L’ARGENT TOMBE-T-IL DU CIEL ?

Avez-vous déjà entendu parler de la Casa de Papel ? Cette fameuse série dans laquelle une bande de braqueurs s’introduit dans la Maison Royale de la Monnaie à la Banque d’Espagne afin de faire tourner la planche à billets. Pour le Professeur, l’architecte de ce plan, ce n’est pas un vol. Dans une des scènes de la série, il évoque que « la Banque Centrale Européenne en 2011 a émis 171 milliards d’euros, 185 milliards en 2012, 145 milliards en 2013. » Il précise que la Banque Centrale Européenne parlait « d’injection de liquidités » et non de vol. Pour lui, ces liquidités sont « sorties de nulle part » et il prévoit de faire pareil avec son équipe. Cette fiction nous pousse à nous interroger sur le rôle de la Banque Centrale ainsi que sur la création de la monnaie. L’argent est-il magique ? Ces injections de liquidités ont-elles des conséquences sur nos économies ? Plus généralement, comment fonctionnent ces institutions qui régissent la politique monétaire ?

Le rôle de la Banque Centrale

Tout d’abord, la Banque Centrale veille au bon fonctionnement de la politique monétaire via trois actions principales. Premièrement, elle fixe les taux d’intérêts et gère l’émission de monnaies. Ensuite, elle surveille les établissements financiers afin qu’ils respectent les règles concernant le risque et maintiennent leur ratio de solvabilité. Cependant, cela peut aussi être fait par une autre infrastructure. En Suisse par exemple, le contrôle est effectué par l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA). Puis, lors de crises majeures où les banques commerciales n’arrivent plus à se financer sur le marché monétaire ou auprès d’autres banques, la Banque Centrale peut également endosser le rôle de préteur. Finalement, la Banque Centrale doit garantir la stabilité du système financier ainsi que la stabilité des prix.

Par ailleurs, les Banques Centrales influent sur la croissance économique, notamment en maîtrisant la liquidité du système financier. Pour cela, elles peuvent mettre en place un ratio de réserve obligatoire qui n’est rien d’autre qu’un montant de cash que les banques commerciales doivent avoir au minimum. C’est ce qu’on appelle la réglementation prudentielle. Elles ont pour but d’éviter que les banques ne prennent trop de risques et finissent par faire faillite. La Banque Nationale Suisse exige un montant de réserve minimum de 3 %. La Banque Centrale peut également mettre en place des opérations d’open market. Cela consiste à faire varier le niveau de liquidité dans l’économie. Si la Banque Centrale veut assécher le marché en liquidité, elle va vendre des titres. Les titres sont alors mis en circulation contre de l’argent qui revient dans les caisses de la Banque Centrale. Par ailleurs, la quantité de titres sur le marché ayant augmenté, ils deviennent alors moins rares, le prix baisse. En résultante, il y a moins de liquidités en circulation, donc le taux d’intérêt augmente. Inversement, si la Banque Centrale veut alimenter le marché en liquidité, il lui faut acheter des titres. Ces titres sont désormais en possession de la Banque Centrale, et l’argent qui a servi à l’achat est donc mis en circulation. Ici, les titres se font plus rares, ainsi leur prix augmente et le taux d’intérêt baisse puisqu’il y a plus d’argent en circulation. Pour finir, la Banque Centrale peut aussi contrôler la liquidité en fixant le niveau des taux d’intérêts. Cela permet de diriger les taux obligataires et les taux de crédit.

Une baisse du taux principal par la Banque Centrale permet de stimuler l’économie. En effet, cette baisse entraîne une diminution du taux d’intérêt des crédits par les banques commerciales, ce qui augmente les demandes de crédit et crée de l’activité. Inversement, une hausse du taux principal par la Banque Centrale entraîne une hausse du taux d’intérêt des crédits par les banques commerciales. Cela engendre une demande plus faible, ce qui n’est pas favorable à la croissance économique, puisque cela signifie moins d’investissement et de consommation.

Les Banques Centrales sont indépendantes. Ce qui veut dire que leurs décisions sont impartiales même lors de pressions politiques. Par ailleurs, cette institution se doit d’être crédible. Il en va de la réussite des politiques monétaires. Les agents économiques ainsi que les marchés financiers doivent avoir confiance en la Banque Centrale. Il y a une forte corrélation entre confiance et efficacité de la politique monétaire. C’est la raison pour laquelle, la Banque Centrale doit annoncer des objectifs ainsi que des moyens clairs et réalistes. Par-dessus tout, il est nécessaire qu’elle dise ce qu’elle fait, et surtout qu’elle fasse ce qu’elle dit. Ainsi, une Banque Centrale crédible doit à la fois opter pour une politique de règle et être indépendante du pouvoir politique.

Le seigneuriage, un moyen souhaitable de création de monnaie ?

Lorsque les Etats sont en déficit, ils peuvent se financer par le biais de trois moyens. Tout d’abord, ils peuvent augmenter les taxes afin de couvrir leurs dépenses gouvernementales. Ensuite, ils peuvent avoir recours à la dette. Puis en dernier, ils peuvent avoir recours au seigneuriage, c’est-à-dire que l’Etat se finance directement auprès de la Banque Centrale. Trivialement, on parle de « faire fonctionner la planche à billets » pour désigner le fait que la Banque Centrale finance le déficit public.

On a vu que la Banque Centrale produit les billets qui circulent dans l’économie. Ces billets sont administrés aux banques commerciales. Ce sont elles qui les mettent en circulation au profit des particuliers ou des entreprises. Cependant, nous ne pouvons pas parler de création de monnaie dans ce cas. En effet, lorsque les particuliers ou les entreprises retirent des billets, leurs comptes bancaires sont débités du montant correspondant. Il s’agit donc d’un simple transfert des dépôts bancaires vers les billets, sans que la masse monétaire en circulation dans l’économie ne gonfle.

Quant à la planche à billets, elle se traduit par une injection de liquidités dans l’économie, ainsi qu’un gonflement de la masse monétaire équivalente à la mise en circulation des billets émis par la Banque Centrale. Cela entraîne des tensions inflationnistes qui sont la conséquence d’une surchauffe de l’activité économique et d’une dépréciation de la monnaie. En effet, lorsque l’Etat se finance en imprimant des billets, la monnaie se dévalorise, ce qui entraîne de l’inflation. C’est finalement une taxe, puisqu’elle déclenche une hausse des prix qui a pour conséquence la baisse du pouvoir d’achat.

Ce mécanisme peut s’expliquer avec la formule de Fisher. Elle nous dit que le taux d’intérêt réel est égal au taux d’intérêt nominal soustrait de l’inflation. De plus, nous savons que la demande de monnaie dépend négativement du taux d’intérêt nominal. En effet, plus ce dernier est haut, plus il est intéressant de détenir des titres, et moins nous détenons de monnaie, puisque nous préférons investir. D’après la formule de Fisher, si la demande de monnaie dépend négativement du taux d’intérêt, alors elle dépend positivement de l’inflation. Autrement dit, une hausse de la demande de monnaie entraîne une baisse du taux d’intérêt donc une hausse de l’inflation. Cependant, la demande de monnaie n’est pas uniquement déterminée par l’inflation, il y a aussi le progrès technique et la croissance économique qui rentrent en ligne de compte. Dès lors, il est normal qu’une injection de liquidités entraîne une dévalorisation de la monnaie et de l’inflation.

En outre, le rôle de la Banque Centrale est de s’assurer qu’il y ait suffisamment de monnaie dans l’économie, mais pas trop non plus. Il faut éviter à la fois la récession et l’inflation. Par exemple, la Banque Centrale Européenne (BCE) a l’objectif d’avoir une inflation moyenne de 2 %. De plus, il faut noter que chaque établissement bancaire est tenu de disposer d’un compte auprès de la Banque Centrale. C’est grâce à ces comptes bancaires que la BCE met en place la politique monétaire.

Lorsque les Banques Centrales impriment de la monnaie, elles sont obligées de le déclarer officiellement. Si l’on prend l’euro, nous savons qu’il est régulé par la BCE, et tous les pays de la zone euro suivent les mêmes politiques monétaires. Lorsque l’on fait marcher la planche à billets, il y a plus de monnaie, ce qui équivaut à plus d’inflation. Faisons un saut dans l’Histoire avec la République de Weimar lors de la sortie de la Première Guerre mondiale. À cette époque, l’Allemagne connaît de gros soucis économiques après avoir vendu un trop grand nombre de bons du trésor à long terme à la population afin de financer l’effort de guerre. De plus, elle est forcée de payer 132 milliards de marks-or aux Alliés en dédommagement. C’est la raison pour laquelle, l’Allemagne fait tourner la planche à billets. En outre d’un taux de chômage record et d’une productivité qui stagne, cette injection massive de liquidité a mis le pays en état d’hyperinflation. Ainsi, nous voyons que l’abus et l’utilisation par les Banques Centrales de politiques monétaires inefficaces ne sont pas sans conséquences sur notre quotidien.

Toutefois, il ne faut pas confondre « planche à billets » avec « politiques non-conventionnelles », qui ont été mises en œuvre aux États-Unis, au Japon, dans la zone euro ou en Angleterre. On parle de politique non-conventionnelle, plus précisément d’assouplissement quantitatif lorsque la Banque Centrale achète des titres représentatifs de la dette publique sur le marché primaire ou secondaire afin de faire baisser ou de contenir les taux d’intérêt. Cela permet au Trésor d’emprunter dans de meilleures conditions sur les marchés financiers. En ces conditions, la Banque Centrale ne finance pas l’intégralité du déficit budgétaire. Cela force le gouvernement à recourir aux marchés financiers pour couvrir le solde de ses besoins. D’autres instruments de politique monétaire non-conventionnelle sont, par exemple, les taux d’intérêt négatifs.

Pour conclure, il semblerait qu’il faille souvent se méfier des grandes promesses prononcées notamment par nos politiciens lors de périodes électorales. Plus précisément, qu’il faille se méfier des mesures qui ne reposent pas sur un financement minutieusement établi. De plus, il y a de grandes chances pour que les promesses d’augmentation sans contrepartie n’aboutissement jamais. En effet, nous avons démontré que l’argent magique était une chimère. En outre, faire fonctionner la planche à billets reviendrait à alourdir la vie des gens en les amputant de leur pouvoir d’achat. Ainsi, il faut toujours garder en tête que rien n’est gratuit. L’économie repose sur des équations mathématiques. Lorsque nous bougeons un paramètre, il faut s’attendre à une conséquence afin de rétablir l’équilibre général.

Caroline Calvignac
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