Le trafic d’art : un marché noir lucratif

Le 6 mai 2020, l’Organisation internationale de police criminelle annonçait avoir mené une opération d’envergure dans 103 pays afin de lutter contre le trafic illégal d’œuvres d’art. Avec 101 personnes arrêtées et 19’000 objets archéologiques retrouvés, Interpol a jeté ce jour-là un énorme pavé dans la grande mare du marché noir de l’art. Cependant, cette action très médiatisée n’a mis en lumière que la partie émergée de l’iceberg de ce marché illégal international qui court depuis des années et dont les dessous cachent des enjeux importants.

UN MARCHÉ ILLÉGAL MAIS LUCRATIF

Le marché de l’art, tout comme les autres marchés où s’échangent des biens, n’est pas exempt de vendeurs et d’acheteurs peu scrupuleux tentés de passer par des canaux illégaux et qui profitent parfois du manque de législation pour s’enrichir ou acquérir des œuvres d’art. Des vases grecs, des mosaïques byzantines ou bien des statuettes égyptiennes sont autant d’objets précieux que nous pouvons admirer dans les musées mais qui peuvent aussi être arrachés du jour au lendemain au patrimoine culturel d’un pays et se retrouver en vente sur eBay ou des groupes Facebook dédiés à cette activité illégale.

Depuis quelques années, l’intensification de ce marché a commencé à inquiéter la communauté internationale et notamment l’organisation onusienne pour l’éducation, la science et la culture qui s’est donné comme fer de lance la lutte contre le trafic de biens culturels. Cette inquiétude est légitime : l’UNESCO estime que le commerce illégal d’œuvres d’art engrange chaque année pas moins de 10 milliards de dollars, une somme colossale qui échappe au radar étatique. Cependant, au-delà de cette considération économique, deux autres enjeux sont préoccupants ; quels sont les effets de ce marché noir sur le patrimoine mondial et quelle est la destination de ces importants montants ?

CRIME CONTRE L’HUMANITÉ

Le trafic de biens culturels est lié à un autre enjeu important, celui du pillage presque systématique de biens culturels dans certains pays, exacerbé par la situation géopolitique et les conflits qui s’y déroulent. Un cas flagrant de pillage et de dégradation au cours de ces dernières années a été celui qui s’est déroulé en Syrie pendant la guerre civile. En 2015, nous avons assisté, par exemple, à la mise à sac par explosifs de la cité antique de Palmyre, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette tentative d’annihilation de la culture syrienne, considérée par la communauté internationale comme un crime contre l’humanité, est cependant accompagnée dans le même temps par un pillage organisé et réfléchi de tous les objets ayant une quelconque valeur marchande.

En effet, bien que l’on ait recensé, en Syrie, des pillages de biens culturels avant le début des conflits, nous avons assisté, depuis, à une intensification fiévreuse de la fouille et de la revente illégale de biens culturels en provenance de cette région du monde. Le pillage de biens culturels a notamment été une source de revenu prolifique pour l’organisation terroriste Daech qui a instauré une taxe sur la revente de ces objets et a ainsi pu dégager un revenu important pour financer ses actions. Ces biens culturels, appelés aussi « antiquités de sang », profitant de l’instabilité de la région, traversent les frontières et se retrouvent dans les galeries et les musées européens ou chez des particuliers. La prise de conscience de ce phénomène et les répercussions que ce trafic a sur le financement des conflits armés a notamment conduit à une résolution des Nations Unies et à une convention du Conseil de l’Europe afin d’endiguer le phénomène à la source et de mieux protéger le patrimoine culturel mondial.

LE RÔLE DE LA SUISSE

Pendant longtemps considérée comme une plaque tournante du trafic d’œuvres d’art et de biens culturels à cause de sa législation poreuse quant à l’entreposage et le commerce des biens culturels, la Suisse a décidé en 2005 de se départir de cette réputation en adoptant notamment ces dernières années une série de mesures et de lois visant à empêcher l’établissement sur son territoire d’un marché noir de l’art. Avec la loi sur le transfert international des biens culturels (LTBC), la Confédération a durci ses règles douanières quant à la déclaration et l’entreposage des biens culturels. Elle a aussi développé un certain nombre d’accords bilatéraux avec des pays archéologiquement riches tels que l’Égypte ou la Grèce afin d’enrayer au mieux toute importation illégale de biens culturels en Suisse.

Le trafic d’œuvres d’art et de biens culturels reste cependant un phénomène encore trop répandu et les implications économiques, sociales et culturelles qu’il engendre restent encore trop importantes. Ces objets issus du trafic ne sont ni recensés, ni répertoriés et, sans aucun contexte pour déchiffrer leur historique archéologique, ces données manquantes rendent le travail de reconstitution de notre passé difficile pour les historiens et historiennes. Une meilleure collaboration internationale et une prise de conscience collective est nécessaire afin d’éviter un effacement de l’identité des civilisations et du patrimoine mondial de l’humanité.

Ismira Mahmutovic
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