UE-Mercosur et majorité qualifiée

En négociation depuis 2002, le traité UE-Mercosur semble se rapprocher de son aboutissement, même si sa ratification reste à venir. La défaite de Jair Bolsonaro en 2023 a fait revenir le Brésil à la table des négociations, en particulier sur des questions de garanties environnementales et de déforestation de l’Amazonie. Et la Commission européenne dirigée par Ursula Von Der Layen appuyée par Olaf Scholz est aussi déterminée à finalement conclure cet accord qui représente la crédibilité et l’efficacité de leurs politiques.

Mercosur

Les points clef de l’accord entre le Mercosur et l’Union européenne (tel que signé le 28 juin 2019) sont :

  • La suppression ou réduction unilatérale des droits de douane entre l’Union européenne et le Mercosur sur les secteurs agroalimentaires et industriels
  • La protection de 350 IGP (indication Géographique Protégée) Européen et produits traditionnels du Mercosur
  • Un chapitre sur l’environnement et le développement durable, prenant en compte la déforestation, estimée compatible avec les accords de Paris de 2015
  • Le maintien des normes européennes dans le cadre de sécurité alimentaire et une coopération renforcée entre les autorités compétentes des états
  • Une partie d’association sur des sujets de propriété intellectuelle, d’économie numérique, sur les droits humains, et même sur la lutte contre le terrorisme.

À quoi s’ajoute aussi un mécanisme de sauvegarde bilatéral, permettant aux états signataire de prendre des mesures temporaires en cas de préjudice grave à leurs marchés.

Il est cependant important de garder en tête que les questions de normes en matière de traçabilités, de produits phytosanitaires et de droit du travail sont toujours en négociation. Là où de nombreux agriculteurs européens se plaignent de concurrence déloyale, dont notamment la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) en France, s’y opposent fermement et craignant sa ratification lors du G20.

Traité de Libre-échange

La réduction ou même la suppression unilatérale des frais de douanes entre l’UE et les pays en question sont faits dans l’objectif d’accélérer l’activité économique des états, ce qui entrainerait théoriquement un meilleur niveau de vie pour les citoyens européens. L’idée que le libre-échange entre les nations accélère le développement économique se base sur la théorie économique des avantages comparatifs, où chaque pays se concentrerait sur les secteurs/activités économiques où ils ont des avantages. Si chaque État se concentre sur les secteurs où son économie est le plus performant, la productivité de chaque citoyen pourrait être optimisée à l’échelle globale. Bien que ce processus d’optimisation puisse fragiliser certains secteurs autrefois compétitifs, la croissance des secteurs confirmant leur compétitivité compensera ces pertes.

De plus, même si un état détiendrait un avantage absolu sur chacun de ses secteurs, il aurait tout de même un intérêt à se spécialiser dans le secteur avec le plus grand avantage relatif, à en croire le fameux exemple donné par David Ricardo entre l’Angleterre et le Portugal sur les secteurs des tissus et du vin.

Il existe néanmoins différents types d’avantages et de formes de compétition. La « concurrence libre et non faussée », mise en avant au sein du marché européen, incite les États membres à maximiser leurs atouts et leur production, dans le but de rendre les autres pays dépendants de leurs exportations et de renforcer leur influence. Ainsi, le coût du travail, les normes environnementales, les législations, et même la fiscalité représentent des enjeux visant à maximiser la productivité. Cette quête du prix le plus bas menace de plonger l’Europe dans une spirale d’appauvrissement généralisé. En effet, les employés des uns sont les clients des autres, et si les salaires représentent une charge pour les entreprises, ils constituent également l’intégralité du pouvoir d’achat des travailleurs. Essayer de baisser les prix en réduisant les salaires peut alors paradoxalement faire diminuer la consommation, en particulier pour les produits jugés non-essentiels, sans même parler des conséquences d’un assouplissement des normes environnementales.

Le but de maximiser la production à l’échelle mondiale peut sembler intéressant. Cependant, dans un contexte moderne de lutte écologique et de guerre commerciale, il est clair que ce modèle est dans ses derniers retranchements. L’exemple de la pandémie de Covid-19 a clairement illustré les dangers d’une trop grande dépendance envers l’extérieur. Il a fallu attendre plusieurs mois avant de pouvoir assurer un approvisionnement en masques et autres équipements essentiels.

Oppositions et critiques

Cet accord crée à la fois des gagnants et des perdants, révélant un déséquilibre au cœur même de la politique européenne. Certains bénéficient de protections et de subventions, tandis que d’autres sont abandonnés à la dure loi du marché. Les grands vainqueurs de cet accord sont sans conteste les manufacturiers automobiles européens, qui peuvent écouler leurs productions en Amérique latine sans droits de douane ni réelle concurrence locale. Les grands perdants de cet accord sont les agriculteurs européens, désormais confrontés à la concurrence des vastes industries agroalimentaires d’Amérique latine. Ces dernières ne sont pas toujours soumises aux mêmes restrictions en matière de production. Le soutien de chaque État à cet accord dépend largement de la structure de son économie. Ainsi, l’Allemagne, forte de son secteur industriel, soutient l’accord, tandis que la France, désireuse de préserver son secteur primaire, s’y oppose fermement.

Shigeru Ishiba, Emmanuel Macron et Olaf Scholz lors du sommet du G20 à Rio de Janeiro, le 18 novembre 2024

Majorité qualifiée

L’accord poursuit son processus de ratification et, en théorie, le traité UE-Mercosur est qualifié de « mixte ». Il englobe à la fois des compétences exclusives de l’Union européenne, telle que le commerce, et des compétences nationales, comme l’environnement. En temps normal, il doit passer par un vote à la majorité qualifiée à la Commission européenne, ensuite un vote à la majorité au Parlement européen, et finalement un vote de chaque pays membre à l’unanimité (oui à l’unanimité), c’est-à-dire qu’un état comme le Luxembourg peut s’opposer contre tous les autres états membres réunis. En détail, un vote « à la majorité qualifiée » est validé s’il arrive à réunir au minimum 15 votes sur 27 des représentants d’états formant ensemble au minimum 65% de la population totale de l’Union européenne.

Une technique législative de la Commission européenne pour outrepasser le vote à l’unanimité est donc de scinder le texte de l’accord en deux parties, une partie économique nécessitant uniquement un vote à la majorité qualifiée et une partie politique qui sera sûrement rejetée par un des états membres.

Ainsi, si Emmanuel Macron veut s’opposer à cet accord, il faut qu’il réunisse une minorité de blocage afin que le texte ne passe pas la Commission européenne. S’il ne parvenait pas à rassembler des États représentant au moins 36% de la population européenne, le marché français serait contraint de s’adapter au nouvel accord, et ce, malgré l’opposition majoritaire de la population, selon les sondages, ainsi que de l’ensemble de la classe politique française.

Adrien Mocaer

Sources :

Conférence de Presse, 28 juin 2019

Memo et Question réponse, 28 juin 2019

L’accord entier tel convenus le 28 juin 2019

Conformité de produits, Normes Européenne 

Bras de fer entre la France et la Commission Européenne 

Communiqué de Presse de la FNSEA, syndicat agricole

Stratégie de concurrence au sein du marché européen 

Fonctionnement du vote par l’Union Européenne 

Sondage de la population française 

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