En mars, une manifestation pro-avortement devant la Cour suprême, à l’occasion des 46 ans de l’arrêt Roe v. Wade.
Au moment où la France fait entrer « la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse » dans sa constitution, la cour suprême des Etats-Unis entend une affaire visant à restreindre les conditions d’accès à la pilule abortive et le président polonais présente son veto à une loi visant à faciliter l’accès à la pilule du lendemain. Durant les trente dernières années, de nombreux pays ont légalisé ou facilité l’accès des femmes à l’avortement. Mais dans d’autres où ce droit semblait acquis le remette en question, à l’image des Etats-Unis. Ceci est un rappel que tout droit est contingent et « qu’il suffit d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. »
Je vous propose ainsi un tour d’horizon des législations visant les droits reproductifs dans le monde et leurs modifications au cours des dernières années avec un focus sur les Etats-Unis, la France et la Pologne.
Dans le monde, en bref
Aujourd’hui, près 40% des femmes en âge de procréer résident dans des régions où l’accès à l’avortement est limité par la loi. Dans 24 pays, l’avortement est complètement interdit, tandis que dans 41 autres, il n’est autorisé que pour préserver la vie de la mère. Dans 49 autres pays, il est autorisé uniquement pour des raisons de santé. L’avortement est autorisé sur demande dans 77 pays avec des restrictions de temps variables.
Accès à l’avortement dans le monde
Si les dernières années ont connu une libéralisation de l’avortement dans beaucoup de pays, le 22 octobre 2022, 32 pays ont signé la déclaration de consensus de Genève. Ce texte se positionne contre la reconnaissance d’un droit international à l’avortement. Parallèlement, le parlement européen a demandé, le 7 juillet 2022, l’inscription du droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne. Selon les députés, « les pays de l’UE devraient garantir l’accès à des services d’avortement sûrs, légaux et gratuits ». Cette charte a la même valeur juridique que les traités et sa modification contraindrait les pays de l’UE en matière d’avortement. Cependant, il faudrait l’accord unanime des pays membres pour se faire et le sujet divise.
Aux Etats-Unis
L’avortement divise les pays mais également leur population. Les Etats-Unis constituent probablement le meilleur exemple, en témoigne les réactions à la vidéo postée par Donald Trump le 8 avril 2024 dans laquelle il affirme qu’il appartient aux Etats de légiférer sur l’avortement. Ses partisans conservateurs sont déçus qu’il renonce à une interdiction nationale et ses détracteurs le rendent responsable de la révocation de l’arrêt Roe v Wade le 24 juin 2022 par la cour suprême. Cet arrêt protégeait le droit à l’avortement au niveau fédéral depuis 1973.
Cette décision historique de la plus haute instance américaine a donné la possibilité aux Etats de décider de leur propre loi sur l’avortement. Dans l’Amérique ultra conservatrice, républicaine et trumpiste, cela a s’est traduit par une très forte restriction du droit à l’avortement. Le gouverneur de Floride, Ron de Santis a signé en avril 2023 une des lois les plus restrictives du pays interdisant l’avortement après 6 semaines de grossesse. Cependant, dans certains Etats conservateurs, la restriction de l’avortement a été soumise à un référendum qui s’est à chaque fois soldé par un échec pour les républicains. Actuellement, une femme sur trois en âge de procréer vit dans un Etat où l’avortement est fortement limité.
Un moyen de contourner l’abolition de Roe v Wade et les législations très strictes de certains États est le recours à la pilule abortive. La pilule abortive est composée de deux médicaments : la mifépristone et le misoprostol. Approuvée par la FDA, la fédération américaine du médicament, elle est prescriptible depuis septembre 2000. Ces dernières années, les conditions d’accès ont été assouplie ; depuis 2016, celle-ci peut être prescrite jusqu’à 10 semaines de grossesse par des professionnels de santé en une seule consultation, il est même possible de se la faire envoyer par la poste. Selon une étude publiée en mars par le Guttmacher Institute, 63 % des avortements se feraient via cette pilule. Un rapport du Journal of the american Medical Association montre que son utilisation a fortement augmenté depuis juin 2022, compensant ainsi la baisse des IVG dans les services médicaux classiques.
Malgré l’approbation de la FDA, des associations texanes veulent à nouveau restreindre l’accès à la mifépristone car son utilisation induirait des effets secondaires dangereux. L’affaire est arrivée jusqu’à la cour suprême qui doit rendre sa décision en juin 2024. En plus des militants pour le droit à l’avortement, cette décision inquiète les milieux scientifiques. En effet, cela pourrait remettre en question la légitimité de la FDA et de ses protocoles d’approbation des médicaments. Liz Borkowski explique « qu’on pourrait voir arriver des contentieux infondés contre toutes sortes de médicaments utilisés depuis des années, simplement parce qu’une organisation y est opposée ».
En attendant la décision de la cour, l’avortement pourrait être un enjeu décisif de la campagne présidentielle. En effet, si le sujet divise, il rassemble également les femmes de bords politiques différents contre la restriction de leurs droits. Marie-Cécile Naves indique que « les femmes constituaient les deux tiers des nouveaux inscrits sur les listes électorales en 2022. En 2018, déjà, la participation des électrices démocrates et indépendantes, mais aussi des républicaines modérées avait atteint un record ».
En Pologne
Les femmes ne se mobilisent pas seulement aux Etats-Unis. En effet en Pologne, l’opposition pro-européenne emmenée par Donald Tusk a gagné les élections législatives d’octobre 2023. Depuis huit ans, le parti conservateur droit et justice (PiS) est au pouvoir. Pour certains analystes, cette victoire s’explique par la volonté d’une partie de la population de libéraliser la législation sur l’avortement.
En 1956, la Pologne élargit sa législation sur le droit à l’avortement et l’autorise pour des motifs socio-économiques. Mais en 1993 ceux-ci sont supprimé, le pays se retrouve avec une des lois les plus stricte d’Europe ; l’avortement y est uniquement autorisé s’il existe un danger de vie pour la mère, en cas de viol ou d’inceste et en cas de malformation du fœtus. En 2020, le tribunal constitutionnel (fortement contrôlé par le PiS et proche des milieux catholiques) interdit l’avortement dans le dernier cas.
Cette législation ultrastricte a pour conséquence un très haut taux de mortalité maternelle dû à des IVG clandestines. Certaines de ses morts ont été largement médiatisées et ont conduit à des vagues de protestations à travers tout le pays en fin d’année 2021. Ainsi, la mobilisation massive des femmes et de la jeunesse semble sanctionner la politique de PiS en matière d’avortement. Une électrice déclare « qu’il y a certainement beaucoup d’espoir que les choses changent, principalement pour ce qui est des droits des femmes, de l’accès à l’avortement ».
Depuis la victoire de l’opposition, le nouveau gouvernement a proposé plusieurs lois concernant les droits reproductifs notamment un texte visant à autoriser les pharmacies à délivrer la pilule du lendemain aux femmes à partir de l’âge de quinze ans. Si la loi a été acceptée par le parlement, le président conservateur Andrezej Duda s’y est opposé par véto présidentiel. La ministre de la santé, Izabela Leszcyna dénonce un comportement hypocrite : « si nous ne voulons pas que les femmes et les jeunes filles connaissent des grossesses non-désirées, faisons tout pour rendre la pilule aussi accessible que possible »
Malgré les obstacles, quatre projets de textes ont été soumis au parlement fin janvier 2024. Ils visent à légaliser l’avortement jusqu’à la douzième semaine de grossesse. En dépit des efforts des milieux catholiques, ces propositions progressent dans le processus législatif et des motions appelant à les rejeter ont été écartées le 13 avril 2024.
En France
En réaction au durcissement de l’accès à l’IVG aux USA, la France a inscrit la liberté de recourir à un avortement dans sa constitution. Elle est le premier pays au monde à entreprendre une telle démarche. Fruit de l’héritage d’années de combat par les associations féministes, la légalisation complète de l’avortement date de 1975. Avant cette date, les femmes qui cherchaient à avorter étaient souvent contraintes de recourir à des méthodes clandestines et dangereuses, mettant leur vie en péril.
C’est en sensibilisant l’opinion politique sur la pratique répandue et potentiellement fatale de ces avortements que sa légalisation sera obtenue. En 1971, le Nouvel Observateur publie un manifeste dans lequel 343 femmes célèbres dont Simone de Beauvoir, Françoise Sagan, Nadine Trintignan avouent avoir eu recours à l’avortement malgré son illégalité. On le surnommera « manifeste des 343 salopes ». Sous cette impulsion, les femmes vont alors défiler dans les rues de Paris pour réclamer la légalisation de l’avortement.
En 1972, une jeune fille de 17 ans est jugée au tribunal de Bobigny pour avoir subi un avortement clandestin à la suite d’un viol. Ce dernier ayant connu des complications, elle sera transportée à l’hôpital et dénoncée à la police. L’avocate Gisèle Halimi assure sa défense et en fait un procès contre la loi : « Messieurs les Juges, imaginez un monde où les hommes comparaissent devant un tribunal de femmes, jugés pour le crime d’avoir eu une liberté sur leur corps, elle n’est pas déjà là, la plus grande injustice de ce siècle, d’être dans ce tribunal ? ». Les accusées sont toutes relaxées et le tribunal est forcé de reconnaitre l’injustice de la loi actuelle.
Trois ans plus tard, la ministre de la Santé Simone Veil se présente à la tribune de l’Assemblée nationale pour défendre son texte visant à légaliser l’avortement. Il sera adopté à 284 voix pour et 129 contre. Cette loi autorise le recours à l’IVG dans un délai de 10 semaines sur autorisation médicale. Malgré cela, dans sa formulation, la loi ne fait que « tolérer les cas de détresse », cette précision sera supprimée en 2014. Suivant cet exemple, le texte qui entre dans la constitution fait débat car il garantit une liberté et non pas un droit. Si tel avait été le cas, l’Etat français aurait été contraint de mettre en place des mesures concrète pour le garantir.
En Amérique du Sud
L’avortement est fortement limité dans la plupart des pays d’Amérique latine. Il est totalement interdit au Salvador, au Honduras, au Nicaragua, en République dominicaine et en Haïti. Seul l’Urguguay, Cuba, l’argentine et certains Etats mexicains l’ont légalisé. Ailleurs, il est autorisé uniquement si la vie de la mère est en danger, des fois en cas de viol ou de non-viabilité du fœtus.
Ce que les médias ont appelé « une vague verte » a secoué le continent ces dernières années. De nombreuses manifestations réclamant la légalisation de l’avortement ont eu lieu sur tout le continent.
Au Mexique, la Cour suprême a jugé inconstitutionnelle la criminalisation de l’avortement en 2021. Les femmes ayant recours à l’avortement dans les cas prévu par la cour ne pourront donc plus être poursuivies. Cette décision a également permis de libérer de nombreuses femmes qui avaient incarcérée pour avoir subi une IVG.
Au Salvador, l’interruption volontaire de grossesse est interdite par la loi et passible de peines pouvant aller jusqu’à huit ans de prison. Cependant, dans les procès pour avortement, même involontaire, sont considérés par les juges et les procureurs comme « homicide aggravé », punissables de cinquante ans de prison. En septembre 2021, le président Nayib Bukele a refusé d’inclure dans la nouvelle Constitution une disposition reconnaissant « le droit à la vie, tant de l’enfant à naître que de la mère enceinte ».
Enfin, au Chili, les députés ont accepté en 2021 une loi dépénalisant l’avortement jusqu’à 14 semaines de grossesses. Son interdiction totale avait été votée pendant la dictature de Pinochet avant d’être accepté en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère en 2017. Cependant, le 20 septembre 2023, le projet d’une nouvelle Constitution a été adopté par le Conseil constitutionnel. Il contenait notamment un article expliquant que « la loi protège la vie de celui qui va naître ». Mais le peuple a rejeté cette nouvelle constitution lors d’un referendum.
En Asie
En Asie de l’Est, le recours à l’avortement est globalement dépénalisé à l’exception des Philippines et au Laos où il est totalement interdit. Au Moyen-Orient, les législations varient mais limitent fortement le recours à l’IVG. En Arabie saoudite, il est permis pour préserver la santé de la mère, mais uniquement sur autorisation du mari ou du père de la femme en question.
Depuis 2019, l’avortement a été déclaré inconstitutionnel en Corée du Sud par la plus haute juridiction du pays. Elle a demandé au gouvernement de prendre des mesures afin de l’encadrer mais rien n’a changé depuis. Aucun parti ne veut prendre le risque de se mettre à dos une partie de son électorat en s’attelant à cette question sensible. Le pays se retrouve donc dans une situation unique où l’avortement n’est ni criminalisé ni protégé par la loi.
En Thaïlande, l’IVG a été rendue légale en février 2021 jusqu’à 12 semaines de grossesses. Ce délai a ensuite été rallongé à vingt semaines en 2022. Malgré sa dépénalisation, l’accès y reste compliqué, peu de médecin le pratiquant et son recours y est encore très stigmatisé
En Afrique
La majorité des pays du continent africain criminalise l’avortement et les exceptions sont rare ; il est légal au Bénin, en Afrique du Sud, en Mozambique, en Tunisie, en Guinée Bissau et équatoriale et au Cap-Vert. L’IVG est totalement interdite en Egypte, en Mauritanie, au Sénégal, en Sierra Leone, au Congo et à Madagascar. En société, soulever le sujet de l’avortement reste tabou malgré sa pratique très répandue, la plupart dans des conditions sanitaires déplorables. 1,6 millions de femmes doivent chaque année recevoir des soins médicaux à la suite d’un avortement clandestin.
Mais les mœurs changent petit à petit de nombreux pays ont libéralisé leurs législations sur l’avortement ces dernières années.
Finalement, qu’en est-il de la Suisse ?
Selon l’OMS, le prise en charge médicale de l’IVG en Suisse est la meilleure au monde. L’organisation met également en avant la qualité de l’éducation en matière de santé sexuelle, ce qui a pour conséquence un très faible taux de recours à l’avortement, parmi les plus bas du monde. Moins d’une femme suisse sur six y aurait recours.
Au niveau légal, les premières démarches sont pour légaliser l’avortement dans certains cas sont entreprises en 1971, elles aboutiront en 1978. Depuis 2002, l’IVG y est légale jusqu’à 12 semaines de grossesses. Une femme peut y avoir recours au-delà du délai de 12 semaines sur autorisation d’un médecin, notamment en cas de danger pour la santé de la mère ou dans le cas d’un état de détresse profonde de la femme enceinte.
En 2013, une initiative voulant l’interdiction du remboursement de l’avortement a été rejeté a plus de 70% par le peuple.
Pour terminer, après les obstacles légaux, les barrières sociales
Dans un rapport de l’ONU sur l’état de la population dans le monde, Natalia Kanem s’inquiète de la politisation du corps des femmes dans les récents débats sur la fécondité. Elle affirme que « Les efforts visant à protéger la vie et le bien-être des femmes et des filles ne devraient pas être soumis à des pressions politiques ou stoppés selon le gouvernement du jour ». Enfin ce même rapport constate des inégalités grandissantes dans la prise en charge médicale liée à la santé sexuelle ; les personnes les plus défavorisées et appartenant à des minorités ne peuvent pas accéder aux mêmes traitements faute de moyen ou de discrimination.
SOURCES (cliquez sur les titres pour en savoir plus)
https://docs.google.com/document/d/1ru6mz-KnhvDMABtmtQe6QBdEao6O6ZImABxEJjcxjo0/edit?usp=sharing
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