique, comme le blocage d’autoroutes, si elle est justifiée par d’autres arguments moraux ? Dès lors, ce qui est considéré comme « extrême » varie dans le temps et dans l’espace, aussi bien dans sa dimension objective que subjective. Ce thème sera débattu autour de notre évènement annuel, le Focus d’HEConomist, et des articles viendront en ce sens enrichir ce questionnement. N’hésitez donc pas à nous lire et à participer !
SOURCES (cliquez sur les titres pour en savoir plus)
https://cnrtl.fr/definition/extrême
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/extrême/32499
https://www.peinedemort.org/zonegeo/region/6/Europe
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