Cet article est le troisième d’une série de trois articles sur la sécurité alimentaire et ses enjeux. Vous pouvez retrouver le premier volet ici et le deuxième ici.
Nous avons pu voir dans les deux derniers articles que la sécurité alimentaire se compose d’enjeux et des défis très complexes. Dans cet article, nous allons nous intéresser plus particulièrement à deux pistes de solutions pour garantir la sécurité alimentaire à tous les individus malgré les défis qui se présentent à nous, puis conclure par un bilan.
LES ALIMENTS GENETIQUEMENT MODIFIES
Les organismes génétiquement modifiés (OGM) sont des organismes qui ont subi une altération de leur patrimoine génétique par la main de l’Homme, à travers une procédure biotechnologique effectuée en laboratoire. Possible sur tous les organismes vivants (mais aussi les champignons ou microbes par exemple), ce procédé est surtout utilisé sur les plantes depuis les années 1990 pour les rendre plus résistantes aux maladies, parasites et herbicides. Les principales plantes génétiquement modifiées sont le maïs, le riz, le soja ou bien la pomme de terre. Le choix de modifier génétiquement ces plantes-là s’explique par le fait qu’elles sont cultivées à très large échelle et qu’elles constituent donc une source d’alimentation importante pour une grande partie de la population mondiale mais aussi car elles composent la majeure partie du fourrage destiné au bétail de l’industrie de la viande.
Les OGM, par leur nature même, offrent un certain avantage par rapport aux organismes dont l’ADN est demeuré intact : par quelques manipulations génétiques, les plantes modifiées sont dotées d’une résistance à la plupart des maladies, insectes et produits qui pourraient leur nuire. De ce fait, les OGM sont censés avoir de meilleurs rendements et les exploitations agricoles bénéficieraient donc d’une bonne capacité d’utilisation du sol car elles subiraient moins de pertes. Ce critère de meilleur rendement est très intéressant en ce qui concerne la sécurité alimentaire : nous avons pu voir qu’avec l’expansion des grands centre urbains et la croissance de la population, moins de terres agricoles étaient disponibles. Un meilleur rendement au m2 permettrait donc de pallier ce manque d’espace.
Un autre élément intéressant des OGM est la modification de l’ADN des organismes afin de résister à des conditions climatiques de sécheresse : en rendant les plantes plus résistantes à la sécheresse et moins gourmandes en eau, on permet l’exploitation agricole dans certaines zones arides. Un atout majeur face au changement climatique qui, comme nous l’avions vu, pose un réel problème dans la garantie de la sécurité alimentaire de ces prochaines années.
Cependant, les OGM ne sont pas non plus dépourvus de défauts. Tout d’abord, faute d’un accord unanime de la communauté scientifique sur les effets et potentiels dangers des OGM, ces derniers sont interdits d’exploitation dans la plupart des pays et notamment l’Union européenne et la Suisse. Prônant une position de politique de santé et de politique environnementale préventive, cette dernière a notamment encore récemment émis la volonté de prolonger le moratoire sur l’usage d’organismes génétiquement modifiés dans l’agriculture jusqu’en 2025. Mieux vaut prévenir que guérir selon le Conseil fédéral… À noter cependant qu’il est autorisé en Suisse d’importer et d’utiliser certains OGM dans la commercialisation de produits destinés au public. Vous pourrez, par exemple, croiser au détour d’un frigo de votre magasin préféré, le yogourt que vous aimez tant mais dont vous n’avez jamais lu l’étiquette : il se compose peut-être d’amidon de maïs génétiquement modifié.
Les OGM, même s’ils peuvent potentiellement offrir un meilleur rendement, sont tout à fait obsolètes si leur production est interdite et cet état de fait ne changera pas tant qu’une modification de la loi prohibant les OGM n’aura pas lieu. Ils n’offrent donc pas de solution immédiate face à l’insécurité alimentaire. Cependant, au-delà même des considérations de santé et d’environnement dont nous ne sommes pas encore sûrs, les OGM posent un autre problème important : car ils sont issus d’un développement scientifique et technologique extrêmement coûteux, les OGM sont aussi brevetés ce qui rend leur acquisition aussi très coûteuse pour les agriculteurs. Les brevets les empêchent aussi de garder les semences d’une récolte pour l’année suivante. Les agriculteurs rentrent ainsi dans un schéma de dépendance aux semences génétiquement modifiées qu’ils sont obligés de racheter chaque année, avec des prix qui, eux, peuvent s’envoler. Cet élément est d’ailleurs contre-productif dans une vision cherchant à garantir la sécurité alimentaire car il empêche la pleine autonomie alimentaire des individus.
UN STEAK DE LABO S’IL VOUS PLAÎT !
En ce qui concerne la pollution engendrée, l’utilisation accrue des sols, l’énergie dépensée, les tonnes de C02 rejetés et les risques sanitaires qu’elle provoque, l’industrie de la viande est la championne toute catégorie. En matière d’alimentation, nous savons aujourd’hui que notre consommation de viande est problématique : nous consommons bien plus que ce que consommaient nos grands-parents, alors même que l’industrie de la viande est devenue encore plus polluante et intensive. En ce qui concerne la sécurité alimentaire plus particulièrement, l’industrie de la viande pose un sacré problème. En effet, cette dernière consomme beaucoup d’énergie et demande une grande utilisation des capacités agricoles : pour produire seulement un kilogramme de viande de bœuf, c’est 15’000 litres d’eau qu’il faudra utiliser. Cette grande utilisation d’eau est problématique comme nous l’avions vu dans le précédent article car la sécurité hydrique est une composante absolument nécessaire de la sécurité alimentaire. Une utilisation réfléchie de l’eau est donc nécessaire, notamment face aux défis du changement climatique.
Cependant, l’industrie de la viande est aussi gourmande en aliments. En effet, une des plus grandes productions agricoles à l’échelle de la planète est le soja et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce dernier n’est pas destiné aux humains mais aux animaux car plus de 70% du soja produit est en fait destiné à l’alimentation animale. Transformé sous forme de tourteau de soja pour pouvoir être donné aux bovins, poules et porcs des exploitations intensives, c’est un des aliments les plus prisé dans cette industrie.
Ces considérations environnementales ont notamment conduit plusieurs chercheurs à essayer de trouver une alternative plus économe et écologique à l’exploitation traditionnelle de viande. Ainsi est sorti des laboratoires le projet de viande synthétique. En soi, le procédé paraît relativement simple : en prélevant d’abord des tissus sur un animal et en effectuant par la suite une culture cellulaire, les chercheurs proposent un morceau de viande plus « environmental friendly » et qui ne nécessite pas autant d’énergie et de besoins alimentaires. Cette potentielle transition vers une viande de laboratoire semble se profiler même dans nos contrées. Migros a déjà commencé à s’intéresser à cette nouvelle technologie et a établi des partenariats avec des groupes industriels et des start-ups actives dans le domaine. Cet intérêt n’est pas anodin car, depuis quelques années déjà, la viande à base de protéines végétales a déjà conquis les étals des supermarchés et la viande synthétique est un nouveau moyen de toucher une population qui souhaite réduire sa consommation de viande pour des raisons environnementales ou éthiques.
En ce qui concerne la sécurité alimentaire, la viande synthétique nous offre une solution intéressante. En supprimant le besoin de « nourrir » la viande synthétique, une grande partie des surfaces agricoles seront de nouveau disponible pour être consacrées à l’alimentation humaine. Cependant, cette technologie est si récente et encore méconnue que la considérer comme LA solution à la sécurité alimentaire est risqué. Nous ne savons pas grand-chose sur les qualités nutritionnelles de cette viande et nous ne savons pas non plus exactement quels seront les coûts environnementaux d’une production de viande synthétique.
EN REVENIR AU NŒUD DU PROBLEME
Et si pour combattre l’insécurité alimentaire, il ne suffisait pas seulement de produire plus ou de produire mieux mais de consommer différemment ? Les pauvres des pays du Nord tout comme les pauvres des pays du Sud n’ont pas accès à de la nourriture en suffisance non pas pour des raisons de quantité produites insuffisantes mais car les modes de consommation, les structures sociales et les conditions d’inégalité créent des situations d’insécurité alimentaire. A la question de savoir si nous pouvons nourrir toutes les personnes sur Terre, la réponse est un grand OUI. Nos habitudes de consommation sont alarmantes : chaque année ce sont plus de 2,8 tonnes de denrées alimentaires qui sont perdues en Suisse uniquement, soit 330 kilos de nourriture par an et par personne. Mais ce sont aussi 768 millions de personnes qui sont en situation de sous-alimentation dans le monde. Cette sous-alimentation provoque la mort de 25’000 personnes, dont 10’000 enfants, chaque année.
Afin de garantir une situation de sécurité alimentaire pour l’ensemble de la population, nous devons repenser notre manière de consommer et surtout la manière dont est répartie la nourriture. Car même avec des technologies innovantes comme la viande synthétique ou bien même avec des rendements agricoles importants permis par les OGM, le nœud du problème reste le même si nous ne changeons pas la manière dont les pays produisent, consomment, s’approvisionnent et distribuent la nourriture. Il sera donc important ces prochaines années d’apporter une réponse commune et cohérente sur le plan international afin de garantir la sécurité alimentaire aujourd’hui mais aussi demain, face notamment aux enjeux qui nous attendent. Un savant mélange entre nouvelles technologies alimentaires et soudaine prise de conscience collective.
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