La semaine dernière, le feuilleton romand du moment a enfin eu droit à son acte final : après des semaines de négociations, la verrerie Vetropack à St-Prex fermera définitivement ses portes, d’après une annonce de sa direction. Victime de la vétusté de ses installations, d’un climat économique défavorable, d’une concurrence trop importante et d’un manque de rentabilité, la dernière verrerie de Suisse disparaîtra prochainement pour des raisons de viabilité économique. À la lecture de ces lignes, rien ne semble étonnant : cela ne sera ni la première, ni la dernière fois qu’une entreprise ou usine décide de quitter la Suisse pour des contrées économiquement plus favorables (comprenez moins chères). Un détail ne vous aura cependant sûrement pas échappé : il s’agissait de la dernière verrerie de Suisse, et sa fermeture prochaine implique qu’il ne sera probablement plus possible de recycler les bouteilles en verre sur le territoire national. Cette situation soulève une question aussi naïve qu’inquiétante dans un des pays avec le meilleur taux de recyclage d’Europe : où ira donc tout le verre que l’on trie soigneusement ?
Vetropack et la loi du marché
Remettons un peu de contexte : Vetropack est une entreprise spécialisée dans la fabrication et le recyclage du verre, et un des acteurs principaux de cette industrie en Europe. Le groupe trouve ses origines dans la verrerie de St-Prex, fondée il y a 113 ans, et s’est depuis développé à l’international. Le site vaudois historique a commencé à faire parler de lui en mars dernier, alors que la direction annonçait réfléchir sur l’avenir de son site de St-Prex, envisageant des licenciements, voire même une fermeture. Les raisons invoquées : des installations vieillissantes, un contexte géographique et économique défavorable et des problèmes chroniques de rentabilité. Cette annonce a déclenché une levée de bouclier de la part de la population et des politiques, qui sont allés jusqu’à solliciter le conseil fédéral afin de trouver une solution à la fermeture du site. Rien n’y fait, 2 mois plus tard, la fermeture est annoncée par la direction, qui affirme qu’aucune des solutions proposées n’aurait pu sauver le site à long terme. Les lois du marché auront donc eu raison de la verrerie Vetropack de St-Prex, au grand dam des 180 employés qui vont être licenciés au cours des prochaines semaines ou mois.
La fermeture du site ne signe pas seulement la fin de la production helvétique de bouteilles en verre, elle donne également un sacré coup de frein au recyclage de ces dernières dans notre pays. Il faut dire que Vetropack recycle pas loin du tiers des bouteilles en verre collectées en Suisse, et ceci sur son unique site de St-Prex ; malgré les annonces de la direction de continuer à s’investir dans le recyclage en Suisse, le maintien de cette capacité de recyclage et son utilisation sont gravement mis en danger.
Les Suisses champions du recyclage du verre
Les péripéties de la multinationale du verre n’ont donc pas manqué de faire des vagues dans l’espace médiatique ces dernières semaines, d’une part à cause de la perte d’emplois et de la disparition de cette usine historique, mais surtout à cause du départ d’un centre de recyclage majeur, dans un pays qui recycle 97% du verre qu’il consomme !
Le taux de recyclage du verre, ainsi que ceux de l’aluminium (91%), du PET (83%) et du carton (80%) placent la Suisse dans le haut du classement européen du recyclage. Notre système de tri ne manque d’ailleurs pas d’étonner certains de nos voisins (qui ont l’habitude d’une unique poubelle dans laquelle jeter tous les déchets recyclables), car chacun est responsable de minutieusement séparer les différents types de déchets qu’il produit afin de s’en débarrasser au bon endroit. Celui-ci est en partie financé et encouragé par une taxe au sac qui a fait passer le prix de nos sacs à ordures incinérables de quelques centimes à CHF 2.- par pièce il y a de cela quelques années. Comment donc expliquer la disparition d’une usine de recyclage de verre alors que les habitants payent cher le système de recyclage depuis maintenant de nombreuses années ? Pour répondre à cette question, il faut comprendre que les déchets recyclables suisses ne sont de loin pas tous recyclés dans notre beau pays ; les bouteilles en verre par exemple, comme énoncé auparavant, ne sont recyclées qu’à hauteur de 1/3 en Suisse, le reste étant majoritairement traité à l’étranger. Cette problématique n’est pas unique à la Suisse : le monde occidental, avec ses réglementations, ses salaires et coûts de main-d’œuvre élevés, exporte une quantité croissante de déchets à travers le monde, dont une grande partie de ses déchets recyclables, afin de les traiter à l’étranger, et ce de manière plus ou moins transparente.
L’industrie mondiale du recyclage
La plupart des citoyens ont tendance à penser que le traitement des déchets est une question locale, et que tout finissait par être brûlé ou recyclé autour de chez eux. Or, en 2023, la Suisse a exporté 827’000 tonnes de déchets, une augmentation drastique par rapport aux 254’000 tonnes 10 ans auparavant. Même si la majeure partie de cette masse est composée de déchets de construction, une part non négligeable se compose de déchets recyclables exportés précisément afin d’être recyclés ou revalorisés. Dans le monde, ce sont des centaines de millions de tonnes de déchets qui sont échangées chaque année entre les pays (182 millions de tonnes en 2018), dont une bonne partie de déchets recyclables. L’UE a elle-seule a exporté 32,7 millions de tonnes de déchets, dont une majorité de métaux, mais également du papier, des textiles, du plastique et du verre, soit des matières recyclables qui ne sont pas traitées sur son sol mais envoyées à l’étranger, en majorité en Turquie ainsi qu’en Asie du Sud-Est.
Le plastique, en particulier, est exporté en masse à l’autre bout de la planète par les pays développés ; en 2023, l’Union Européenne a exporté 750 millions de kg de plastique (57% du total des matières plastiques exportées) à destination de pays non-membres de l’OCDE, soit majoritairement des pays non développés. Si ces matières sont officiellement exportées à des fins de recyclage, de réutilisation ou de revalorisation, rares sont les contrôles sérieux dans cette filière et la chaîne d’approvisionnement devient rapidement très opaque une fois la frontière passée. Que ce soit pour le plastique, le verre ou n’importe quelle autre matière, les mécanismes d’arbitrage économique nourris par la demande en matières premières, les différences de coût de main d’œuvre, les taux de remplissage des containers maritimes ainsi que la permissivité de certaines législations en matière de pollution permettent de rendre l’industrie mondiale du déchet très lucrative. Les pays développés exportent donc massivement des déchets en direction de pays plus pauvres, remplissant les containers qui repartent en direction de l’Asie une fois leur cargaison de biens divers et variés livrée. Une fois arrivés à destination, le taux de traitement des déchets est loin d’avoisiner les 100%, et tombe dans certains cas en dessous des 20%, les 80% restants s’empilant dans des décharges à ciel ouvert ou terminant largués dans un fleuve ou dans l’océan.
Pendant que les compagnies de commerce de déchets et de recyclage empochent des millions, ce sont également des millions de kilos de déchets qui terminent leur vie en Asie ou ailleurs, sans être recyclés ou correctement détruits, et des tonnes de CO2 rejetés dans l’atmosphère lors du transport de ces mêmes déchets.
Conséquences peu réjouissantes pour l’avenir
Le recyclage de nos déchets figure en tête de liste des défis qui nous attendent pour l’avenir, et est au centre de la mise en place d’une économie circulaire plus respectueuse de l’environnement. Le commerce et le traitement des déchets à l’échelle planétaire est une industrie certes très bien optimisée d’un point de vue économique, mais une des bêtes noires en matière de durabilité. Le maintien d’une capacité locale de recyclage s’avère donc primordial afin d’atteindre nos objectifs en matière de réchauffement climatique et de pollution. Malheureusement, la fermeture de l’usine Vetropack à St-Prex semble donner un coup de frein au développement de l’économie circulaire en Suisse et dans le canton de Vaud, au profit de la rentabilité économique. Tant que le traitement de nos déchets s’organisera en fonction des lois du marché mondial et non en fonction des besoins effectifs de chaque région en recyclage et de la quantité de détritus produite localement, la construction d’un écosystème local et durable de gestion de nos déchets continuera à prendre du retard.
SOURCES (cliquez sur les titres pour en savoir plus)
Vetropack, Collecte et traitement du verre usage
Office fédéral de l’environnement OFEV, 2023, Emballages en verre
RTS info, 07.01.2024, Explosion du nombre de déchets exportés par la Suisse en dix ans
European Council, 26.03.2024, Waste trade
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